Roman (extrait)

Troll

Poète et écrivain

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la question trans, bi, intersexe, queer, fluide, etc., est dans le prochain roman de l’écrivain islandais Eiríkur Örn Norðdahl, à paraître aux Éditions Métailié (traduction de Jean-Christophe Salaün). Hans Blær, né·e et resté·e hermaphrodite, ne se laisse enfermer dans aucun de ces genres ou identités, et prend plutôt ses aises comme freak en guerre contre la bien-pensance – diablement acide, et très médiatisé·e. Puis vint le jour où iel créa le Refuge, pour les victimes de viol. Suite de nos bonnes feuilles d’été avec cet extrait inédit.

ILMUR THÖLL

Le 11 octobre 1984 et – à cinq ans près – les jours précédents et suivants, le monde était à la fois saturé de sexe, asexué et paralysé par une constante crainte de la mort. Vigdís était présidente de l’Islande. Reagan était président des États-Unis. Et la petite famille du boulevard Snorrabraut n’avait que faire des autres présidents. Les magasins de location de vidéos poussaient comme des champignons partout dans le pays, avec leurs cassettes pour adultes reléguées au fond et le catalogue dissimulé sous le comptoir tandis que les magazines X étaient alignés aux yeux de tous dans les librairies. Car il n’y avait pas Internet, mais les gens avaient quand même besoin d’inspiration pour leur masturbation, misérable palliatif à leur impuissance. Les habitants du monde entier se pavanaient à la télévision en petite tenue, sur les plages la poitrine nue, mais pour l’essentiel leur libido avait disparu, par crainte de l’hiver nucléaire et du sida ; les femmes assistaient à des cours d’autodéfense pour se protéger des violeurs, elles s’achetaient des sifflets et des bombes lacrymogènes entre deux cocktails ou deux lignes de cocaïne – car aucune protection n’était suffisamment radicale pour mettre fin à une guerre nucléaire, aucun sifflet n’était assez puissant pour faire fuir tous les violeurs, et d’une manière ou d’une autre il fallait bien gérer cette angoisse.

Cela tient toujours du miracle quand une petite femme donne naissance à un enfant. Et son miracle, Lotta Manns l’avait accompli de la même manière que tout ce qu’elle faisait, quand elle avait encore soif de vivre. Lâchant juste un léger grognement, elle avait levé les bras devant elle comme si le ciel allait lui tomber sur la tête, avait hurlé comme un imam, haussé les épaules, retroussé ses manches et elle avait écarté le monde de sa route. Après tout, que faire d’autre ? Rien du tout.

Hans Blær est né·e (la première fois) quelques années après que Lotta avait passé le cap de la vingtaine, en ce mémo


1. En français dans le texte. (Toutes les notes sont du traducteur.)

 

Eiríkur Örn Norðdahl

Poète et écrivain, Traducteur

Rayonnages

Roman (extrait)

Notes

1. En français dans le texte. (Toutes les notes sont du traducteur.)