Lumière d’été, puis vient la nuit
Les larmes ont la forme d’une barque à rames
Jónas est maigrelet pour ne pas dire étique, de taille à peine moyenne, il est fragile, ne foulez pas trop fort la terre sous vos pieds en l’approchant, vous risqueriez de le briser. Il a grandi si discrètement et si lentement que pendant des années, nous avons presque oublié son existence, il ne prenait jamais la parole sans y être invité, ne répondait que par monosyllabes et d’une voix aussi fine qu’une fibre de laine, ténue, bien qu’assez tôt teintée d’un soupçon de ténèbres, et qui se cassait sans prévenir. Il travaillait mal à l’école, les instituteurs l’interrogeaient rarement devant les autres et jamais ils ne lui demandaient de venir au tableau, il peinait à trouver le sommeil avant les examens, deux fois il a vomi sur la table devant le correcteur, et une fois il s’est évanoui. À l’école, il ne s’est fait ni amis ni ennemis, les autres ne se moquaient pratiquement jamais de lui, peut-être parce qu’il était le fils de Hannes, colosse et policier du village, mais plus encore parce qu’il était tellement réservé qu’en sa présence, ses camarades se refermaient sur eux-mêmes. Le temps passait. Jónas regardait les autres se chamailler, c’était la fin des années 70, il observait ses mains, si fines qu’elles en étaient translucides.
Il a quitté l’école à l’âge de quatorze ans.
Les autres élèves se sont mis à grandir à toute vitesse, Jónas restait au point mort. Les filles prenaient brusquement de la poitrine, une courbe douce se dessinait autour de leur taille, le désir bouillonnait chez les garçons qui formaient des bandes de jeunes taureaux beuglants et déchaînés, ils frappaient les murs à coups de poing, hurlaient, la tête tendue vers le ciel, et dès qu’une fille toussotait, ça leur donnait une érection. Jónas ne semblait percevoir en lui aucun de ces bouleversements, il s’est contenté de raser d’encore un peu plus près les murs puis a cessé d’aller en cours et s’est enfermé à double tour dans sa chambre. Hannes a ét