Les ouvertures
Première partie
Scène du silence
1
Du sommeil au silence, du silence au sommeil
Moi au contraire je me trouvais à l’aise dans ce silence-là.
Nous réveillait avant l’aube une prière qui errait au long des dortoirs encore dans l’obscurité. Nombre de séminaristes restaient les yeux grands ouverts, la tête un peu soulevée sur l’oreiller, dans le léger vertige de passer soudain de l’état de sommeil à celui de silence. Je refermais les yeux un instant, comme pour revenir en arrière, du silence au sommeil, avant de les rouvrir dans la chambrée encore tout hébétée. Sous les couvertures, certains commençaient déjà à enfiler leur pantalon, moulinaient bras et jambes sans bruit, arquaient le dos en s’ingéniant à former un pont avec leur épine dorsale.
Je m’habillais à mon tour sous les couvertures, lentement. Je posais les pieds par terre, enfilais mes chaussettes, ouvrais le tiroir de la table de nuit en tôle puis la boîte de cirage où j’enfonçais la pointe de la brosse. Je glissais ensuite la main dans chaque chaussure et commençais à étaler la pâte, prolongeant l’opération à l’infini pour saisir le moment où le cirage s’étalait jusqu’à disparaître, perdait consistance, n’était plus que lumière lumineuse sans plus de couleur ni de matière.
Je faisais ça et d’autres jeux de l’éternité.
Serviette sur l’épaule, je gagnais la grande salle des lavabos, aussi longs que des abreuvoirs. Il était si tôt que, derrière les immenses fenêtres sans châssis de cette aile du nouveau bâtiment, le ciel était encore couleur de suie. À quelques pas de moi, j’apercevais un séminariste sourd-muet. Je ne détachais pas mon regard de l’étrange croûte gélatineuse et transparente qui surmontait sa tête. Son peigne mouillé y glissait sans la saccager et je la voyais s’ouvrir mollement et se refermer aussitôt, en restant intacte. Elle vibrait un peu quand il courait, à la récréation. Je tournais vivement la tête pour la regarder lorsque je passais à côté à toute allure. J’essayais de comprendre ce qui