Roman (extrait)

Avis de grand froid

Écrivain

Bientôt la fin de notre série estivale de bonnes feuilles étrangères. Aujourd’hui Jerome Charyn revient avec un nouveau « roman noir du monde », comme il l’écrit lui-même en introduction à l’ultime (et douzième) aventure d’Isaac Sidel, inspecteur en chef à la Criminelle, puis commissaire, puis maire de New York et enfin, ici, président des États-Unis – par accident. À l’heure où Trump occupe la Maison-Blanche, voir Isaac en POTUS a quelque chose de réjouissant. Premières pages inédites et genèse de la saga. À paraître chez Rivages dans la traduction de Marc Chénetier.

Don Quichotte et son Glock

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J’ai entamé la saga d’Isaac Sidel en 1973… sauf qu’il n’était pas question de Sidel dans cette saga. Isaac n’était qu’un personnage secondaire dans sa propre série. Zyeux-Bleus (1975) était consacré à un inspecteur blond, Manfred Coen, l’adjoint d’Isaac. Il avait pour modèle mon frère aîné, Harvey Charyn, qui n’avait pas les yeux bleus mais la même propension au mutisme que Coen. Harve était inspecteur à la Criminelle, au NYPD [1]. Nous avions tous deux grandi dans les bas quartiers du Bronx-Sud. Harve était mon nécessaire de survie. Les chefs de gang me fichaient la paix parce qu’ils n’avaient pas envie d’avoir des démêlés avec mon frère, et pas parce qu’il soulevait de la fonte et avait des biceps gros comme des œufs d’autruche. Cela n’aurait guère eu d’importance aux yeux des Cherokees ou des Dérouilleurs de Minford Place. Non, l’important pour eux, c’était qu’on ne percevait pas la moindre étincelle de trouille dans les yeux bruns de Harve. Il aurait affronté l’un après l’autre tous les membres des Dérouilleurs, chacun armé de son pistolet bricolé et de sa griffe du Bronx-Sud, un marteau prolongé d’un gros clou maintenu à l’aide d’une flopée d’élastiques.

De sorte que, protégé des maléfices, jamais je ne me fis scalper ni meurtrir par un tomahawk bidouillé. Harve était l’artiste de la famille, et un insatiable lecteur. Mais il n’entra pas au célèbre Collège artistique et musical de Manhattan [2] ; il lui fallut traîner ses guêtres dans un collège technique de bas étage, où il n’entendit jamais la moindre allusion à Picasso ou Cézanne, recevant plutôt une formation au dessin industriel. Mais moi, malin comme un chevreau que j’étais, j’y fus admis ; au Musique et Art, je fus initié à la culture bourgeoise et fis la connaissance de jeunes filles plantureuses natives de Central Park West. Par la suite, lors de mes premières années de littérature russe à Columbia, Harve servit en Alaska dans l’armée, contraint de conduire d’énormes cam


[1] New York Police Department. (Toutes les notes sont du traducteur.)

[2] La « High School of Music & Art », établissement public situé dans Harlem, a existé de 1936 à 1984, avant les regroupements administratifs. On le connaît plus familièrement sous l’abréviation de « Musique et Art », ou de « Château sur la colline ».

[3] Maison d’édition, filiale de Random House.

[4] Agence privée de détectives et d’agents de sécurité fondée en 1850, pour laquelle travailla Hammett qui y trouva matière à ses propres écrits.

[5] Titre original : The Education of Patrick Silver.

[6] Paru pour la première fois chez Balland sous le titre Le Ver et le solitaire.

[7] Franklin Delano Roosevelt.

[8] Expression présente dans le discours inaugural de Lincoln, prononcé à la veille de la guerre civile et dans lequel il exhorte les États sécessionnistes à la réconciliation.

Jerome Charyn

Écrivain

Notes

[1] New York Police Department. (Toutes les notes sont du traducteur.)

[2] La « High School of Music & Art », établissement public situé dans Harlem, a existé de 1936 à 1984, avant les regroupements administratifs. On le connaît plus familièrement sous l’abréviation de « Musique et Art », ou de « Château sur la colline ».

[3] Maison d’édition, filiale de Random House.

[4] Agence privée de détectives et d’agents de sécurité fondée en 1850, pour laquelle travailla Hammett qui y trouva matière à ses propres écrits.

[5] Titre original : The Education of Patrick Silver.

[6] Paru pour la première fois chez Balland sous le titre Le Ver et le solitaire.

[7] Franklin Delano Roosevelt.

[8] Expression présente dans le discours inaugural de Lincoln, prononcé à la veille de la guerre civile et dans lequel il exhorte les États sécessionnistes à la réconciliation.