Nouvelle

Signé Infernus Iohannes

Écrivain

Dans la famille des « nouvelles en trois lignes » de Fénéon ou des « one-minute scenario » de Filliou, les « pitches » d’Antoine Volodine continuent l’exploration des formes courtes par cet écrivain aujourd’hui considéré comme majeur. « Pitches » de Volodine ou plutôt d’Infernus Iohannes, l’un des narrateurs ou hétéronymes du dispositif collectif de voix qu’il appelle lui-même, avec une certaine ironie, « post-exotique ». Et dont on retrouve ici les thématiques, telles que : ratages et cataclysmes, folie et civilisation en ruine… Cette année, la rentrée de notre rubrique « Fiction » a lieu sous le signe de l’humour noir avec ces 77 éclats d’histoire inédits.

Infernus Iohannes est la signature de notre communauté. Prisonniers et prisonnières de notre quartier de haute sécurité, à jamais enfermés, nous survivons ensemble par la parole et par le rêve. Quelques voix fortes se sont distinguées à l’extérieur des murs afin d’y porter des exemples de notre imaginaire collectif : Lutz Bassmann, Manuela Draeger, Elli Kronauer, Antoine Volodine. Elles aussi à présent se fondent dans l’anonymat de ce nom, qui, de tout temps, a été au cœur du post-exotisme, et sans doute son cœur même.

Les murs de notre prison résonnent de plaintes, de cris et de murmures. Certains ont valeur de monologues, d’autres de chants lyriques, d’autres encore de fragments poétiques ou romanesques. Notre vie intellectuelle est peuplée de ces jaillissements et d’une rumination constante sur les disparitions et le passé. Parfois aussi le silence s’empare de notre territoire carcéral. Il est lourd.

Une quarantaine d’ouvrages parus hors les murs ont permis de rendre compte de notre vision du monde et de faire partager nos errances et nos fantasmes à un public sympathisant. On doit considérer que ces fictions correspondent à une élaboration collégiale à partir d’éléments disparates nés dans des dizaines de cellules différentes. Et qu’elles ont ensuite été reprises et travaillées afin d’avoir des formes que le monde éditorial officiel pouvait tolérer. Elles étaient des cris choraux, elles sont devenues des romans.

Toutefois, de très nombreuses histoires sont restées parmi nous à l’état d’ébauches ou de projets inaboutis. À jamais inaboutis, car nos rangs s’éclaircissent, et bientôt se tairont les voix qui auraient pu s’en emparer pour en faire des livres.

On trouvera ci-dessous une petite série de ces histoires sans avenir, toutes signées Infernus Iohannes. Elles ont pris l’apparence d’un pitch, ce résumé express destiné à accrocher l’attention des journalistes ou des libraires. Nous avons toujours aimé les formes brèves, mais autant dire tout de suite que cette forme-là nous paraît détestable à de nombreux points de vue, et cela d’autant plus qu’elle est pratiquée de façon lamentablement commerciale et totalitaire par les marchands du monde éditorial officiel. Sans pitch racoleur, un roman existe mal ou n’existe pas.

Nous présentons ici des pitches pour rire, des pitches qui ne renvoient qu’à des fantômes d’histoires, d’anecdotes ou d’images post-exotiques condamnées à exister mal ou à ne pas exister.

 

1. Le jugement de deux enfants qui se querellent autour d’un jouet. L’un est condamné à mort et fusillé. L’autre fait appel.

2. La fabrication du pemmican : recette réelle entrecoupée d’interventions de plus en plus nombreuses et délirantes conduisant la séance de cuisine à être une foire d’empoigne et une joute oratoire entre insanes.

3. Après l’attaque d’un centre de cryogénisation abandonné, les attaquants, d’anciens écologistes, acceptent l’idée qu’ils ont tout de même à leur disposition une belle quantité de viande congelée.

4. Des moines envoyés en camp de travail se baladent sur la lande permafrostée et déterrent un mammouth.

5. Dans un centre d’études des phénomènes paranormaux, deux femmes qui se haïssent s’occupent de deux jumeaux télépathes. Le paysage alentour se modifie, les incendies ont gagné le monde et elles continuent à se maintenir sans foi en rien au milieu d’un cercle de flammes.

