Récits

Art contemporain2

Philosophe

L’art était censé imiter la vie, puis les choses de la vie ont pu devenir art, au point, selon Philippe Huneman, que c’est maintenant l’art qui semble se transmuer en vie. « L’art contemporain est devenu un art au carré », lit-on dans l’introduction de son recueil en cours de finition. Le philosophe a inventé trente-deux œuvres et autant de récits pour explorer, et critiquer, le dédoublement à l’infini d’un « art fait vie » et d’une « vie faite art » – la question n’est pas close. Voici deux de ces œuvres, installations ou performances à lire et imaginer.

TUNNELS

Il fallait être très riche, et davantage encore imprégné des croyances idiotes de l’enfance, pour entreprendre Tunnels.

Vlad Mercy réunissait incontestablement ces deux conditions. Il le fit, donc.

Le premier tunnel fut creusé avec des engins de facture albanaise, récupérés à la suite de l’arrêt du chantier de la tour de Vaison-la-Romaine, partie pour être la plus grande tour d’Europe occidentale et piétiner the Shard à Londres – sorte d’orgueilleuse épine que le Brexit à venir de toutes façons devra réduire à néant – puis stoppée net par le conseil départemental du Vaucluse, qui fit remarquer que l’ensemble des autorisations signées n’étaient pas au format, et vraisemblablement d’ailleurs constituaient des faux extirpés par corruption, coercition ou complaisance à des fonctionnaires véreux et sous-payés logés dans un cabanon pourri d’un chef-lieu de canton de second ordre. Vaison fut libérée de ses pelleteuses, de ses grues, de ses bulldozers, les habitants respirèrent, et Vlad Mercy se tourna vers le tunnel. Ou, plus précisément, l’idée du tunnel.

Quand on est petit, qu’on apprend que la terre est ronde, on se pose des questions, c’est l’âge. On se demande si, en creusant beaucoup et longtemps, avec obstination certes mais aussi rectilinéarité, on arrive en Chine. Et donc on hésite sur ce que, projetant à la surface la dernière pelletée de terre, l’on devra dire à l’indigène rencontré là, prévisiblement fort surpris, et dont on ne parle pas la langue. Ou peut-être faut-il apprendre le chinois avant de creuser le tunnel ? Mais mandarin ou cantonais, comment savoir ?

Multimillionnaire ou milliardaire, Vlad Mercy savait qu’il avait les moyens de répondre aux questions de l’enfance. L’échec de la tour de Vaison lui en donnait l’occasion, grâce à ces dizaines d’engins en déshérence et ces centaines de bras musclés, aguerris, aléatoirement déclarés à la Sécurité sociale et au fisc, et désœuvrés.

Il allait leur donner du travail et même une mission.

Ils creuseraient un trou, un immense trou. Vlad Mercy avait des lettres, et il se souvint de l’étrange aphorisme de Kafka qui dit « nous creusons la fosse de Babel ». Il avait toujours trouvé cela parfaitement juste, sans pouvoir s’expliquer pourquoi.

C’était à lui qu’incomberait, aujourd’hui, un siècle après Kafka et de nombreux siècles après Babel, la fosse en question, ou quelque chose d’approchant. Les fosses, plutôt.

Le trou devait traverser une bonne partie de la croûte terrestre. Non pas pour aller au centre de la Terre, utopie dont on sait depuis Jules Verne que la réalisation s’avérerait problématique – mais entrer, puis sortir. Faire communiquer ainsi Vaison avec son ailleurs.

 

Adolescent, Vlad Mercy eut une période « astronomie ». Il lisait des ouvrages jeunesse expliquant avec plus ou moins d’adresse les subtilités des nébuleuses, des quasars et des pulsars, du Big Bang et de la brisure de symétrie à des jeunes filles et jeunes gens curieux mais dépourvus des outils mathématiques idoines. Il avait, comme tout le monde, été fasciné par les trous noirs. Plus précisément, il avait été happé – comme il le disait lui-même pour faire un jeu de mots pathétique – par cette théorie alors émergente sur les « trous de ver ». En effet, à force de se demander ce qu’il y a « dans » un trou noir – et au mépris des règles de la physique fondamentale qui disent qu’il ne faut jamais interpréter au pied de la lettre tous les termes spatiaux – certains chercheurs en vinrent à faire l’hypothèse qu’existaient dans l’univers des « trous blancs », vertigineux envers des trous noirs, soit des lieux si négativement denses qu’aucune particule fût-elle de lumière ne supportait d’y demeurer même un instant ; l’exact symétrique, donc, du trou noir, objet si dense qu’il retient absolument tout ce qui, matière comme lumière, s’en approche un tant soit peu. Évidemment, cette théorie hétérodoxe postulait alors que les trous noir et blancs communiquaient essentiellement et selon une géométrie inouïe. « Trou de ver » était le nom d’une telle communication, grâce à laquelle ce qui pénétrait dans le trou noir ressortait dans le trou blanc, mais – magie de ladite théorie ! – en un autre lieu de l’espace-temps : ailleurs, et surtout dans un passé ou un avenir imprédictibles.

