Nouvelle

La dernière forêt

Écrivain

À côté du « grand vertige » dont il a intitulé son dernier roman, à peine sorti à la fin de cet été, Pierre Ducrozet explore ici une sorte de suspension. Quand on ne sort pas vraiment du confinement, durant lequel on est parti vivre en bordure de forêt, qu’on se désadapte doucement. Sauf que l’existence en suspens du narrateur et habitant de « La dernière forêt » se noue justement à celle-ci, contre tous. Qui sait comment cela se terminera. Une nouvelle inédite.

Je me souviens encore du jour. De la couleur de l’air. Les cloches avaient sonné, allez bestiaux, c’est bon, vous êtes autorisés à repartir à la ville, au travail, à l’abattoir, à ce que vous voulez mais allez-y. Moi j’ai pas fait un geste. Léa a dit on y va. J’ai dit moi j’y vais pas. J’ai pas peur, c’est pas ça, mais je veux rester là. J’suis pas de la chair à canon, j’vois pas pourquoi j’irai m’user les mains sur les mêmes putains d’établis jusqu’à ma mort, je reste dans la forêt, je suis bien là. Comme tu voudras, m’a dit Léa. Moi je dois y aller. Tu m’appelleras quand tu seras prêt. Elle est montée dans la bagnole et elle est partie. Je l’ai regardée s’éloigner sur le petit chemin. Je me suis levé pour me resservir du café.

Je suis parti marcher sur les chemins. La forêt je l’avais fait mienne. Je connaissais tous ses recoins maintenant. On avait fait partie des déserteurs des villes, sans en être ni fiers ni honteux, quand l’annonce avait été faite on avait quitté notre deux-pièces pour nous installer ici, à T., dans cette maison familiale à l’abandon depuis quelques années – ma sœur préférait se casser ailleurs en vacances, en Toscane je crois. Pendant ces quelques mois on avait eu le temps de retaper tout ça, de refaire un jardin et un potager, d’écluser des tonneaux d’alcool et de nous déchirer, alors quand Léa a voulu repartir j’ai pas insisté.

Le chemin bifurque et arrive en haut de la colline. On émerge de la forêt, on la surplombe, massif vert carbone dont j’avale chaque jour le silence et le vrombissement.

Au-dessus habitent Ben et ses enfants, plus loin il y a Chloé, Roland, Paloma, on est devenus amis avec le passage des jours, tous identiques, ronds et légers, puis lentement plus lourds.

Je me suis dit pourquoi pas, après tout. J’ai besoin de rien pour vivre. J’ai installé mon bureau là-bas, dans la bibliothèque, la fenêtre donne sur les bois, un passereau se pose parfois devant moi, je fais chauffer du thé ou du café, à quoi bon repartir. Je ne lis pas, je n’écris pas, je ne peins pas, j’écoute de la musique. Chaque jour j’attaque par une couleur, je trouve la chanson ou le thème qui correspondent, et de là je divague librement. Ils vont m’attendre longtemps.

Les journées sont passées comme ça. J’ai agrandi le potager, j’ai planté des arbres fruitiers, j’avais presque tout ce qu’il fallait maintenant, avec les potes d’en haut on ajustait pour le reste, on s’échangeait ce qui nous manquait. J’avais pas été le seul bien sûr. Plusieurs autour avaient fait la même chose. On se retrouvait le soir parfois. Là-haut chez Ben on buvait comme des moujiks, on s’emmerdait tranquillement ensemble, sans stress, on se racontait des histoires, celles qu’on avait entendues un jour, ou qu’on avait lues dans les journaux.

Je m’étais laissé pousser les cheveux depuis un moment déjà, avant d’arriver ici, ils s’étaient éclaircis, de blond passé au brun, avec ma boucle d’oreille et mes pulls trop grands j’avais l’air fin.

J’ai lu les infos bien sûr. J’ai vu que ça reprenait comme en 40, ou peut-être 45 je sais plus, tout a redémarré sévère en tout cas, il fallait bien ça pour rattraper le retard de PIB et les points de retraite. Je ne juge pas, je trouve ça même plutôt bien, j’ai simplement froid le soir aux jambes, c’est pour ça que je me couvre avec la couverture rayée du chien.