6. Des musiciens ambulants improvisent un raga sur des ruines. Ça pourrait être un moment d’espérance. Toutefois…

7. Un éléphant mourant, presque aveugle, pénètre dans un musée et s’effondre en face de L’origine du monde. Incapable d’y voir une autre représentation, il lui semble décrypter le tableau comme étant une paupière d’éléphant ne réussissant pas à se soulever. Il parle à son ou sa congénère supposé(e).

8. Sur un territoire où n’ont survécu que des enfants, la bande la plus forte planifie l’extermination des groupes plus faibles plutôt que leur intégration.

9. En fuite pour échapper aux radiations, les membres d’un petit orchestre sont contraints de chanter et jouer sous la menace de bandits. Les bandits, en particulier le chef, sont émus. Contrariés par ce qu’ils pensent être une manifestation de faiblesse, les bandits se proposent de liquider les musiciens.

10. Une femme et ses quatre enfants montent dans un petit avion pour « faire kamikaze ».

11. Un vétérinaire découvre une cache de médicaments et les administre au hasard à des animaux et à des gueux de passage.

12. Des gauchistes punissent un pêcheur accusé de rétablir la circulation monétaire en troquant des coquillages contre des objets usuels.

13. Une famille de snipers décide d’abandonner son secteur et de partir à l’aventure.

14. Un archéologue découvre une station-service enfouie, malheureusement envahie de minuscules scorpions.

15. Un entraîneur sportif incite des adolescents, « pour s’endurcir », à se précipiter du haut d’une falaise.

16. Un mobile home spécialement aménagé pour simuler un long séjour sur Mars. La base ne répond plus depuis un an. Le couple qui habite la structure étudie les possibilités d’attaquer d’autres mobile homes voisins pour s’emparer de leur système de survie.

17. Un prêtre repousse les avances d’une jeune fille. Il lui explique qu’il est marié à son dieu et qu’il ne peut lui être infidèle. Toutefois, craignant de passer pour un impuissant ou un homosexuel, il guide la main de la jeune fille vers son sexe en érection.

18. Bagarre de moines autour d’une dépouille de vache, à honorer ou à ne pas honorer, à découper pour sa viande ou non. C’était une vache qui appartenait au monastère.

19. Un fou reporte sur des cartes du monde les informations qu’il reçoit sur la vitrification en cours de la planète.

20. Un illuminé veut rétablir la tradition aztèque de sacrifices humains, selon lui nécessaire pour que l’hiver nucléaire s’apaise.

21. Ayant oublié à quelle tribu il appartient, Douddam Riess est tenté par le suicide. Des hommes lui font revêtir une ceinture d’explosifs et l’envoient en mission.

22. La veille de ses noces, une jeune fille se renseigne sur les techniques d’émasculation.

23. Une communauté est touchée par une épidémie dont elle est incapable de donner le nom. En réalité, il s’agit de charbon ou de peste. L’un après l’autre les malades ont les mêmes symptômes horribles et succombent, mais aucun diagnostic n’est fait. Le fatalisme est total.

24. Ayant vu en rêve qu’on lui avait volé ses économies et sa vache, un prisonnier tue tous les co-détenus de sa cellule.

25. Des suicidaires discutent du moyen le plus sûr pour en finir. Le train est plébiscité, mais il n’y a plus de trains. Ils prévoient de se faire renverser par un troupeau de buffles lancés dans un étroit goulet. Difficultés techniques liées au projet (regroupement des buffles, élancement au galop, lieu à trouver, etc.).

26. Tandis qu’ils prennent leur douche amoureusement, le monde autour d’eux est totalement détruit. L’homme et la femme, nus, sortent sur la terre brûlante et désormais inhabitée.

27. Des hommes des cavernes assistent à l’atterrissage d’un vaisseau extraterrestre. De petits hommes verts sortent du vaisseau. Ils les tuent et les mangent.

28. Une patrouille de moralisateurs parcourt une ville abandonnée. En dehors de la patrouille, seules trois familles habitent dans la cité. La patrouille les persécute.

29. Une description de la paix : la forêt tropicale, ses animaux, ses oiseaux. Aucun représentant de l’espèce humaine.

30. Dans le cadre du cinq-centième anniversaire du début de la lutte contre la superstition, un chamane est invité à monter dans un hélicoptère du haut duquel il sera jeté. En réalité, c’est une reconstitution. Depuis des siècles les hélicoptères ne volent plus. Le chamane est donc précipité du haut d’une falaise.

