Récit

L’opinion amoureuse

Écrivaine

Comment naissent les idées, comment se forment les opinions, dans le for intérieur. On savait l’influence de l’entourage, Pauline Klein raconte ici l’importance du corps amoureux. « La permanence de mon identité a commencé à prendre forme à l’âge ou j’ai commencé à faire l’amour avec d’autres que moi. Je me suis sédimentée avec le corps pensant des autres. » Mais à l’heure où tout nous enjoint à donner sans cesse notre avis, et le plus tranché possible, il y a du courage à rechercher la vérité ailleurs que dans l’expression de nos opinions, et trouver enfin du répit – lequel, lui aussi, passe par le corps. Un texte inédit.

On était au tout début du mois de septembre 2021, c’était le jour de la rentrée des classes au collège. Un mouvement visant les jeunes nés en 2010 qui faisaient cette année-là leur entrée en sixième, circulait sur les réseaux sociaux. Dénigrements et insultes généralisées sous le hashtag #anti2010 étaient propagés par des élèves allant de la cinquième à la troisième, appelant à se venger d’enfants de onze ans qui ne respectaient pas certaines règles de Fortnite. Comme souvent face à l’apparition de ces nouvelles brusquement déterminantes, les réponses multiples se dessinaient en trois parties : les inquiets, les rassurants, et la molle conclusion visant à tempérer. On avait été entraînés à vivre de cette manière, voguant entre propos, entre qui-vive et évidence concrète que rien de tangible ne brûlait encore devant nous. Ce jour-là donc, certains médias demandaient si ça n’était pas « l’histoire de l’homme qui avait vu l’ours », d’autres appelaient à renforcer rapidement la sécurité dans les établissements scolaires, enfin, il s’agissait surtout de sensibiliser sur le sujet du harcèlement. Puisque j’étais concernée, on m’avait rapidement demandé si j’avais été mise au courant, s’assurant que j’étais correctement connectée à cet instant précis du monde. Il fallait prévenir Léon. L’avertir et se préparer éventuellement à le protéger. Lui tenir un discours. Jusque-là, j’avais, il me semble, réussi à laisser les hashtags qui passaient comme des comètes en dehors de la maison. Dehors, la société entière n’était plus constituée que du vacarme des prises de parole. C’était à celui ou celle qui exposerait le mieux son point de vue et je m’étais soigneusement appliquée à prendre le visage de celle qui passerait son tour. C’était à celui ou celle qui marquerait le plus clairement, le plus profondément dans le temps, l’empreinte de sa réflexion. Bon mot, trouvaille du siècle ou résultat d’une étude savamment documentée sur la question. Peu importe la question d’ailleurs, tant qu’on pouvait faire apparaître sa réponse dans un endroit qui résonnait à la fois comme une révolution et un refuge, un moment d’accalmie dans le chaos du débat.

Ça n’est pas très compliqué, je suppose, d’entrer dans l’arène et de participer. Je crois que c’est une question de foi, de corps mobilisé face aux règles du jeu, et d’accès à la parole. Il suffit d’un langage, d’un certain savoir-faire. C’est une affaire de manipulation de soi. Avoir digéré et s’en prendre aux autres, marquer une légère supériorité teintée de bienveillance pédagogique et accéder au mouvement le plus épuisant du monde, mais qui en vaut la chandelle car on est potentiellement suivi, aimé, invité, éclairé sous un jour meilleur que celui que nous renvoie le miroir de la salle de bain. La voie publique est devenue la seule possible. Il faut s’offrir en pâture pour s’octroyer le risque de se faire voir. Tout y passe. Un homme que rien ne prédisposait à être brandi comme un slogan est pris en otage de la façon la plus violente qui soit pour servir de symbole à l’antiracisme, une jeune fille sert de martyr pour défricher une cause, on exprimera si parfaitement les cas que rien ni personne ne pourra contredire l’utilité du « mouvement » sans être publiquement roué de coups. La bonne cause n’est jamais remise en question, et ceux et celles par qui elle fait son entrée exigent d’être flattés. Face à ces tempêtes, ces trouvailles, ces combats émergents, ces libérations chaotiques de la parole, je me suis souvent camouflée pour n’être que le renégat de la possibilité de trancher. Je n’ai jamais su officialiser, ni mon intimité, ni mon identité. C’est une véritable souffrance, dont je me demande souvent si elle est partagée par certains. Car je suppose que ceux et celles qui s’imposent d’être tenus au courant des allées et venues des perceptions du monde, des apparitions de mots et de concepts venus formaliser de nouvelles idées employées soudainement comme des termes usuels, banals, évidents, le font pour la bonne et simple raison qu’ils veulent faire partie de la fête, mieux, être l’invité surprise. Je me demande sincèrement ce que l’on fait des gens qui s’excluent volontairement de la fête, du moins, ceux qui arrivent un peu tôt et ne veulent pas rester trop tard.