Avec Léa on s’appelle souvent. Elle sait que je rentrerai bientôt, quand j’aurai plus que mes doigts à bouffer, quand je me ferai trop chier, quand la connexion internet pètera ou que j’en aurai marre de relire mes trois pauvres polars égarés dans le salon. Mais pour l’instant la chaudière suffit à mon bain quotidien, j’ai des bières, des clopes, des tomates, alors. Je regrette un peu les villes, c’est sûr, les bars surtout, être là au comptoir et n’attendre rien, boire des fraîches et causer au voisin, sa main peut-être sur l’épaule, ça oui c’était bien, mais bon.

Ce matin ça a frappé à la porte. J’étais occupé au premier à reproduire sur une feuille le dessin que traçaient dans l’air les guitares de Tom Verlaine et Richard Lloyd de Television. Ça a continué à frapper, j’ai dû m’interrompre.

— M. Verdier ?

— C’est moi.

— Êtes-vous bien le propriétaire de cette maison ?

— Oui oui.

— Le chemin forestier là-haut est à vous aussi. Il vous appartient donc de l’entretenir.

— J’en fais ce que je veux.

— Non, dit l’agent de sécurité très bien habillé. Il doit rester praticable.

— Pour ?

— Les véhicules, les passants.

— Y a personne ici.

— Y a nous. Et il y a la loi.

— Ça fait pas grand-monde ça.

— Cher monsieur, nous sommes des agents de sécurité nationale.

— Très bien, j’ai dit en refermant la porte.

Bande d’enculés, j’ai pensé en remuant mon café. Et j’ai repris mes études de riff, 3e saison, 2e épisode. J’avais Miles ensuite au programme, et si j’avais encore du temps (a priori il y en aurait), je voulais finir par mixer un peu d’électro sur mon nouveau logiciel.

L’après-midi j’ai marché longtemps entre les ronces et les orties, j’ai dépassé le mas et plongé dans la forêt derrière. C’est là que j’ai entendu le bruit. C’était le sanglier. On avait fini par se connaître, il faisait toujours assez vite machine arrière. Et puis j’ai entendu une voix. Ça c’était différent. Les pas aussi. Je me suis approché. C’était une fille, une petite fille en pleurs, pantalon noir sali et les mains sur le visage. Je lui ai demandé tu vas où. Elle m’a dit je sais pas. Je me suis agenouillé, je l’ai prise par la main, tu étais avec tes parents, elle pleurait, des mots peut-être mais allez savoir, on est repartis vers le chemin, viens, tout va bien se passer, on va les retrouver. Une fois chez moi je lui ai donné de l’eau, un thé, je lui ai dit de se reposer là. Puis quand elle s’est calmée je lui ai dit où sont tes parents. Ils étaient sur le chemin avec moi. Ils ont un numéro peut-être ? Je le connais pas. On attend là alors. La nuit est venue. Toujours rien. On a mangé une soupe, elle s’est endormie. Au petit jour une sirène. Je suis sorti, je me suis approché des flics. On cherche une petite. Oui, elle est là. Vous auriez pas pu appeler ? Mon téléphone marche plus. Putain elle est où, ils ont dit. Les parents étaient derrière, ils ont couru à l’intérieur. S’ils avaient pu me pousser dans la pente, ils l’auraient fait. J’ai pas essayé d’expliquer, ça semblait assez évident. J’ai répondu aux questions des flics. Le père a commencé à crier. Je lui ai de se calmer, que sans moi sa fille serait peut-être morte à l’heure qu’il est. Il a planté ses yeux dans les miens. Pour voir si ça pouvait me désintégrer. Ça n’a pas marché, ils sont repartis avec la petite.

J’ai retrouvé le calme et la musique. Je me suis ouvert une bière, il était un peu tôt – mais en fonction de quoi ? Putain qu’elle était fraîche. J’ai allongé mes jambes, je suis passé à autre chose.

