La pauvreté, pas la misère
Souvent ma mère nous donnait madame Renard en modèle de dignité et d’intelligence. Elle et sa famille, c’est-à-dire ses cinq enfants, vivaient dans une roulotte installée sur un terrain vague près de notre école. À plusieurs reprises, la municipalité communiste avait essayé de reloger les gitans en leur proposant des logements dans les HLM qu’elle faisait construire, ou en installant sur le terrain des habitats d’urgence en préfabriqués de ciment, aux toits plats et aux meurtrières carcérales. « Des cages à lapin ! » éructait madame Renard, disant préférer Bochewitz à ces casemates. Ma mère en tant que directrice de l’école toute proche avait été missionnée par la municipalité. À ces gens du voyage, elle parlait sans succès d’hygiène et de confort des enfants. Un jour, madame Renard mit fin aux négociations en lançant : « Madame Bignes, vous qui savez y faire allez expliquer au maire la différence entre la pauvreté et la misère. Nous, on est pauvres mais on est libres. On a rien à voir avec ces Sanchez et ces Cazeau – d’un geste méprisant elle désignait les taudis de tôles, de bâches et de cartons autour d’elle – qui passent leur vie d’ivrogne à essayer de faire pleurer les assistantes sociales. »
Le campement était installé depuis la guerre sur le site d’une ancienne fonderie qui avait brûlé et n’avait jamais été réhabilitée. Il y avait là une dizaine de caravanes en bois dont certaines portaient encore sur leurs flancs le nom à peine lisible d’un cirque ou d’une attraction foraine. Des manèges démontés et parfois de pauvres chapiteaux ouverts aux courants d’air complétaient le décor. Ces gens du voyage portaient bien leur nom, disparaissant régulièrement pour travailler comme monteurs dans un cirque, aller faire la saison des cerises et des abricots dans le sud-est, et parfois, disait-on, pour échapper aux gendarmes ou goûter de la prison. Sur le terrain, il y avait aussi une série de cabanes faites de matériaux de récupération récoltés au hasard des prises sur le