Je n’ai pas pris le temps, de prendre le tournant supposé installer durablement mon discours. J’essaie de me souvenir à quel moment il aurait pu avoir lieu, quel événement en aurait été le détonateur. Je me souviens m’être sentie, au milieu des années quatre-vingt-dix, parfaitement intégrée au groupe derrière un camion qui propageait des chansons d’IAM et des odeurs de saucisses grillées. Marcher derrière des banderoles dont je n’avais aucune idée de ce qu’elles véhiculaient mais protégée par leur slogan quel qu’il soit. Je me souviens du sentiment d’appartenance et de l’indifférence face aux idées qui pouvaient bien nous fédérer. Je reconnaissais les jeunes de mon âge physiquement, leur visage et leurs cheveux correspondaient à ce qui m’avait été enseigné jusque-là, j’accédais sans rechigner à la familiarité de la communauté, j’adhérais sans avoir à le justifier en mots à la ferveur révolutionnaire qui m’habitait pendant deux ou trois heures. Je me souviens d’avoir partagé sans risque, sur Facebook, des pétitions à « faire circuler de toute urgence » simplement parce qu’elles me semblaient valables, assez pour me donner le sentiment que je n’allais pas passer pour autre chose qu’une bonne âme. Des pétitions que je ne signais jamais. Parfois, plus tard, selon la forme d’amour qui m’animait, je suivais un garçon à des manifestations. Je m’accolais à l’opinion de l’être aimé, c’était une preuve par fédération corporelle, qui me donnait toutes les excuses. L’intimité seule, était constitutive de l’opinion, voire de l’identité, elle ne pouvait provenir d’ailleurs que du corps aimant. L’expérience amoureuse pouvait fabriquer à elle seule des orientations politiques. C’était comme ça qu’on se forgeait, ça passait par les yeux, par les pelles, par le cou et les doigts. Chaque fois, j’ai appris un langage, un vocabulaire, le son d’une époque, un mode de vie et des codes. Chaque fois, j’ai appris à poser mon regard dans un autre. J’ai eu, comme tout le monde, des périodes. Un petit ami altermondialiste qui se tenait debout toute la nuit pour défendre la cause animale, un autre plus bourgeois, juif et pratiquant dont la famille craignait les Arabes, qui avait un appartement de droite mais dont la générosité était telle que je finissais par tout entendre de lui, un islamo-gauchiste à la limite de l’antisémitisme, qui m’a fait regarder les inégalités sous un autre angle, lire Bourdieu en diagonale. Chaque fois, ces amours-là m’ont rendu des opinions plus acceptables, plus incorporables et faciles à aimer, jusqu’à ce qu’à la fin de l’histoire, je finisse par renouveler ce que je pensais de « tout ça ». Je revenais éternellement à mon point mort. J’attendais, non pas que l’on vienne me donner une voix, mais d’essayer autre chose, comme un nouveau manteau à la rentrée des classes. Et ce costume venait comme au temps de l’enfance et de l’adolescence, avec le vertige d’un nouveau chapitre, d’une nouvelle vie. Ce n’est pas selon moi la marque d’une grande passivité, mais au contraire, un parti pris qui érige l’expérience en regard. La permanence de mon identité a commencé à prendre forme à l’âge ou j’ai commencé à faire l’amour avec d’autres que moi. Je me suis sédimentée avec le corps pensant des autres. Chaque fois que l’on s’est mis en tête de me convaincre de son point de vue, je l’ai été. On peut juger abominable un courant de pensée, mais très rarement un individu lorsqu’il procède d’une rencontre.

À l’âge adulte, le seul parti que j’ai pu prendre est celui de visiteur occasionnel. Je me suis baladée sans savoir bien ce que je cherchais, juste pour m’offrir, le temps de cette balade, de quoi acquiescer sans trop de honte quand j’étais invitée à dîner. Chaque fois que ça parlait, que ça s’insurgeait, que ça s’embrouillait pour une ligne, une citation, une image, un commentaire, chaque fois que les arguments virevoltaient au-dessus de ma tête, j’avais peur de me prendre une balle perdue. On s’est vite aperçu que j’étais comme un enfant accidentellement assis à la table des grands. Rares étaient ceux ou celles qui s’arrêtaient de débattre pour me demander mon avis. Je servais uniquement de témoin, ou de public.

