L’épouse fidèle
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Si vous n’avez jamais aimé avec une fidélité si lumineuse qu’elle vous pousse à attendre une femme morte au croisement de deux routes à minuit, alors la question de savoir comment il se fait que la Roumanie produit moins de vampires aujourd’hui que jadis doit vous paraître insoluble. La timidité devient sa propre excuse ; et peut-être n’avez-vous jamais osé même voir votre conjoint nu, et moins encore encercueillé. Nombreux sont ceux de nos jours qui répugnent à baiser le front d’un mort. Une épouse meurt seule dans un lit d’hôpital, au petit matin, quand l’infirmière s’assied pour s’assoupir, tandis que l’agent d’entretien pose son menton sur le manche de son balai-serpillière. Au milieu de la matinée, le mari passe une tête pour l’identifier ; puis vient le croque-mort pour clouer son cercueil, ou, selon les cas, le médecin légiste pour lui ouvrir le ventre. Les cendres retournent aux cendres, promet le prêtre, mais si elle devait ne pas se décomposer de cette manière, qui sera tenu au fait de ce merveilleux miracle sinon le cœur véritable qui vient au croisement des routes à minuit partager un baiser ? Satan, dit-on, est capable de parler même à travers un crâne pourrissant – simple affirmation dont vous vous saisissez, vous qui n’avez jamais aimé courageusement. Vous en remettant avec entêtement aux tristes soupirs de votre conscience selon laquelle vous seriez incapable de la distinguer de Satan, vous déclinez de rendre visite à votre propre femme, oubliant que la solitude est l’œuvre du Diable – et quelle plus grande solitude que celle d’une belle femme morte retournant au cimetière privée de la douce étreinte de quiconque ? Permettez-moi de vous dire ceci : En Roumanie, naguère, il n’était pas entièrement inédit que des vampires femelles se glissent chez elles pour retrouver leurs enfants ; et en Grèce, le cordonnier Alexandre de Pyrgos mourut, se transforma en l’un de ces monstres à la peau brune comme du cuir et au ventre gonflé qu’on appelle là-bas des