Cette théorie bien sûr reste purement mathématique, bien malin qui pourrait trouver comment la confirmer ou l’infirmer expérimentalement. Reste qu’elle suffit largement à inspirer Vlad Mercy adulte.

Le tunnel comme le trou de vers constituent des objets ambigus, des passages entre quelque chose et son autre. Creuser Vaison, assez loin pour parvenir à Ispahan, telle était l’idée. On n’est certes pas dans le grand écart cosmique du trou de vers, on n’atterrit pas dans un futur innommable ou à l’époque des premiers stromatolithes, non – on parvient juste ailleurs, et loin, en s’épargnant les intermédiaires.

 

Le premier tunnel demanda cinq mois de travaux. La direction comme le lieu de remontée en surface devaient être aléatoires. Il se trouva qu’on aboutissait en un endroit reculé des Pyrénées. Quelques bergers virent les premières pelleteuses, surpris, et ne comprirent pas. De fait, on ne comprend toujours pas vraiment cette affaire, alors même qu’il existe aujourd’hui trente-sept tunnels, et que l’œuvre n’en est qu’à sa phase liminaire.

Vlad Mercy comprit, lui, en achevant ce tunnel inaugural qu’il serait précisément le premier d’une longue collection. Tunnels, comme se nommerait celle-ci, devait rendre visible sur la terre entière ces passages qui font que le jour communique avec la nuit, les fanatiques avec les sans-dieu, la misère avec l’opulence, l’avenir avec l’immémorial. Plus tard, ces tunnels seront les courts-circuits qui démontrent que la Terre où habite l’humain est en vérité une immense collusion d’opposés, d’antonymes, ou simplement d’hétérogènes, comme ce qu’instantient à leurs manières ces trous de ver qui réaliseraient astrophysiquement la communion d’un passé et d’un futur infinis.

Le troisième tunnel allait déjà en ce sens, avant même que Vlad Mercy ne prît conscience que pareille démonstration serait son œuvre et qu’il serait l’homme d’une œuvre. Il choisit de le percer dans une région aride de l’Algarve, comptant sur la curiosité des touristes nombreux par là-bas pour récupérer des sommes conséquentes qu’il investirait ensuite dans le maintien du trou. Sa fin, elle, se décida quelque part au sud de Tanger. On en sortait près d’une route montagneuse où une poignée de paysans avaient installé un stand de vente de pierres soi-disant locales. Quelques-uns prirent le tunnel dans l’autre sens. Ils connurent l’Algarve, le fado, la passion du Christ, la morue, tout ce que les guides présentent ou ânonnent de ce qui fait la « lusitanité » (pour paraphraser un autre auteur moderne ; Vlad Mercy, comme dit, avait des lettres). Ils surent l’envers de leur monde, et c’était bien là l’enjeu.

Ces envers se multiplièrent. Les tunnels visèrent progressivement plus loin. Certains débouchaient à une distance de plusieurs parallèles, d’autres franchissaient des fuseaux horaires. On dut penser à des moyens de transport intérieurs aux tunnels, la simple gravité ne suffisant plus à l’affaire.

Les gens allaient et venaient le long des tunnels ; peu nombreux certes, puisqu’il fallait être bien courageux ou, comme on dit maintenant, bien neurodivers pour s’aventurer sans idée du but dans un trou obscur et large. Le bruit se répandit, dans le même temps, que ces tunnels étaient multiples, qu’ils se diffusaient à la surface de la Terre et sous elle comme une nouvelle religion.

On s’interrogeait sur leur raison d’être et sur la raison de leur concepteur quand celui-ci venait à être connu.

La raison en était simple, pourtant. Les courts-circuits souterrains étaient bien davantage que du land art, même si certains critiques saisirent d’emblée la continuité entre Tunnels et les plus fameuses réalisations de cette école artistique, ces ponts emballés, et surtout ces trous creusés dans le désert par David Smith, dont on se demande aujourd’hui, trente ans après, comment les protéger du sable, du vent, de l’érosion, de tout ce qui les empêche d’accéder à la pérennité propre à l’œuvre d’art.

 

Tunnels, donc, ne se contentait pas de pousser ces trous jusqu’à leur terme. Tunnels entendait mettre l’humain face à l’humain, à cette part de lui demeurée en lui sans se laisser connaître parce qu’elle prend le visage de son contraire. Il incarne en quelque sorte une très vieille et très naïve mythologie, qu’on trouve dans le vrai Tao et les resucées indigestes du bouddhisme depuis les temps hippies aussi bien que dans les mythes gnostiques qui inspirèrent les légendes d’Antigone ou d’Œdipe, ou tout simplement dans ces contrastes de valeurs familialement incarnés qui firent le succès des Star Wars au cinéma. Les Jedi et leurs Sith, les Yin et leur Yang, la Reine de la Nuit et son Sarastro. Sauf que dans la vraie vie nul ne sait qui est la Reine et qui Sarastro, puisque dans tout Sarastro il y a une reine, dans toute reine un Sarastro, et ainsi de suite fractalement à l’infini.