31. Un imposteur construit sa réputation sur l’affirmation qu’il a inventé la roue.

32. Une troupe de théâtre est réquisitionnée pour chanter les louanges d’un petit seigneur de la guerre. Pendant la séance, le seigneur est invité à monter sur scène. Des anarchistes dans la salle critiquent son jeu.

33. Un quartier de prostitution dans un pays misérable, où travaillent des centaines de prostituées. L’une d’elles organise un grand concours de beauté et, profitant de la confusion des proxénètes qui participent à l’élection, tente d’incendier l’immeuble où tout le monde s’est rassemblé.

34. Des explorateurs tombent sur les ruines d’une cité antique. Ils spéculent sur son nom. L’un prétend qu’il s’agit de Paris, un autre de New York. La mémoire collective a immensément régressé et ils sont d’une ignorance crasse. Ils se disputent.

35. Près d’une bibliothèque, des soldats utilisent les livres et du ciment pour se construire un bunker.

36. Plusieurs oiseaux à taille humaine essaient de comprendre le mystère de l’extinction des humains, des milliers d’années auparavant.

37. Dans un hôpital psychiatrique désaffecté, un ancien patient ouvre un bureau spécialisé en « oenicophagie pour espèces en voie de disparition (tigres, éléphants, humanoïdes) ».

38. Un homme revient des camps. Ses enfants l’accueillent en lui lançant des pierres et le chassent.

39. Un chamane s’introduit dans un monastère isolé et progressivement en prend le contrôle. Depuis le début, son objectif est d’y établir ce qu’il appelle « l’officine des ours ».

40. Alors que la guerre nucléaire a déjà à peu près tout détruit, un pilote de bombardier ayant perdu le contact avec sa base ne sait plus où lâcher sa bombe.

41. Afin de préserver son mariage, un homme tue tous les éventuels dragueurs qui ont survécu dans la région où il habite.

42. Une secte réfugiée dans un parc naturel entreprend de repeupler la terre. Chaque couple porte un masque animal. Pourvus de masques de tigre, un homme et une femme paranoïaques jouent à fond leur rôle de prédateur.

43. En haut d’une tour non incendiée, d’anciens secouristes proposent aux touristes de se jeter du haut de la terrasse du dernier étage. Les touristes savent qu’il s’agit d’un suicide, mais sautent quand même.

44. À la veille de sa neuvième mort, un homme-chat s’estime enfin délivré du fardeau de l’existence. Il s’éteint dans le calme. Mais bien vite il découvre qu’après la neuvième vie, une dixième s’est mise en route, et que le cycle est sans fin.

45. Dans une ville partiellement engloutie, une famille de rescapés s’installe et veut reconstruire une vie normale en recensant les isolés qu’elle pourra manipuler ou tenir en esclavage.

46. Un oiseau condamné à mort pour gigantisme essaie de convaincre ses codétenus de se rebeller contre les gardiens et de s’évader en direction du paradis communiste, instauré dans une île voisine. La mutinerie réussit.

47. Dans un groupe maintenu en cohésion par la religion, gros d’un millier d’hommes et de femmes, s’éveille une rumeur fatale. L’un ou l’une d’entre eux serait un cannibale infiltré. La rumeur irrationnelle flambe, chacun suspecte son voisin, l’atmosphère se gâte, la communauté va vers son naufrage.

48. Dans une yeshivah coupée du reste du monde depuis des décennies, des rabbins dégoûtés de la forme qu’a prise l’histoire du monde, sceptiques sur tout, étudient les textes sacrés du marxisme-léninisme.

49. Une journée assombrie par le ciel de l’hiver atomique, une fleuriste attend ses clients auprès de pots de fleurs dans lesquels la verdure est absente. Elle essaie de convaincre un aveugle. Celui-ci, énervé par le discours et les mensonges de la vendeuse, lui donne des coups de canne.

50. Sur un site où une explosion atomique a eu lieu, des syndicalistes en petit nombre demandent de meilleures conditions de travail pour les survivants.

51. Dans un sous-sol de théâtre bloqué par des décombres, deux vieillards répètent le début de Oh, les beaux jours puis se découragent.