Même dans la solitude, les fois où je tentais de rattraper le temps perdu à ne pas m’être tenue assez informée, j’entrevoyais la somme de savoirs comme une montagne trop longue à gravir, insurmontable. Les antivax, le recul sur la pandémie, les théories complotistes, l’évasion fiscale, la Guinée et l’Afghanistan, les approximations de Blanquer, la tempête Ida, les violences sexuelles, le ministère de l’intérieur, la charia et les interprétations sectaires, l’intersectionnalité, la transphobie, le décolonialisme, le patriarcat, la sécurité, la transition écologique, l’agence anti-corruption, le convivialisme, l’irresponsabilité, l’antiracisme, la harcèlement… Je ne savais même pas par où commencer. Je me suis demandé s’il était concevable d’entrer quelque part sans ce langage et sans les perpétuels nouveaux arrimages au réel qu’il dessinait.

Un soir, une amie m’a emmenée voir le one man show de Frida, un homme déguisé en femme qui passait une heure et demie sur scène à mimer les injonctions à la féminité dans une robe des années cinquante trop serrée et des gants de vaisselle rose en latex. À la fin du spectacle, j’ai applaudi chaleureusement et je me suis retrouvée avec mon amie dans les loges de Frida. Elle l’a félicité, a souligné combien elle avait aimé les passages ou il « enfonçait des portes ouvertes », et puis la gêne dans le public lorsqu’il se taisait pendant un long moment… La partie sur la fontaine zen aussi, la drôlerie du passage sur Nature et Découvertes, la description hilarante des zones d’activités, Décathlon, Darty, Carrefour, devenues les endroits de divertissement et de consommation absurdes. Pendant qu’ils décortiquaient les détails du quotidien dans les coulisses du Théâtre du Rond-Point, je me suis sentie comme souvent, physiquement immobilisée. Incapable d’entrer dans le cercle pourtant humain qui se formait sous mes yeux. J’avais souri de temps à autres devant les considérations sur les machines à laver et la charge mentale des femmes. Mais je vivais à l’époque avec Nicolas. Et lorsqu’il était petit, Nicolas allait se faire couper les cheveux chez un coiffeur situé au sous-sol d’une de ces zones industrielles, son père l’y obligeait et il détestait être assis là, au milieu du monde, devant les familles qui poussaient leur caddy le samedi après-midi, il avait honte. On se trouvait pourtant dans un lieu supposé sans censure, dans les coulisses du sens de ce que la vie donne à voir et à représenter. Mais j’étais cernée. Parce que se moquer de ces zones, en rire avec Frida, ça me donnait surtout le sentiment de trahir Nicolas qui n’avait eu que ça le samedi, avec sa famille, pour se divertir. Dans ces instants que je connais par cœur pour les vivre depuis que je suis petite fille, et qui sont à la fois des refuges et des falaises vertigineuses, je suis, comme on dit d’une auberge communautaire, dans mon lieu de vie. Ces moments présents prennent toujours la forme de la nostalgie que j’abrite, et que je ne peux jamais prononcer tout haut.

Vivre dans son coin, faire sa vie sans laisser aucune trace de ce qu’on en fait. Vivre dans les replis en faisant le deuil de l’empreinte que nous voulons laisser sur terre. Vivre en silence, en endossant la rage et la colère, mais en fixant des détails pour les tirer au clair. S’immiscer en douce dans ce qu’on suppose que les autres ne voient pas, sans jamais ériger les cachettes que l’on se fabrique, en théorie collective. Occuper sa vie à ça, et décider de croire que c’est peut-être suffisant. Que la vérité se déploie dans des endroits du monde où personne ne la ponctionne, ne la vide, ne l’essouffle au point de la brandir comme un tout petit poisson pêché avec un gros hameçon. Dire, ou du moins se le confier à soi-même, qu’on n’érige pas sa vie en opinion et ses opinions en annonces. Trouver un refuge dans lequel il fait bon vivre sans la validation des regards. Cesser de chercher la majorité de ces regards comme pouvant nous constituer, quitte à vivre en pièces détachées. Chercher ce que l’effet de ce retrait a sur nous intimement, plutôt que l’expression de la façon dont il nous définit.