Les tunnels ajointent ainsi chaque Sarastro à sa Reine de la Nuit intérieure, et réciproquement. Tunnels parsème la Terre de ces rencontres, initialement totalement fortuites puisque le cours d’un tunnel est toujours hasardeux – la machine à coudre et le parapluie lautréamontais, autre réminiscence littéraire, avaient guidé là l’inspiration de l’artiste – mais à la fin, et à la vérité, profondément nécessaires parce que révélant l’envers des choses.

Le paisible Trobriandais proche du tunnel numéro 32 (un des plus difficiles techniquement à creuser, on doit le souligner) est le rêve comme la vie intérieure de ce consultant aliéné et riche de Singapour qui aura vu, stupéfait, la terre s’ouvrir doucement, juste en face des locaux de sa compagnie internationale de droit des affaires, pour laisser émerger sept foreuses ensablées. Le républicain du Midwest, nourri à la haine de la science et de la race noire, rencontre au sortir de son tunnel la figure juive, new-yorkaise et homosexuelle d’un critique rock underground – total cliché, donc, de ce qu’il a tant haï. Le pêcheur en eau douce de Sumatra reconverti en ramasseur de plastique – suite à l’envahissement de son ruisseau par des kilotonnes de détritus et de sacs plastiques – est transporté au pied d’une interminable tour chinoise qui abrite ceux dont les décisions transforment sa jungle en misère, en ruines, en bouillon de culture ou – c’est selon – en antichambre des espèces plasticovores à naître, lesquelles demain règneront sur le monde.

Et cette frénésie de tunnels éparpillés sur la planète – dont nul ne sait quand elle s’arrêtera puisque tous ignorent les plans de l’auteur, même si bien des creusements sont encore en cours, peu sachant combien exactement – devrait aboutir à une déflagration encore inouïe. De celle-ci, peut-être, la meilleure image est à nouveau à chercher chez les physiciens d’aujourd’hui lorsqu’ils tentent d’imaginer la rencontre improbable entre matière et antimatière. La seconde est la perdante, en un sens, puisqu’à l’origine du monde elle existait tout autant que sa rivale, la matière, et puis, nul ne sait comment, elle aurait perdu la partie, se serait raréfiée jusqu’à n’être plus ; mais si d’aventure un grain d’antimatière rencontrait une molécule de matière, s’ensuivrait alors une conflagration à même de détruire l’univers entier.

Telle est donc l’imagerie scientiste qui soutient Tunnels, la violence en moins, puisqu’il ne s’agit pas tant de détruire le monde que de le mener à la révélation de ce qu’il est vraiment. Faible nuance, diront les avertis, qui savent qu’Apocalypse originellement et dans le texte ne veut dire que Révélation.

Une apocalypse par le creux, en quelque sorte. Par le creusement, par la fosse – de Babel. Et via laquelle l’humain enfin – autre vieux mythe, grec celui-ci – se réconcilierait avec sa moitié manquante et délaissée, rachetant enfin le malheur de la tour biblique.

Car à la fin les tunnels ne relieraient pas tant les cultures, les sociétés ou les hommes, que des fragments de ce que c’est que d’être humain, des fragments de vous ou de moi. Il s’agirait ultimement de ces tunnels dans lesquels chacun entre avec toute sa philanthropie, son amour des autres, sa générosité, pour faire face ensuite à l’infernale haine de soi qui l’habite, à des envies de désert ou d’extermination à lui inimaginables ; de ces puits qui en vérité sont légion, au fond desquels la bonne volonté se fait piège, destruction ou geôle ; de ces passages que chacun, de son propre gré ou pas, sciemment ou non, emprunte et où les choix s’avèrent contraintes, où les affinités, pire que se défaire, se font exclusion, la charité, forme extrême de l’assujettissement, le pardon, meilleure arme de vengeance, la mémoire, palimpseste puis oubli – où la parole donnée se voit toujours reprise, le désir tourne au dégoût sans lassitude, la lassitude elle-même se retournant en figure extrême de l’excitation. En un fugace instant qui fut sa révélation personnelle, Vlad Mercy saisit pour aussitôt l’oublier que ces tunnels ne sont même plus ces « trous de ver » où des astrophysiciens avant-gardistes croient déchiffrer un court-circuit du temps, mais constituent plutôt le temps lui-même.

Un tunnel qui serait ce que la vie humaine ne sait pas de la vie, ou ne veut pas savoir.