Quelques jours plus tard Léa m’a appelé. C’est quoi cette histoire de fillette, elle m’a demandé. Y a pas d’histoire, j’ai dit. Tout le monde en parle ici, elle a dit. On a retrouvé une fillette chez toi. Putain ça veut dire quoi. La fille s’est perdue. Je l’ai retrouvée. Sans moi – eh ben c’est pas ce qui se dit, a dit Léa. J’ai allumé une clope, elle m’a raconté. Un vrai délire, la forêt hantée, tout le bordel, des kidnappings, la fille avait raconté qu’elle avait été enlevée, peut-être pour protéger ses parents, ou peut-être ses propres conneries, allez savoir, en tout cas un type aux cheveux longs et blonds l’avait emmenée. Il faut qu’ils arrêtent de délirer, j’ai dit. Léa a juste dit fais gaffe la prochaine fois, les gens sont en roue libre ici, et on a parlé d’autre chose.

C’est Paloma qui l’a vu en premier. Elle m’a dit regarde la camionnette. Je me suis dit ça doit être la voirie. Elle bougeait pas. J’ai continué ma route. Une autre voiture l’a remplacée le lendemain.

On s’est demandés avec Ben et Chloé. On savait bien tout ce qu’on racontait de la forêt. On connaissait surtout les ressources des sous-sols, qui auraient été bien utiles pour la grande reprise. Et puis ça représentait un immense espace. Avant le confinement ils avaient déjà essayé, les promoteurs, de reprendre les terrains. Il y avait eu un grand plan, étalé sur quatre ans, un ensemble hôtelier, des magasins, peut-être un centre commercial. Non mais les gars c’est n’importe quoi votre truc, avait dit Ben en se marrant. Y a rien ici, ni route, ni accès, rien, que des herbes folles et des renards, vous avez halluciné avec votre mall. On a ri un peu et puis on est passés à autre chose. On avait assez de bières pour ça.

On s’était de toute façon regroupés en copropriété. Tout ce qui était autour de la forêt était à nous. Pas de souci donc. Non, le seul problème, c’était la forêt elle-même. Elle appartenait à la mairie, enfin aux collectivités locales. Elles pouvaient rien en faire, c’est un domaine naturel, enfin je crois qu’on appelle ça comme ça, en tout cas on peut pas y toucher a priori.

C’est Ben qui a reçu la lettre. Une belle lettre à en-tête, avec la tronche de Marianne. Je l’ai lue après lui. J’ai dû relire pour comprendre. C’était des phrases compliquées pour rien dire. Ils allaient venir. Évaluer le terrain. Son insalubrité. Le danger qu’il représentait pour les riverains. Les ressources qui pourraient permettre à la région de se développer. J’ai pris la lettre et je suis monté dans la bagnole.

Y avait trois types et deux femmes devant moi à la mairie, j’ai attendu mon tour. Le gars à l’accueil m’a appelé. Le maire ne peut pas vous recevoir, il a dit d’une voix très claire, on aurait dit un acteur, mais l’adjoint aux territoires va trouver un moment. Une heure après j’étais devant lui. Il faut qu’ils viennent, m’a-t-il dit très lentement, comme si j’étais un demeuré, c’est la loi. Il n’est pas question de toucher à vos propriétés, évidemment, mais nous devons évaluer le terrain. Alors je lui ai expliqué. Calmement, moi aussi. Au bout de cinq minutes je me suis rendu compte que je tirais sur mes cheveux, c’était toujours mauvais signe, ça voulait dire que le calme, je commençais à le perdre. Il a encaissé, il a pas reculé d’un pouce. Je me suis levé.

Je suis allé voir Léa. Elle avait l’air en forme, assise à une terrasse. Je te manque pas tellement, je lui ai dit. Si, mais que veux-tu. Tu veux pas revenir, je vais pas te forcer. On a pris une bière, on s’est embrassés, je suis reparti.

J’avais un peu moins envie d’écouter les Pixies et Richie Hawtin. Je buvais toujours mes bières les pieds sur le rebord de la fenêtre, ça oui, mais il me fallait plutôt du Duke Ellington ou du Grateful Dead pour m’apaiser maintenant. Je m’en foutais bien, à vrai dire, j’avais la forêt pour moi, personne pour m’emmerder. Plus d’autre avenir que le mien, et ça m’allait.

J’ai commencé à revoir Paloma. On s’entendait bien finalement, chacun dans son style on était des ours. J’ai rasé ma tignasse. Ça a fait de longues traînées au sol. J’ai tout jeté dehors. Je me suis allongé dans le hamac, la grande rumeur m’a enveloppé.

