Art contemporain2
TUNNELS
Il fallait être très riche, et davantage encore imprégné des croyances idiotes de l’enfance, pour entreprendre Tunnels.
Vlad Mercy réunissait incontestablement ces deux conditions. Il le fit, donc.
Le premier tunnel fut creusé avec des engins de facture albanaise, récupérés à la suite de l’arrêt du chantier de la tour de Vaison-la-Romaine, partie pour être la plus grande tour d’Europe occidentale et piétiner the Shard à Londres – sorte d’orgueilleuse épine que le Brexit à venir de toutes façons devra réduire à néant – puis stoppée net par le conseil départemental du Vaucluse, qui fit remarquer que l’ensemble des autorisations signées n’étaient pas au format, et vraisemblablement d’ailleurs constituaient des faux extirpés par corruption, coercition ou complaisance à des fonctionnaires véreux et sous-payés logés dans un cabanon pourri d’un chef-lieu de canton de second ordre. Vaison fut libérée de ses pelleteuses, de ses grues, de ses bulldozers, les habitants respirèrent, et Vlad Mercy se tourna vers le tunnel. Ou, plus précisément, l’idée du tunnel.
Quand on est petit, qu’on apprend que la terre est ronde, on se pose des questions, c’est l’âge. On se demande si, en creusant beaucoup et longtemps, avec obstination certes mais aussi rectilinéarité, on arrive en Chine. Et donc on hésite sur ce que, projetant à la surface la dernière pelletée de terre, l’on devra dire à l’indigène rencontré là, prévisiblement fort surpris, et dont on ne parle pas la langue. Ou peut-être faut-il apprendre le chinois avant de creuser le tunnel ? Mais mandarin ou cantonais, comment savoir ?
Multimillionnaire ou milliardaire, Vlad Mercy savait qu’il avait les moyens de répondre aux questions de l’enfance. L’échec de la tour de Vaison lui en donnait l’occasion, grâce à ces dizaines d’engins en déshérence et ces centaines de bras musclés, aguerris, aléatoirement déclarés à la Sécurité sociale et au fisc, et désœuvrés.
Il allait leur donner du travail et même une mission.
Ils creusera