 

LEAVING

Chacun constate que parfois certains humains laissent sur le trottoir des traces plus massives que la plupart des autres devant chez eux ou ce qu’on stipule être chez eux. En particulier, lors de changements de lieux, emménagement / déménagement dans un immeuble neuf, une nouvelle ville, voire une contrée lointaine, beaucoup profitent de l’occasion pour déverser dans l’espace public des objets – généralement ; moins souvent, ce sont des animaux, plutôt morts, ou plus rarement encore des personnes, mortes ou embaumées, mais comme on sait, tout arrive – dont ils n’ont plus l’utilité, pour lesquels ils n’ont plus d’affection, d’affects, ou qui à l’inverse engendrent des affects trop insupportables ou trop longtemps supportés pour ne pas laisser filer une rare opportunité de les balancer en-dehors de chez soi, voire par la fenêtre, avec la violence qui leur sied.

Un tel constat sert de point de départ à la démarche de Sylvie Vertu dans Leaving, une œuvre que l’on peut découvrir quelques jours encore à l’espace Mertz. Plusieurs mois durant, Sylvie Vertu a en effet arpenté les territoires urbains, en quête des massives traces de ce que certains appellent les migrations acycliques de l’espèce. Le postulat commun à cette artiste et à de nombreux services de renseignement étatiques ou officines d’enquête privées est bien simple : les déchets en disent long sur leurs émetteurs. Postulat bien avéré, puisqu’il sert aussi, de nos jours, de point de départ aux éthologues ou aux paléontologues pour connaître le régime et éventuellement les mœurs d’animaux rares ou disparus. Après tout, on a bien pu reconstituer récemment le régime de certains Neandertals à partir de leurs fèces fossilisées.

L’artiste se conçoit d’ailleurs elle-même comme un croisement entre l’écologue et le détective. Comme eux, elle suit à la trace, ou plutôt suit la trace, d’un groupe d’humains sans frontières précises.

L’investigation se déroule à Paris, à San Francisco, à Casablanca ou à Palerme. Elle aura nécessité des heures de marche, ou parfois de veille pour saisir, sur la base de quelques prémices, le geste même de qui déverse à l’aube sur le trottoir des pelletées de caisses mal fermées, de sacs plastiques débordants, de meubles moisis ou bringuebalants, de plantes mortes et de souvenirs trop vivaces. À la différence de nombre de plasticiens contemporains ou concurrents, Sylvie Vertu n’eut recours qu’à un très léger équipement : un appareil photo reflex plein format Nikon, de bonnes chaussures, quelques cartes et, comme tout le monde, un GPS logé dans son téléphone. Et puis la paire de lunettes de soleil la plus anodine qui soit.

Un portrait photo ouvre l’exposition, un autre le clôt. Portraits non pas pris par l’artiste, mais trouvés dans des sacs poubelle délaissés, parmi une masse d’autres objets et contenants, au 6 rue Pelleport dans le vingtième arrondissement de Paris pour l’un, et sur le terre-plein central face au 756 boulevard Mohammed V à Casablanca pour l’autre. Le premier représente un enfant d’une douzaine d’années qui tient un objet fétiche des années 80, un Rubik’s cube visiblement mal engagé pour son joueur. On imagine aisément que l’enfant n’a jamais réussi à terminer son Rubik’s cube – à rendre les faces homogènes en couleurs –, l’a posé un jour dans un coin puis ne s’en est plus jamais souvenu, a étudié un métier plus ou moins compliqué, l’a pratiqué, a eu un ou deux enfants avec une femme indubitablement (c’est les années 2000, l’utérus artificiel n’est pas encore au point, il faudra attendre un tantinet), a changé de maison trois ou quatre fois, peut-être de vie, probablement pas de sexe si l’on se fie aux statistiques, a fait il y a peu ses valises ou ses paquets pour quitter ce quartier de Gambetta assailli par une gentrification irréfutable, emballant nocturnement les affaires de toute sa famille, peu enclin à faire des concessions ou à être indulgent envers le surplus ou le surpoids prévisible de choses à embarquer (si l’on estime son âge en le rapportant à la photo au Rubik’s cube), et entreposant finalement une dizaine de sacs et de cartons sur son perron, ou quelques mètres plus loin pour éviter qu’une hypothétique police de la pollution nocturne par « gros encombrants » (selon la désignation qu’adopte la nomenclature officielle) note l’adresse et le sanctionne le lendemain, avant d’accueillir deux gros camions de déménagement qui viennent à l’aube collecter meubles et paquets sains ou utiles pour les délivrer au crépuscule dans une villa maintenant bien plus spacieuse près de Nyons, d’Annonay ou d’Annemasse.

L’histoire récente du Maroc est plus inexplorée encore que celle de la France et le portrait de vieille dame en robe de lin serrant dans ses bras deux bébés à l’air maussade ne permet guère de construire l’histoire du personnage qui, raisonnablement, serait impliqué dans l’étiologie des deux colis de vêtements, de jouets et de photos que Sylvie Vertu ramassa sur la chaussée du boulevard Mohammed V. L’exposition se clôt ainsi par un point d’interrogation ou des points de suspension – on choisira ici la métaphore grammaticale que l’on préfère.

