Monsieur Breton et l’interview
L’interview allait démarrer. Monsieur Breton s’assit, alluma une cigarette, fuma un peu. Puis il mit en marche le dictaphone. Et commença l’interview.
Première question
Permettez-moi de vous poser une question, monsieur Breton. Chacun de nous connaît la nuit et les deux côtés qu’ont toutes les nuits : la nuit à l’intérieur de la maison et la nuit à l’extérieur de la maison. Autrement dit : il y a la tranquillité et le prévisible, et il y a également la peur et l’étrangeté. Évidemment, on pourra toujours dire que la poésie ne se trouve ni d’un côté ni de l’autre : la nuit a deux côtés et la poésie est la porte de la maison lorsqu’elle est ouverte et que l’obscurité a recouvert l’herbe et le ciel. Mais quand quelqu’un a peur, il doit rentrer chez lui en courant ; et quand il s’ennuie, il doit courir vers la partie extérieure de la nuit. La poésie, qui a l’air d’une chose figée, est capable de résoudre à la fois le problème de l’ennui et celui de la peur ; ce qui est bien, et double, alors que la poésie n’est qu’une.
Une chose qui progresse en même temps de son côté droit et de son côté gauche n’est pas une chose utile (car l’utilité est affaire de distances exactes et de graphiques prévisionnels), mais bien plutôt une chose sacrée et magique.
Sous la peau, le vers d’un poème n’est pas la même chose qu’une douleur ou qu’une inflammation affectant un organe. On ne le fait pas disparaître avec des médicaments. Un vers qu’on connaît par cœur ne disparaît que sous l’effet d’une brutale amnésie. Ou, alors, par l’excès d’information que le monde imbécile nous oblige à emmagasiner. Parce qu’un vers n’a pas le même timbre qu’une information. Juste un exemple : les hommes qui se lèvent ne sont pas de la même espèce animale que les hommes qui sont jetés à terre et n’en bougent plus. N’est-ce pas ? Êtes-vous d’accord, monsieur Breton ?
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Monsieur Breton ne répondit pas à la question. Il se leva de sa chaise.
Il regarda devant lui et se vit lui-même.
Monsieur Breton avait pl