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Qui est Louise Glück ? Le prix Nobel de littérature cette année nous aura, pour nombre d’entre nous, pris au dépourvu. Et aura eu le mérite de nous faire savoir que vit encore aujourd’hui cette poète américaine si reconnue aux États-Unis et si peu traduite en France. On a parlé d’Emily Dickinson pour donner une idée de sa poésie, et aussi d’objectivisme. Pour la découvrir vraiment, et en attendant les éditions qui ne manqueront pas d’arriver, voici trois poèmes inédits extraits du recueil Averno (2006) et traduits par Marie Olivier.

Les migrations nocturnes

 

Voici le moment où l’on voit de nouveau

les baies rouges de la cendre sur la montagne

et dans le ciel sombre

la migration nocturne des oiseaux.

 

Cela me peine de penser

que les morts ne les verront plus —

ces choses dont on dépend,

elles disparaissent.

 

Que fera l’âme pour se réconforter alors ?

Je me dis que, peut-être, elle n’aura

plus besoin de ces plaisirs ;

que, peut-être, ne plus être suffit tout simplement,

aussi difficile à imaginer que cela puisse paraître.

 

 

Télescope

Vient un instant, après avoir détourné les yeux,

où on oublie où l’on est

car on a vécu, semble-t-il,

ailleurs, dans le silence du ciel nocturne.

 

On cesse d’être présent au monde.

On se trouve dans un lieu différent,

un lieu où la vie humaine n’a pas de sens.

 

Pas une créature dans un corps.

On existe comme les étoiles existent,

et on participe à leur immobilité, leur immensité.

 

Puis on se retrouve dans le monde.

La nuit, sur une colline froide,

prenant le télescope à part.

 

On comprend alors,

non pas que l’image est fausse

mais que la relation est fausse.

 

Une nouvelle fois, on s’aperçoit à quel point

chaque chose est éloignée de toute autre.

 

 

Grive

 

La neige commença à tomber sur la surface de la terre entière.

Non, ce n’est pas possible. Et pourtant, je sentais bien que ça l’était,

la neige tombait de plus en plus épaisse sur tout ce que je pouvais voir.

Les pins devinrent gelés et cassants.

 

Voici l’endroit dont je t’ai parlé,

où je venais la nuit observer le carouge à épaulettes,

que l’on appelle grive par ici —

petite étincelle de vie qui disparaît —

 

Mais à mon sens — la culpabilité que je ressens doit signifier

que je n’ai pas très bien vécu.

 

Quelqu’un comme moi n’y échappe pas. Je crois que l’on s’endort un instant,

avant de descendre dans la terreur de la vie prochaine

à cela près que

 

l’âme revient sous une autre forme,

plus ou moins consciente de ce qu’elle était avant,

plus ou moins envieuse.

 

Après de nombreuses vies, peut-être que quelque chose change.

Je crois que, cette chose que l’on désire,

on finira par la voir —

 

Et alors, on n’aurait plus besoin

de mourir pour revenir.

 

 

Louise Glück, Averno, © Farrar, Strauss and Giroux, 2006.
Traduction de Marie Olivier


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