Entre ces deux jalons, certains clichés nous montrent un homme ou une femme qui dans l’obscurité se déleste ainsi d’une part bien matérielle de son passé. (On soulignera que les lieux où l’artiste a enquêté partagent une même législation qui sanctionne le dépôt diurne ou nocturne de ces « gros encombrants » sur la voie publique ; en ces temps de changement climatique, d’explosion populationnelle, d’appauvrissement des ressources, d’érosion de la biodiversité ou de baisse généralisée de la qualité des cerveaux et des spermatozoïdes, on comprend bien.) Cet homme ou cette femme n’est donc généralement qu’une ombre sur l’image, parce qu’il ou elle va vite et se veut discret, et parce que les temps d’exposition pour saisir un acte à la fois répréhensible et, surtout, nocturne, sont relativement longs malgré les progrès démesurés faits par la technique de la photo numérique depuis son invention.

L’artiste a voulu saisir l’acte de laisser derrière soi lorsqu’on quitte un lieu – se laisser soi-même, ou bien des parts plus ou moins encombrantes, tangibles, conséquentes ou lourdes de soi-même. Et, au-delà de ce qu’on laisse – leaving, c’est à la fois laisser, quitter et partir – toucher un peu le fait même de partir, donner à voir ce qu’il en est de translater ainsi une ou plusieurs vies d’un point A à un point B notablement plus éloigné (comme du moins l’on en fera l’hypothèse). Bien entendu, quiconque part laisse quelque chose derrière lui, que ce soit le ton d’un canapé ou d’un carillon, le chant régulier d’un oiseau ou d’une chorale de séminaire copte qui accompagnait chacun des réveils, le sourire énigmatique au mystère jamais percé (et chaque jour plus menaçant à mesure qu’on le laisse prendre corps dans son imagination enténébrée ou malade) d’un voisin bègue, le petit café tranquille qui permettait le matin une transition douce entre le réveil encore mal habile ou inachevé, encore confiné dans l’espace du rêve ou l’ouate du sommeil, et le tumulte de la vie publique dès qu’il faut s’engouffrer dans un bus ou prendre le métro (ou l’inverse ou les deux). Quiconque part laisse surtout ces petits riens dont il sait que là, ils auront eu lieu pour la première et la dernière fois et que, toujours vivaces maintenant, ils vont incrémentalement passer dans l’oubli tandis qu’une vie plus solide ailleurs se construira, avec ses propres moments uniques, réveils coptes ou voisins bègues, qui nécessairement prendra étoffe, ampleur, confiance, et s’en viendra, avec la sûreté du mafioso palermitain tranchant la gorge d’un bavard idiot, pulvériser ces fragments d’unicité, d’événementialité, de béguitudité, etc., aussi infailliblement que les vestiges matériels éparpillés dans la rue par l’homme ou la famille sur le départ seront demain ou après-demain disséminés, défaits, déconfits, incinérés ou enfouis dans une décharge quelconque, à Bobigny, Casablanca, Palerme ou Sausalito. Ainsi tels cartons de meubles que ces photographies nous représentent, tels sacs éventrés dont dépassent des membres de poupées, tels pieds fissurés de secrétaires ou de guéridons, tels tubes cathodiques des années anciennes dont on devine à simplement apercevoir leur couleur que l’implosion les guette, ne seraient eux-mêmes que reflet, double, döppelganger pour parler plus sérieusement encore – la photographie mauvaise en quelque sens –, de cela qui, quoi qu’on quitte ou par où qu’on parte, persiste un peu mais tellement vainement dans le souvenir. Evil twin, comme disent certains généticiens, usant d’une formule qui n’a jamais vraiment pris chez eux malgré sa justesse, pour nommer chez un individu à naître le génome fait des cinquante pour cent de gènes de la mère et du père que le hasard de la naissance aura justement laissés de côté.

Peut-être que Sylvie Vertu n’a jamais pensé à cela. Peut-être qu’elle a simplement souhaité fixer dans l’espace numérique ce qui leste ces passages de point A à point B, lesquels pour des raisons diverses et bien extérieures à ce projet artistique se font bien fréquents dans notre monde ; traces de traces, en quelque sorte. Peut-être que la vie émotionnelle ou mentale de ceux qui partent et déposent des sacs (comme on dit déposent les armes) ne l’a pas souciée le moins du monde. Qu’elle croit comme certains philosophes sophistiqués que la vie mentale n‘est qu’une fiction, bien utile certes, mais que pas plus qu’Ulysse ou Sherlock Holmes rien ne vient en étayer l’existence dans le monde réel sinon notre envie d’y croire – d’ailleurs les ordinateurs pensants toquent à la porte pour nous en infliger la cruelle leçon.

Cela ne nous empêche pas de posséder, erronément éventuellement, ce que nous vivons bien comme une vie mentale et émotionnelle et même, par une générosité rare en ces latitudes, d’en prêter une aux autres pour se mettre ainsi à ressentir ce qu’ils devraient éprouver lorsqu’on les sait ou voit faire x ou y.

