Essai

Happy hour

Écrivaine

Notre série de « primeurs » étrangères à paraître en cette rentrée continue ! Avec un essai de la romancière américaine Rachel Kushner, auteure du Mars Club, qui a recueilli articles et écrits divers datant de 2000 à 2020 dans Les routiers sont sympas (Stock, traduction d’Emmanuelle et Philippe Aronson) : de quoi traverser notre époque. « Happy hour » : à partir de Jeff Koons et sa série Luxury and Degradation reproduisant des publicités pour des alcools, en passant par une caustique réflexion sur la pub et le lien entre niveau d’abstraction visuelle et classe sociale visée, comment aboutir à la mise au jour du « contrat concret entre vendeur et consommateur, artiste et critique, artiste et collectionneur ».

Si l’on prend au premier degré le personnage de Jeff Koons, si on le considère comme un être à la fois expansif et séducteur mais aussi innocent, un peu à la manière d’un J R Vansant, le gamin de onze ans devenu génie de la finance du roman de William Gaddis, on pourrait croire que la voix de cet homme, Jeff Koons, est douce, enjouée et jeune. Gaie et entraînante. Une voix aussi lisse que son chien en ballon de baudruche, sa seule et unique création connue de tous – même les enfants connaissent le chien en ballon, même les adultes qui méprisent l’art contemporain. Après tout, Jeff Koons est un homme du peuple, et ce malgré le fait qu’il soit plasticien, profession dont on se méfie généralement, voire dont on se moque. Mais Koons est différent. C’est un homme de scène et un vendeur-né, il incarne le rêve de réussite de l’entrepreneur à l’américaine.

Et pourtant, comme je l’ai découvert en entendant Jeff Koons évoquer lui-même un certain nombre de ses œuvres d’art (« ces deux acteurs porno jumeaux ressemblent à s’y méprendre à Elvis » ; « la moustache de ce homard fait référence à Duchamp »), sa voix était contre toute attente rauque et grave. Elle était tellement gutturale et empreinte de doute que j’avais du mal à la relier au visage rayonnant et candide de l’artiste le plus célèbre du monde.

En 1975, Jeff Koons a interviewé le musicien David Byrne. Une vidéo de cette conversation est disponible sur YouTube, même si pour une raison ou une autre on n’y voit que Koons. Byrne, le sujet, est hors champ. Koons arbore une moustache et des favoris. Son visage est lustré de sueur nerveuse, ou peut-être ne s’agit-il que de la transpiration due à la chaleur étouffante de l’été new-yorkais. Il n’empêche, cette courte séquence d’archives laisse entrevoir un Koons loin de la perfection lisse et élaborée à laquelle nous sommes accoutumés, avec son côté Ken parfaitement manucuré, radieux, en chemise ou en costume sombre et chic voire en smoking, les yeux un peu trop écarquillés.

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Rachel Kushner

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