Les lionnes
Quand on n’est que vigueur, lutte et solitude, vos petits – parce qu’ils sont doux, potelés, vulnérables – peuvent vous sembler des proies.
Être réveillée par le coup de patte au visage d’un lionceau endormi. Dans la tanière étroite, la promiscuité moite et dense des corps lui donnait parfois des montées de chaleur proches de la nausée ou de l’ennui. Étirant ses longs membres aussi loin que le permettait l’espace, elle avait hâte de s’engager sur sa sente sinueuse, vers les lointains, en quête d’un cerf. Dans ses rêves, elle en massacrait des hardes entières. Elle recherchait la prise ferme sur la nuque du cerf, la rapide déchirure de la peau, sa gueule s’emplissant enfin de cette chose humide, chaude et nécessaire.
Car la vie n’est en réalité que cela, se détendre et bondir, bondir et se détendre.
Elle n’était désormais que vigilance, mais la somnolence de sa portée était contagieuse. Chaque matin, elle s’étonnait brièvement de leur présence têtue. Ils l’inquiétaient, ils étaient si dépendants : si jamais elle mourait, eux aussi mourraient, et vite. Et elle les oublierait. Mais pour l’instant, elle leur était dévolue. Ils étaient moins un souci conscient que l’unique but de son être – des vies engendrées par son corps, créées en elle et délivrées ici-bas à force de douleurs et de halètements. Elle les avait portés, et maintenant elle les nourrissait avec son lait. Ils faisaient encore partie d’elle.
La première semaine, c’étaient des masses informes rampant jusqu’à elle, exigeant tendresse, patience, toilettage. L’air tremblait des vibrations de ses ronronnements. Elle apprenait à marcher différemment autour de leurs formes frétillantes. Plus ils se tortillaient, plus elle devait les éviter adroitement.
Elle ne les laissait jamais seuls plus d’une demi-heure. La simple pensée de ses petits piaillant et se bousculant dans la tanière atténuait sa détermination, la rendait moins sûre de ses pas, gâchait sa joie de tuer. Elle cédait alors à la faim, s’abaissant même à