Ainsi la platine disque Pioneer avec ses deux enceintes, visiblement en bon état (comme on dit sur les sites de petites annonces, mais là ce n’est pas du tout une annonce) laissées sur un trottoir bien net de la Marina, à San Francisco, nous attriste un peu. Pourquoi, pour quelle urgence ou quelle détresse, quelqu’un s’en dessaisirait-il ainsi du jour au lendemain ? Dans ce cas-ci l’altruisme n’est probablement pas de mise – ou sinon cet altruisme si particulier qui fait que lorsque vous êtes immensément riche vous pouvez jeter des miettes de votre richesse aux autres sans vous en soucier, mais sans au fond se soucier davantage desdits autres.

De même, on pense à cette pelle d’enfant et ce moule à coquillage abandonnés à Casablanca, seuls sur le trottoir en compagnie d’une paire d’après-skis et d’un matelas dégonflé, sorte d’évocation morose de vacances qui ne sauraient plus avoir lieu. À moins qu’au contraire leurs propriétaires aient socialement bondi en avant, et que de toutes nouvelles affaires de ski et de mer soient disponibles pour eux dans leurs nouvelles résidences de loisirs, sur la Méditerranée et dans l’Atlas – demeure de ce seul sommet où l’on puisse vraiment skier, l’Oukaimden, mille quatre cents mètres à l’orée de la vallée de l’Ourika – si bien qu’il n’est plus besoin d’en stocker chez soi, lequel chez soi d’ailleurs lui aussi s’est transformé et même transporté, puisqu’il est maintenant localisé dans le quartier le plus cossu de cette non-capitale du Maroc (« capitale économique », comme on dit aussi de New York, de Toronto, de Sydney, de Sao Paulo, de toutes ces villes que le caprice de politiciens drogués priva un jour d’un naturel statut de capitale d’État), entre la villa d’un roi du café six fois divorcé et un immeuble rempli de lofts d’héritiers de fortunes diverses et variées, à l’origine probablement honnête mais mieux vaut tout de même ne pas trop fouiller, exactement comme dans ces autres sacs de voyage, répartis, eux, parfaitement quadrangulairement dans la via Cavour qui donne sur l’Opéra de Palerme, frappés d’un monogramme illisible sur leur cuir noir, soigneusement fermés, ornés en outre d’un petit cadenas, propres à décourager les velléités fouineuses de qui ignorerait ce pour quoi la Sicile et Palerme sont avant tout fameuses – et bien trop propres pour être laissés dans la rue. La photo de Sylvie Vertu, sans flash, nocturne, est bien nette, aucune présence humaine ne vient la troubler, seuls les quatre sacs font le spectacle, comme on dit dans le commentaire sportif ; on ignore de quel spectacle il s’agit et surtout s’il faut s’en attendrir ou plutôt frissonner. On se remémore alors ces romans dont, précisément, l’une des héroïnes finit dans plusieurs sacs disséminés aux quatre coins de la ville à force d’avoir parlé à tort et à travers ou simplement troublé outre mesure le fils ou le lieutenant du chef.

C’est un frisson qui ne part pas : dans une autre salle est exposé un sac supplémentaire et identique à ceux-là, présent, lui, en chair et en os dirait-on s’il ne s’agissait pas précisément d’un objet. (Sauf si l’association d’idées que je viens d’évoquer est justement davantage qu’une simple association d’idées…) L’artiste l’aura peut-être dérobé, prenant ainsi les risques que l’on imagine avec la légalité et la maréchaussée locales déjà, puis avec les propriétaires légaux ou du moins les possesseurs des sacs en question, dont la répugnance à la curiosité des autres pourrait s’exprimer de manière violente ou détestable comme on peut raisonnablement l’envisager. Mais elle pourrait aussi simplement en avoir reproduit un autre à l’identique (les artistes sont farceurs, c’est une vieille histoire). Personne ne vérifie. Personne n’a envie de mettre la main dedans : encore cette espèce de tabou ou de sacré qui enveloppe l’œuvre d’art et sur lequel artistes et critiques du siècle dernier ont disserté, réfléchi et performé ad nauseam – assorti dans ce cas précis de l’intuitive réticence qu’on aurait à détailler le contenu d’un sac ayant appartenu à un bandit sicilien. (La psychologie des races se fait sentir jusque dans les lieux de l’art contemporain, dirait-on…)

 

De fait, il n’y a décidément pas que des photos ici. Plus on avance dans les salles, plus on réalise que souvent l’artiste a purement et simplement récupéré les objets que laissaient les autres. Traces vivantes et non plus traces de traces, c’est ceux-là mêmes qu’elle expose ici. Et on ne peut que se fier à elle pour croire qu’ils ont été réellement délaissés, un jour, ou une nuit, dans une rue par qui partait pour une période plus ou moins longue, pour des vacances, un autre appartement, un autre foyer ou une autre vie. Après tout – les artistes sont farceurs, c’est déjà dit – elle aurait pu aller au magasin Emmaüs de la rue Riquet ou même dans le moindre vide-grenier du dimanche des quinzième ou dix-huitième arrondissements acquérir sans beaucoup débourser des choses éparses qui, autant que d’autres et davantage que certaines, ont bien l’air de choses délaissées.

