Ma première phrase
« Ils, c’est-à-dire ceux qui… »
Longtemps, j’ai soutenu que la ou les premières phrases sont la vérité de tout récit : l’instant où tombe une première phrase sur la page, c’est celui où l’archer japonais, tout entier projeté dans sa flèche et sa cible, pesant instinctivement la puissance et la courbure nécessaires à la réussite de son geste, ferme les yeux et lâche la corde de l’arc.
Du premier au dernier mot, chaque récit est d’abord un rythme et une tonalité, c’est-à-dire un mouvement soutenu par une ligne de basse, un battement cardiaque : à l’état microscopique, tout ce qui suit l’incipit doit y trouver son point d’origine ou sa logique, du début jusqu’à la fin, implicite mais d’emblée agissante, déterminante parce qu’elle est déterminée. En cela, il en va d’un roman comme d’un fleuve, dont la source est destinée à l’embouchure (sinon, il n’y aura pas de fleuve : un marécage, un étang). Le mouvement du fleuve pourra ici s’amplifier, là s’atténuer, il restera conditionné par le jaillissement initial : quand bien même mille affluents viendraient s’y jeter pour le rendre furieux au point de fertiliser tous les alentours de ses crues, toujours le débit du fleuve jusqu’à l’embouchure restera en relation avec le rythme à sa source, celle-ci produirait-elle à peine un murmure : un fleuve, comme un roman, n’est qu’un seul mouvement multipliant les variations en fonction des terres traversées, et jamais par hasard : la logique commande, elle a le sens de la pente et du limon, elle ne peut courir qu’à sa perte.
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Oui, j’ai longtemps soutenu cela et je le soutiendrai encore.
Mais, confiné en confinement ce printemps 2020, isolé en chambre dans l’appartement familial en raison de bouffées de fièvre qui me rappellent à l’ordre de la vie et à la nécessité de protéger mes proches d’un virus potentiellement mortel, et autant dire, brutalement renvoyé à moi-même sinon mis au piquet d’une impuissance radicale, force m’est pourtant de le reconnaître : quelle que soit l’importa