Ça s’est passé comme ça, Monsieur. On était venus pour faire un feu, mais tranquille, simplement s’asseoir dans les bois vous voyez, discuter boire un coup, vous savez qu’on n’est pas des mauvais gars. On est partis tous les quatre dans la voiture de Karine, on est arrivés là-bas, on a commencé à descendre sur le petit chemin. Je sais on n’a pas trop le droit, mais faut nous comprendre, on a besoin de prendre l’air après tous ces mois, enfin vous savez. En bas on a trouvé un coin tranquille. On s’est posés là, on a préparé un petit feu. On sait faire, y avait pas de risques. C’est lui qui est venu en premier. Le grand blond, là, j’sais plus son nom. Il nous a dit de nous casser, comme ça, ni bonjour ni merde. On lui a dit qu’on faisait rien de mal, que la forêt était à tout le monde, on fait juste un petit feu et basta, on repart. Il a répété, vous vous cassez tout de suite. On n’a pas bougé. Damien il l’a regardé. Il a dit c’est quoi ton problème à toi. On nous avait dit que la forêt était hantée, mais c’est pas vrai, elle est juste pleine de gros cons comme toi. On reste un peu et on se casse, on t’a dit, alors tu nous fais pas chier. Il lui a dit ça, Damien. Le type a fait demi-tour. On a lancé nos chamallows dans les braises. C’est mon père qui m’avait montré ça. Ça a fait un pschit chelou, comme du plastique qui crame, et on a avalé c’était trop bon. Quand on a voulu remettre une tournée on a entendu les chiens. Ils étaient loin. Ils étaient pleins. On s’est levés. Ils étaient déjà sur nous. J’ai couru comme une bête moi aussi. J’ai entendu Damien crier, je me suis retourné je l’ai pas vu, j’ai continué. Putain ils étaient quoi, une vingtaine de clébards enragés sur nos pattes, vous trouvez ça normal vous ? Nous on n’est pas des balances, on n’est pas les potes des flics mais bon, là pas le choix, putain on a failli se faire bouffer crus, Damien je l’ai retrouvé en sang, je sais pas comment il a réussi à arriver à la bagnole, mais il était là, dedans, allongé gémissant. Ça va finalement, ils lui ont recousu ça, mais putain, c’est quoi ces bandes de sauvages. Vous allez faire quelque chose alors ? Un feu, ok, c’était peut-être pas génial, mais de là à nous faire bouffer. Ah et puis Karine elle a –

J’ai entendu, à l’aube, j’ai tout de suite su ce que c’était. On avait prévu un signal avec les autres, un appel manqué. J’ai mis mes grolles et j’ai couru vers la petite cabane derrière le chemin. Ben, Roland et Paloma sont arrivés. On a pris tout le matos qu’on avait préparé, les flash-balls, les bouteilles, les pétards, on est montés dans les trois bagnoles. C’étaient des camions cette fois-ci, une dizaine. Ils ont encerclé le domaine et alors ils ont commencé à descendre. Combien ils étaient, des centaines, flics, clébards, scientifiques, avec tous leurs putains d’ustensiles. On s’est regardés tous les six. On ferait pas le poids. On les a laissés faire. On était en haut, sur le promontoire, on regardait. Ça a duré des plombes. Ils sont repartis finalement. On est rentrés chez nous.

J’ai arrêté de lire les infos, j’ai arrêté de lire tout court, j’ai arrêté de parler, j’ai continué à boire.

La dernière forêt, voilà ce qu’ils voulaient. On était comme un chancre à la surface pour eux, un vestige de ce qu’on avait été, tous, et qu’on ne voulait plus être, à aucun prix. Tu sais, j’ai dit à Ben ce soir-là, ils veulent oublier ce qu’a été la crise, ce qu’elle a signifié pour eux, ce qu’elle aurait pu être et n’a pas été. C’est ça qu’ils veulent oublier. On est d’accord, a dit Ben, mais quel est le rapport avec nous ? Oh aucun. Simplement la forêt c’est nous, et dans la forêt y a tout ça. Tout ce qu’ils ne veulent plus être. Tout ce qui les effraie et les dégoûte. Ben m’a regardé. Prends plutôt un autre verre au lieu de dire des conneries. J’ai ouvert une bouteille et j’ai fermé ma gueule.