Parmi ces items donc disposés aléatoirement ou savamment – mettons, à l’intersection du mûrement réfléchi et du hasard total, comme une séquence de coups à feuille-pierre-ciseaux – il y a une seringue, un circuit de petites voitures, un dictionnaire italien-farsi, un petit assortiment de tasses à cafés ébréchées pourvues ou souvent dépourvues de leur petite soucoupe et décorées de motifs furieusement 90s. Il y a aussi un matelas à une place dont on se demande comment l’artiste a pu le transporter jusque-là, surtout s’il est originaire de Casablanca.

On pourrait aisément imaginer ici un diplomate iranien tenu de rentrer d’urgence dans son pays après l’une de ces petites révolutions de cour dont, sous le couvert de la chape jetée sur le pays voilà trente ans par un ayatollah illuminé, le haut pouvoir perse est friand, comme s’il avait voulu vérifier quelques siècles plus tard l’imagerie que lui accolait Montesquieu. On se figure toutefois peu distinctement qui se débarrasse d’un lit, tant cela arrive à tout le monde, même si la religion de l’obsolescence programmée touche davantage les ordinateurs et les cafetières électriques que l’industrie litière. Mais on croit voir qui, un jour, jeta dans une rue centrale de San Francisco la seringue qu’on a sous les yeux – probablement dans ce quartier de Tenderloin qui n’héberge pas, curieusement et malgré son nom, les amateurs de steaks mais plutôt les paumés et les camés –, et on lui prête illico tout un tas de crises et de maladies, quitte à douter même qu’il habite encore, à l’instant, notre planète. Si tant est que ce bric-à-brac ici amassé ou exposé, à force de se déployer devant nous, s’avère le miroir de nos propres clichés, de nos attentes et de nos peurs, de ces sentiments ou émotions si communes et surtout si gluantes que partant pour quelque destination ou existence neuve nous ne parviendrons pas à les laisser derrière nous, même malgré des efforts certains et louables.

Comme quelques esthétiques le prétendent, l’art ici fonctionne somme toute à l’empathie ; on a tous en nous quelque chose de qui a fini par laisser sur son perron, après l’avoir longuement inspecté, un appareil polaroid (avant la résurrection vintage de la marque – quelle erreur de le jeter !) ou une tenue de pêche dont rationnellement nous n’aurons plus l’utilité, partant dès le lendemain habiter une mégalopole du Sud-Est asiatique. Et cette empathie colore les clichés accrochés au mur, vient habiter les objets épars et poussiéreux disposés le long de la galerie, s’épand dans l’espace et dans le temps jusqu’à inclure les autres (rares) visiteurs et même quelques instants futurs de votre vie, lesquels se confondraient pour certains neuroscientifiques radicaux soutenant que le cerveau traite votre moi futur sur le même pied qu’une autre personne actuelle. Mais l’empathie ne fait pas tout, on le sait bien. L’empathie est indiscriminée, elle pourrait même nous tirer des larmes à l’évocation de la jeunesse malheureuse du susnommé ayatollah Khomeiny.

Ces sentiments qu’on voue à quelques tâches claires sur ces photos dont on se dit, comme en d’autres circonstances, « c’est un homme », qu’on voue à l’idée même de tous ceux qui laissèrent ici quelque chose, tous ces sentiments en viennent à déborder sur les objets eux-mêmes dont il aura fallu se séparer. Car ces objets sont seuls, abandonnés, comme les chiens sur les aires d’autoroute que chaque année on vient placarder aux murs du métro dans une intention dissuasive bien légitime. En tant que tels, ils semblent eux-mêmes tristes. Les objets ne pleurent pas, certes, mais pourrait-ce être par commune décence ?

La solitude et la tristesse de ceux qui laissent et quittent descend doucement sur cela même qu’on a laissé, ainsi, sur le bord de la route (comme s’il s’agissait de « ceux qu’on a laissés »). Un fameux livre pour enfants anglais raconte ainsi l’histoire d’un ours en peluche dans un grand magasin. Un jour l’ours, suite à une remarque d’une dame sans cœur, comprend qu’il lui manque un bouton ; il se sent tout de suite déficient, carencé, mal fait – un peu comme dans une autre histoire Adam et Ève qui gambadent en tenue d’Ève dans leur jardin un beau jour « surent qu’ils étaient nus ». Mais là, c’est bien l’ours en peluche qui s’attriste sur son sort, qui saisit en pleurant son bouton perdu que nul enfant ne voudra le choisir entre tous pour lui offrir le confort d’une vraie chambre.