52. Dans un paysage désolé, un homme couvert de goudron et de plumes monologue pour tenter de reconstituer les événements qui l’ont amené à cette situation. Il finit par estimer qu’il n’est pas dans la réalité, qu’il rêve, et que l’unique solution pour s’en sortir est de se plonger dans le sommeil afin de se réveiller. Malheureusement, il n’arrive pas à s’endormir.

53. Une vieille bolchevique assure sa pitance en disant la bonne aventure. Elle est entourée de survivants organisés en une confuse cour des miracles. Des voyantes gitanes lui font de l’ombre.

54. Une petite équipe policière de morts essaie de mener une enquête dans le monde des vivants. Ils se rendent sur la scène du crime avant que celui-ci ait lieu. On les considère comme des gêneurs.

55. Dans un zoopark à la dérive, des grands singes se proposent de lancer une revue féministe. Le directeur, personnage zoophile et insane, les soutient. Ils se heurtent à l’opposition des gardiens, eux aussi zoophiles, qui craignent d’être débordés par les revendications des femelles.

56. Une claveciniste, peut-être la dernière après le cataclysme, cherche en vain des élèves dans la population des survivants, au milieu de nulle part.

57. Des hommes et des femmes, anciens anthropologues, organisent leur séjour à long terme dans des cavernes. Leurs connaissances théoriques les aident à dessiner un avenir de survie à peu près heureux. Toutefois la question de l’approvisionnement se pose et ils ne sont pas chasseurs. L’unique gibier dont ils connaissent les habitudes est humain. Bien que partagés et encore imprégnés de théories, ils optent pour le cannibalisme.

58. Dans la maison d’en face vit une vieille femme. Elle n’est pas sortie de chez elle depuis des semaines. Trois enfants spéculent sur ce qui a pu lui arriver et préparent une expédition pour aller voir ce qui en est. Leurs parents les mettent en garde, prétendent que la vieillarde est une sorcière.

59. Sur une plage noircie, face à la mer jonchée d’épaves, une paysanne coréenne a sauvé ses enfants, mais elle a perdu la raison. Elle veut qu’on la proclame « impératrice du monde qui reste ». Ses enfants l’accompagnent dans son délire.

60. Un soldat rentre dans son village. Il rassemble les survivants, planifie les tâches agricoles à venir. La plupart des paysans sont morts. Les autres ne croient plus à rien. Seule l’idiote est réceptive à son rêve de reconstruction. On ne sait pas si, au final, la renaissance du village aura lieu.

61. Dans un paysage désert de bord de l’océan, près d’une mer agitée, des géants tentent de procéder à un avortement « afin que l’enfant ne connaisse pas le cauchemar du monde ». La mère géante va mal, et d’ailleurs elle n’est pas très sûre de vouloir se débarrasser du fœtus. Les géants font appel à une paysanne qui erre sur la route. Épouvantée, la paysanne accepte de prêter main-forte aux apprentis avorteurs. Mais la géante se débat et l’écrase mortellement. La nuit tombe. L’opération va-t-elle continuer ?

62. Dans un local qui abrite les dernières miettes d’un pouvoir légal, les membres d’un clan se sont rassemblés pour se partager les biens de leur aïeul et chef qui vient de mourir. Sans attendre que le « notaire » ouvre le testament, ils commencent à se battre et à s’entretuer.

63. Des gamins jouent au bord de la mer. Soudain surgit un poulpe monstrueux qui, bien que l’eau soit très peu profonde, agresse un garçon et tente de le tirer vers le large. Le monstre et le garçonnet ont à peu près la même taille. Au lieu de porter secours à leur camarade, les autres commentent le combat et font des paris.

64. Suite à une manipulation malheureuse, un laboratoire faisant des recherches sur le clonage des singes introduit dans un organisme cloné des caractéristiques de l’un des laborantins. Le specimen est isolé. Il dégénère, provoquant un considérable malaise dans toute l’équipe. Le laborantin qui a été cloné commence, lui aussi, à dégénérer. Afin que l’erreur ne s’ébruite pas et fasse scandale, le directeur de recherches envisage d’éliminer à la fois l’original et la copie.

