Essai

Le Plan Plaine (Sociologie d’un fond de vallée. Biographie à sujet flottant)

Doctorant en sciences politiques

On pensera ce qu’on veut de la valeur pédagogique d’une évaluation universitaire qui consiste à laisser une entière liberté aux étudiants pour déterminer leur sujet – en relation, certes, avec le cours suivi, en l’occurrence celui du politiste Jean-François Bayart à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève et portant notamment sur le concept deleuzien de plan d’immanence – et le format du devoir rendu, mais il est assez indéniable qu’une telle démarche est propice à l’expression du talent. Et à sa découverte. C’est ce que l’on découvre en effet avec l’essai de Thomas Gmür aujourd’hui, qui inaugure la 3e édition de notre série consacrée aux « plumes émergentes » : comme chaque mois de juin, pour clore l’année universitaire qui cette fois aura été bouleversée, la rubrique « Fiction » d’AOC accueille ces nouveaux talents.

 

 

Valais, mon pays, je ne suis pas loin
de toi
Je veille à ta porte
À ta vieille grande porte
Celle de la plaine
Celle du Rhône
Parce qu’on en a ouvert d’autres
Sous les montagnes, sur les montagnes,
dans le ciel
Mais, ô mon Valais, tu restes fermé
À qui ne te comprend pas,
À qui ne t’aime que de passage ou
d’intérêt.
[…][1]

 

Il y a quelques semaines, j’ai sauté dans un train pour le Valais depuis Genève, remontant la vallée du Rhône pour me rendre au chevet de Fernand, un cousin et voisin très proche âgé de 92 ans, et l’accompagner dans ses derniers soupirs. Fernand était le genre de personne qui surplombe sa génération au point d’être deux fois grand-père avant que ses premiers cousins ne soient parents, toujours représentant plus que vestige d’un temps tout juste révolu, conteur-né d’une époque dont il était le dernier à détenir le secret, bibliothèque vivante qui donnait de la couleur à des personnages que nous ne connaissions que par de poussiéreux clichés en noir et blanc. De ce précieux patrimoine, il en était devenu le généreux testateur, se transformant en puits de savoir sans pour autant tourner en donneur de leçons, prenant garde à toujours faire venir l’ignorance à lui plutôt que d’imposer sa sagesse. Quand, quelques jours plus tard, le fils du défunt, qui habite plus bas dans la vallée, demanda à ma mère qui était le responsable des pompes funèbres dans notre village, elle étouffa in extremis un « ah mais il faut demander à Fernand ! » dont la spontanéité parlait d’elle-même. Certains, même outre-tombe, font encore office de référence absolue en matière d’affaires locales. Ou quelque chose du moins survivait à la disparition de ce repère familial…

Au moment des oraisons funèbres, il était toujours question de ce qu’il nous avait appris, de ce qu’il nous avait laissé, pour ne pas dire de ce qu’il nous avait légué, de ce qu’il pourrait encore dire sur sa propre mort, manière pour chacun de le garder encore un peu avec lui, façon pour sa sagesse de perd


[1] M. Michelet, 1973 : 23. Ce dernier est un oncle du défunt dont il est question dans ce texte.

[2] Michelet, 1973 : 23. op.cit.

[3] « […] Nachdem er die Berge verlassen, / Stillwandelnd sich im deutschen Lande / Begnüget und das Sehnen stillt / Im guten Geschäfte, wenn er das Land baut, / Der Vater Rhein, und liebe Kinder nährt / In Städten, die er gegründet. » Hölderlin, 2002: 608. (trad. Patrick Guillot)

[4] « […] herunterkam / Von Treppen des Alpengebirgs », ibid. 600.

[5] Bayart, 2014 : 26.

[6] Deleuze, 1983.

[7] Bayart, 2014 : 22.

[8] Gumbrecht, 2003: 101.

[9] Chappaz cite les affluents du Rhône, commençant par les premières filles – les rivières de la rive gauche – et terminant par les « gamines » – les rivières de la rive droite.

[10] La Dranse d’Entremont, la Dranse de Ferret, et la Dranse de Bagnes se rejoignent puis se déversent dans le Rhône à Martigny. Chappaz, 2011 : 537.

[11] L’Avare, acte IV, scène 5.

[12] Roaux, 2018.

[13] Nancy, 1973 : 171.

[14] Ibid : 176.

[15] Ibid.

[16] Deleuze, 1995 : 4-5. cit. dans : Bayart, 2014: 58.

[17] Voir Feher, 2017.

[18] « Délirer, c’est exactement sortir du sillon. » Deleuze, 1996, p. 51, cit. dans : Bayart, 2014 : 42.

[19] Acte IV, scène 5. op. cit.

[20] Fortuna. Germinal Roaux, 2018.

[21] Voir Benjamin, 1997, « Der Flaneur » (m 16 a, 4) : « La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura, c’est elle qui se rend maîtresse de nous » et, plus loin, « Müsiggang » (m 2, 1) sur l’expérience comme traque.

[22] Bayart, 2014: 37.

Thomas Gmür

Doctorant en sciences politiques

Rayonnages

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Notes

[1] M. Michelet, 1973 : 23. Ce dernier est un oncle du défunt dont il est question dans ce texte.

[2] Michelet, 1973 : 23. op.cit.

[3] « […] Nachdem er die Berge verlassen, / Stillwandelnd sich im deutschen Lande / Begnüget und das Sehnen stillt / Im guten Geschäfte, wenn er das Land baut, / Der Vater Rhein, und liebe Kinder nährt / In Städten, die er gegründet. » Hölderlin, 2002: 608. (trad. Patrick Guillot)

[4] « […] herunterkam / Von Treppen des Alpengebirgs », ibid. 600.

[5] Bayart, 2014 : 26.

[6] Deleuze, 1983.

[7] Bayart, 2014 : 22.

[8] Gumbrecht, 2003: 101.

[9] Chappaz cite les affluents du Rhône, commençant par les premières filles – les rivières de la rive gauche – et terminant par les « gamines » – les rivières de la rive droite.

[10] La Dranse d’Entremont, la Dranse de Ferret, et la Dranse de Bagnes se rejoignent puis se déversent dans le Rhône à Martigny. Chappaz, 2011 : 537.

[11] L’Avare, acte IV, scène 5.

[12] Roaux, 2018.

[13] Nancy, 1973 : 171.

[14] Ibid : 176.

[15] Ibid.

[16] Deleuze, 1995 : 4-5. cit. dans : Bayart, 2014: 58.

[17] Voir Feher, 2017.

[18] « Délirer, c’est exactement sortir du sillon. » Deleuze, 1996, p. 51, cit. dans : Bayart, 2014 : 42.

[19] Acte IV, scène 5. op. cit.

[20] Fortuna. Germinal Roaux, 2018.

[21] Voir Benjamin, 1997, « Der Flaneur » (m 16 a, 4) : « La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura, c’est elle qui se rend maîtresse de nous » et, plus loin, « Müsiggang » (m 2, 1) sur l’expérience comme traque.

[22] Bayart, 2014: 37.