Roman (extrait)

Alegría

Écrivain

« Je me prépare bien à la mort. » Ce programme est celui du prochain livre de l’écrivain espagnol Manuel Vilas, à paraître en janvier prochain aux Éditions du sous-sol dans la traduction d’Isabelle Gugnon, qui avait déjà traduit le très émouvant Ordesa paru en 2019. Ouvrir la possibilité de la joie, au présent mais aussi par l’afflux des souvenirs, par la conscience de ce qu’on a perdu, et même la pente dépressive, est la méthode. Premières pages inédites d’Alegría, pour ouvrir notre série d’hiver des bonnes feuilles étrangères de la rentrée prochaine.

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Tout ce que nous avons aimé et perdu, que nous avons aimé énormément, que nous avons aimé sans savoir qu’un jour on nous l’enlèverait, tout ce qui, une fois perdu, n’a pas pu nous détruire, bien qu’ayant insisté en y mettant une force surnaturelle et cherché notre ruine avec cruauté et obstination, finit tôt ou tard par se changer en joie.

L’âme humaine n’aurait pas dû descendre sur terre.

Elle aurait dû rester dans les hauteurs, les abîmes célestes, les étoiles, l’espace profond. Elle aurait dû rester éloignée du temps ; l’âme humaine aurait été meilleure sans être humaine car l’âme vieillit au soleil, s’étiole, s’enfonce et se consume en millions de questions éparpillées à propos du passé, du présent et du futur qui forment un seul temps, propre à chacun de nous, un temps où l’amour est un désir permanent qui ne se réalise pas, nous prévient de la beauté de la vie et puis s’en va.

Il s’en va.

Il nous laisse dans un silence puissant, amer et subtil.

Des millions de questions qui ont été des humains avant de devenir des questions. Des millions de corps, des millions de pères, de mères, de fils et de filles.

Et nous demeurons seuls et transis.

L’âme humaine c’est nous, nous tous, cherchant de l’amour, cherchant tous à être aimés chaque jour et attendant chaque jour la venue de la joie. Qu’attendre d’autre sinon ?

Comme nous aimerions tous que la vie ait un ordre et un sens, alors qu’elle n’est faite que de temps et d’adieux fugitifs, et que dans ces adieux vit l’amour immense que je ressens à présent.

Tel est mon chaos, tel est mon désordre.

Je suis là, désemparé tout en sentant la force de la joie, mais également plein de la rage indéfinie de la vie.

Comme tous les humains.

Parce que nous sommes tous pareils.

Et dans cette joie dévorante se trouve toute la conscience de la vie que nous avons été capables d’accumuler.

Au début de l’année 2018, j’ai publié un roman qui est le récit de ma vie. Ce livre est devenu un abîme.

Dans ce livre vivait l’histoire de ma fami


Manuel Vilas

Écrivain