65. Dans une civilisation d’araignées géantes, l’humanophobie fait rage.

66. Comme ils sont entourés de flammes et n’ont aucune chance de s’en sortir, un groupe de soldats russes gagnent de leur mieux un étage supérieur où ils seront à l’abri de l’incendie pendant une petite heure, et ils organisent un tournoi d’échecs.

67. Quelques moines bouddhistes, ayant survécu à l’apocalypse, se retrouvent et parlent du Bardo. En attendant de mourir, ils décident de s’intégrer à la civilisation des survivants et envisagent d’ouvrir un commerce de bondieuseries.

68. Un cosmonaute assiste depuis sa capsule à l’enfer nucléaire qui détruit l’humanité.

69. Convaincu que les extraterrestres existent, une ultime équipe de savants envoie vers l’espace des enregistrements destinés à présenter la civilisation terrestre sous un jour favorable. Comme ils n’ont pas de documents sonores satisfaisants, ils font un collage dans l’urgence, avec des émissions animalières et des discours qu’ils fabriquent eux-mêmes, à partir de lectures à haute voix de textes scientifiques ineptes et de romans de bas étage. Ils n’ont trouvé aucun classique de la littérature dans la bibliothèque du laboratoire. De toute façon, la capsule ne part pas.

70. Un chirurgien esthétique ne sait pas comment intervenir sur l’extraterrestre qui se présente dans son cabinet, et qui a des exigences en tant qu’étranger bénéficiaire de l’aide à l’insertion. La patiente est énorme et aimerait ressembler à un modèle qu’elle lui présente, qui semble également extraterrestre.

71. Un homme rédige nuit après nuit les rêves qui l’assaillent. En quarante ans, il a rempli plusieurs dizaines de cahiers. Des connaissances lui conseillent de chercher un éditeur. Dans la nouvelle société, les livres n’ont plus cours, les éditeurs sont réquisitionnés pour la fabrication d’ouvrages édifiants ou techniques. Le rêveur s’obstine, transportant derrière lui une carriole où s’entassent ses rêves. Finalement, il est inquiété par la police qui le soupçonne de subversion.

72. Un couple se déchire à la mort d’un fils. Le père comme la mère exige d’obtenir la garde du cadavre de leur enfant. À celui-ci s’ajoutent deux bébé congelés qui posent aussi problème.

73. Montré dans une foire comme une bête curieuse, le dernier khmer rouge encore en vie défend le bilan positif du polpotisme au Kampuchéa. Le public a le droit de lui cracher dessus mais il reste protégé par une barrière de plexiglas. Au fond de sa cage, il actionne un magnétophone avec des bruits de forêt vierge, prétendant que la période polpotiste a été une période de grande pureté à la fois idéologique et écologique.

74. Une vieille nonagénaire en pleine forme persécute sa fille déjà septuagénaire et manœuvre pour que celle-ci soit admise contre son gré dans une maison de retraite.

75. La cité et la région sont totalement désorganisées, la guerre n’a rien laissé debout, personne ne se propose pour prendre les rênes de la reconstruction. Les survivants sont rares et découragés, aucun responsable ne surgit. Les rabbins se contentent de donner des conseils. Une confrérie de clowns arrive de l’extérieur inhabitable et accepte à contre-cœur d’assumer la direction politique et matérielle de ce qui reste de la société.

76. Hiroshima est bombardé une deuxième fois, et de nouveau par les mêmes. Cette fois, l’ensemble de la région du Chugoku est carbonisé. Les pro-Américains ont du mal à faire valoir leurs arguments.

77. Dans un établissement de bains publics où des sauveteurs cherchent des survivants après un cataclysme, on découvre qu’une aile a été miraculeusement préservée. D’étranges baigneurs s’y prélassent. Ils parlent une langue que les sauveteurs ne comprennent pas et, quand ceux-ci s’approchent d’eux, ils les noient.

 

Abrupt est le pitch, abrupte est la fin d’une liste de pitches. À vrai dire, ce n’est pas notre genre préféré, et même pas notre genre du tout.

Signé : Infernus Iohannes

 

Ce texte est publié en partenariat avec La Marelle, lieu consacré aux littératures actuelles et situé à la Friche la Belle de Mai (Marseille), où Antoine Volodine va continuer une résidence d’écriture croisée avec le FRAC PACA et commencée avant le confinement.


Antoine Volodine

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