Nouvelle

Friday Black

Écrivain

À l’heure où vous lirez ces lignes peut-être aurez-vous profité du Black Friday spécial millésime 2020, ou bien au contraire y aurez-vous échappé. Heureusement, vous n’aviez pas encore découvert « Friday Black ». Un simple renversement des deux termes et Nana Kwame Adjei-Brenyah, jeune écrivain afro-américain qui signe son premier recueil de nouvelles, fait entendre toute la polysémie. Notamment, dans la nouvelle éponyme du volume à paraître chez Albin Michel en janvier, la noirceur d’un monde de consommateurs zombifiés. Critique sociale satirique, dystopie acide, réalisme lucide, le tout dans la traduction de Stéphane Roques.

« Tous à vos rayons ! » crie Angela.

Un hurlement d’humains affamés. Notre rideau de fer gémit et grince tandis qu’ils le secouent et le tirent, leurs doigts sales remuant comme des vers à travers la grille. Je suis assis sur le toit d’une minuscule cabane en plastique rigide. Mes jambes pendent à hauteur des fenêtres, et des vestes polaires pendent à l’intérieur de la cabane. Je resserre ma prise, une barre métallique de deux mètres de long équipée à son extrémité d’une petite bouche en plastique qui permet de décrocher les cintres des portants les plus hauts. C’est aussi de cette barre que je me sers ce jour-là pour frapper les clients sur la tête. C’est mon quatrième Black Friday. Lors du premier, un gars du Connecticut m’a mordu au triceps en y laissant un trou. Sa bave chaude. J’ai quitté l’étage des soldes dix minutes, le temps qu’on me rafistole. Résultat, j’ai désormais un sourire dentelé tatoué sur le bras gauche. Une faucille, un demi-cercle, ma cicatrice porte-bonheur du Friday. J’entends les chaussures de Richard couiner dans ma direction.

« T’es prêt, mon gaillard ? » me demande-t-il. J’ouvre un œil et le regarde. Il ne m’est jamais arrivé de ne pas être prêt, alors je ne dis rien et referme les yeux. « Je vois, je vois. L’œil du tigre ! Ça me plaît », dit Richard. Je hoche lentement la tête. Il est tendu. C’est le directeur régional, et nous sommes ici au Monumental Centre Commercial. Dans la plus grande boutique de son secteur. On est censés faire un million de chiffre d’affaires au cours des trente prochains jours. Essentiellement grâce à moi.

Le rideau métallique craque et crisse.

« J’ai vu la SuperShell dans la réserve. C’est quoi sa taille, M ou L ?

— L », dis-je en ouvrant les yeux.

On organise un concours : la personne qui vend le plus d’articles soldés peut prendre le manteau de son choix dans le magasin. Quand Richard m’a demandé ce que j’allais faire si je gagnais, je lui ai répondu que lorsque j’aurai gagné, j’offrirai une parka SuperShell à


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