Et je pense alors à un autre ours en peluche – décidément, une espèce bien lourdement frappée par le mal-être – dans un film pour enfants, un ours monté avec un sourire à l’envers dans la chaîne de fabrication, et dont personne ne veut. Il est morose, évidemment ; il pourrait sangloter, et pourtant il a des ressources, il ne s’apitoie pas sur lui-même, il rebondit, tel le héros chômeur d’un film du temps héroïque du néolibéralisme. Sauf que dans le cas présent, dans notre grande affaire de Leaving, non, l’élan héroïque ne vient pas prolonger ou rédimer l’affect sombre qu’éprouvent en vrac tous ces objets qui partagent un destin d’abandon, de déréliction, de solitude, de désamour ultimement.

Certes de tels objets ne parlent pas, ils n’ont même pas une manière éloquente d’être là. Ils sont , simplement, affichant l’amertume des départs qu’ils éprouveraient si l’on adoptait une vision animiste, plantiste, chosiste même – une de ces visions redevenues en vogue avec l’apparition d’une conscience écologique universelle qui ne mange plus les animaux et tâche de ne pas faire de mal aux plantes, qui veut nous faire dialoguer avec les cactus et les gnous ou vivre un moment la vie échevelée d’une huître. Bien sûr l’amertume est l’autre côté de l’enthousiasme, de l’exaltation propre aux départs, même si toujours minimalement angoissée – « tout départ est un nouveau départ » –, comme si ce côté-là, ces objets et ces traces étaient censés tous, selon une secrète division du travail de l’affect, recueillir l’envers sombre de la géographie des envols, aussi discrets fussent-ils.

Et dans cette perspective, on peut lire ainsi toute une histoire inversée de la quête du neuf, de l’énergique réinvention de soi qui caractérisait en bonne part la mythologie du siècle. Là où l’usage fut longtemps de s’implanter, de prospérer ou dépérir, d’engranger parfois, de s’enraciner en quelque sens, modulo quelques variations dues à l’échange de biens et de femmes que décrivent les anthropologues – échange si propre à maintenir une saine dose d’exogamie –, maintenant l’individu récent essaime, pollinise, fuit, migre, dérive, tressaute, évade, parcourt, arpente, colonise, explore – les métaphores botaniques ou géographiques étant toujours plus ou moins de mise ici. Une histoire de l’appropriation et de la colonisation, qui est aussi conte de l’évasion et de la fuite, une histoire de la conquête et de la mainmise que double un récit de la perte, de l’éloignement, de l’oubli, de la séparation ou du vide.

Et dans cette galerie, entre les clichés souvent flous et les masses d’objets rarement intacts, on lit maintenant cette seconde histoire.

On lit l’enquête sans illusions sur un déplacement généralisé dont la force motrice, le moteur immobile comme disaient les aristotéliciens, serait selon les uns le profit individuel, selon les autres le débouché nécessaire du capitalisme, selon d’autres encore l’écroulement de l’idée de nation, selon d’autres enfin la pulsion de mort – mais déplacement dont l’effet consiste toujours en un pullulement de parcours agrégeant sur les routes, les trottoirs, les chaussées, les coffres des voitures ou les disques durs des ordinateurs d’hétéroclites et sentimentaux bibelots.

On lit le sourire vague qu’esquisse celui qui ferme sa porte sur les cataclysmes du temps, les catastrophes du quartier, les calamités du siècle. On lit la peur éprouvée mille et mille fois par ceux qui durent, à nouveau, puis encore à nouveau, faire et défaire des bagages qui au fil du temps se réduisaient à presque rien. On lit l’ennui à feuilleter une énième fois le même magazine en regardant vaguement l’heure avec l’espoir qu’on sait vain que quelque chose de neuf advienne, en jetant des coups d’œil par la fenêtre avec la même mais sourde et si violente espérance qu’il se passe quelque chose dehors, dans la rue, là où parfois (et pourquoi pas aujourd’hui ? mais non) les semi-remorques percutent les vitrines des magasins d’ameublement – l’ennui, si reconnaissable à sa couleur, de celui qui laissa derrière soi du vivant presque mort et s’est quelque part installé. On lit cela, et bien d’autres choses puisqu’il s’agit d’art et que depuis bien longtemps l’imaginative liberté de qui consomme les œuvres gouverne ce qu’on peut y voir et en dire.

Le soir du vernissage Sylvie Vertu n’était pas là. La galeriste et quelques amis ou critiques l’ont cherchée un peu partout, chez elle, chez des connaissances communes ou dans les bars avoisinants ; mais peine perdue. La seule chose qu’on a retrouvée et gardée d’elle depuis lors sont les feuilles mortes que laissent dans leur sillage les amants désunis.


Philippe Huneman

Philosophe, Directeur de recherche à l’IHPST (CNRS/Paris-I)

Rayonnages

FictionsRécit