C’est Paloma qui m’a dit. Elle venait encore souvent, on écoutait de la musique en silence, elle repartait parfois, parfois pas. Dehors c’est la folie, elle m’a dit. Les gens sont devenus dingues. Ils l’étaient pas déjà avant ? Si, elle a dit, mais là. Mes potes à Toulouse, à Paris, à Londres, ils me racontent. On perd le contrôle, plus aucun scrupules, produire comme jamais, être encore plus cons qu’avant. Je m’en fous, j’ai dit. Je veux plus les voir, je veux plus voir personne. Je sais, elle a dit. Mais tu crois pas que c’est une erreur ? Quoi ? j’ai demandé. De se retirer comme ça, de se couper de tout. On perd nos forces, on n’est plus dans le jeu. On se fragilise. On va se faire bouffer. Elle a dit ça, Paloma. Je l’ai regardée. Tu penses ce que tu veux, je lui ai dit. Ce que tu veux. T’as sûrement raison d’ailleurs. Mais moi je bouge pas.

J’étais qu’un lâche, elle avait raison. Un incapable, les pieds cloués dans le sol, infoutu de bouger, de me lever, de reprendre le cours des choses. Je méritais bien ce qui m’arrivait. Les jours étaient comme les jours. Les nuits c’était un peu différent, mais à peine. Je m’enfonçais très clairement. J’avais essayé de tirer une situation à mon avantage, rien d’autre, et j’étais en train d’échouer. J’étais juste un type à la ramasse qui était devenu définitivement hors-jeu. Et là j’étais en roue libre. Mon sale caractère revenait. Y avait plus que lui à présent. Tout me soûlait. Les gens, la bouffe, même la forêt. Je démissionnais lentement du monde.

Ça n’a pas été un bruit lointain, il n’y a pas eu de sirène. Il n’y a rien eu d’ailleurs. Paloma est entrée sans frapper, elle est arrivée dans mon lit. Je dormais. Elle m’a dit viens, viens vite Jicé. J’ai senti tout de suite. L’odeur de cramé. Je suis sorti, le feu avait commencé à manger les hauteurs. J’appelle les pompiers, a dit Paloma. Non, j’ai dit, et je suis parti vers la cabane. Ben et Chloé y étaient déjà. Ils m’ont regardé, on fait quoi ? J’ai rien dit. J’ai pris le flash-ball, je suis sorti. Putain Jicé tu fais quoi. Je me suis pas retourné. Je suis monté sur la colline. Le feu galopait vers le bas. J’ai vu les voitures stationnées en haut. J’ai vu les gars autour. J’ai avancé lentement. Je savais me servir du truc. La bagnole de Ben s’est arrêtée devant moi. Monte, ils m’ont dit. Ils étaient trois dedans. Je me suis assis. On a fait le tour par derrière. Bientôt on les a eus à quelques mètres au-dessous de nous. On est sortis de la voiture. C’est Julie qui a donné le premier coup, ça l’a repoussée vers l’arrière. Les gars en bas se sont repliés vers leurs camions, ils ont attrapé leurs armes et répliqué. Je m’étais déplacé sur le côté, j’avais un meilleur angle. J’ai mis le masque avec le respirateur extérieur sur la gueule et je me suis mis en position. Ils étaient une vingtaine peut-être. J’ai appuyé. Le flash-ball a craché son jus. Ça a ricoché sur leurs camions, deux ont été touchés, un est tombé à terre. Les autres se sont tournés vers moi et alors ça a plu. Je n’avais qu’une pauvre pierre derrière laquelle m’abriter. Je me suis levé et j’ai tiré, je me suis planqué à nouveau. C’est là que je l’ai vue. C’était une forme par terre, j’ai couru. Paloma était allongée entre les herbes. C’est où ? j’ai crié, elle m’a montré ses hanches. Ça ira, une balle de flash ça crame mais ça tue pas. Je me suis relevé. La forêt cramait entièrement. Bientôt les flammes sur ma maison. J’ai regardé mon téléphone. Léa avait essayé d’appeler plusieurs fois. Je l’ai remis dans ma poche. J’ai regardé les flammes, jaune vif, rouge crade, les camions, j’ai vu mes potes accroupis derrière la bagnole. J’ai posé mon flash-ball au sol et j’ai avancé.


Pierre Ducrozet

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