Se perdre volontairement, c’est-à-dire abandonner l’idée même d’identité si chère à notre époque, ne pas chercher à caractériser l’impossible équation à formuler comme à résoudre, de notre lien entre soi et le monde. Cesser de vouloir honorer notre autarcie. Repartir à zéro pour se faire fourmiller sans s’éreinter à formuler de plus en plus clairement, avec des théories de plus en plus étayées, ce qu’il est impossible de saisir. Laisser le monde tranquille comme on devrait laisser les océans. Ne plus pêcher. Ne plus chasser. Ne chercher qu’en soi, sans en extirper à tout prix les marques d’un destin dont on exige des traces écrites. Ne plus chercher à ameuter les populations à coup de manifestes, de rapports, de dévoilements, d’enquêtes coup de poing, de pavés dans la mare. Laisser les mares tranquilles. Se réduire au minimum et cesser de vouloir nous déblayer à tout prix. Se laisser reposer et regarder devant, sans abîmer l’espace, et laisser repousser.

Lorsqu’il était petit, Léon m’avait dit : tu es ma maison, le reste du monde c’est mon jardin. Je ne sais pas si je suis sa maison, mais je vais tenter d’être au moins, un peu la mienne. De ne pas conquérir comme une adolescente de quatrième le reste du monde comme si je pouvais y faire pousser la moindre de mes pensées, de mes idées, de mes points de vue pour qu’ils se reproduisent au point de polluer les routes qui me mènent à moi-même.

Le jeudi suivant le jour de la rentrée, j’avais rendez-vous chez mon médecin. Je le connais depuis que j’ai vingt ans. À la fin de la consultation, j’ignore pourquoi, mais je lui ai raconté combien, comme tout le monde, une de mes principales préoccupations était de me faire aimer. Lorsque j’arrivais à obtenir un peu de cet amour, c’est là que je me sentais le plus vivante, là que j’arrivais, par endroits, à me signifier ma propre existence. Se faire aimer est le jeu le plus passionnant auquel on puisse se consacrer. C’est faire face à l’impérialisme de l’autre, à son altérité aiguë et obstinée. C’est passer par une voix calme et belliqueuse à la fois, entrer dans la peau de l’étranger, exiger d’être vue et si l’on ne l’est pas, forcer. Ce jour-là, mon médecin a eu un geste que je ne l’avais jamais vu faire. Nous nous tenions tous les deux debout dans son entrée et il a posé sa main sur mon épaule. D’une façon paternelle, délicate. Puis il a demandé, si j’avais bien entendu ce qu’il venait de me dire juste avant. J’ai répondu que oui, l’air un peu intrigué. Pourquoi est-ce que vous me demandez ça ? Parce que depuis deux ans, les gens ont perdu une grande partie de leur capacité à se concentrer sur l’autre. Je dois les toucher pour être sûr qu’ils ont saisi ce que je leur dis. C’était l’effet du confinement. Il m’expliqua – et c’était une chose qu’il partageait avec d’autres médecins, en France, mais aussi ailleurs – que nos mouvements cognitifs avaient récemment pris l’habitude se figer dans l’espace et le temps. Notre endurance face au corps, aux mots de l’autre, face à une conversation même anodine, s’était altérée. En sortant de son cabinet, j’ai repensé à ce qu’il venait de me dire. J’ai réalisé qu’effectivement, il fallait que je fournisse des efforts plus intenses qu’avant pour mettre mes idées bout à bout. Je me postais devant mon ordinateur le matin et j’étais systématiquement dispersée. Je flottais. Le temps s’était comprimé dans des segments indépendants et difficiles à raccrocher les uns avec les autres, comme des pièces détachées.

La pandémie nous avait plongés dans une intimité entrelacée avec l’état du monde, donnant à certains d’entre nous, de plus en plus nombreux, l’impression d’être le porteur plus ou moins sain du secret du monde. Chaque fois que nous contractions une maladie, qu’il s’agisse d’un virus, d’un variant ou des effets secondaires du vaccin, nous étions chacun à notre échelle des échantillons possibles de la société et de ses transformations. En observant les publications sur les réseaux sociaux de ceux et celles qui racontaient leurs symptômes, leurs états, on assistait en même temps au sentiment, de chacun d’eux, d’être le détail concret d’un tout impossible à saisir. Dans le chaos général, dans la peur, chacun venait puiser en lui-même un morceau de sens dont il pressentait la légitimité. L’intimité devenait une donnée potentiellement objective. Cette situation venait de loin. Elle provenait aussi d’une époque où les idées émanant des contrées les plus intimes, pouvaient muer en slogans potentiels. Où les affaires personnelles pouvaient tenir lieu de mesure étalon, chaque corps, porter le mal du siècle. D’une époque où chacun pouvait être promu au rang de porte-parole. Nous portions désormais en nous la possibilité d’être une vision fiable du monde, que nous trimballions sur nous comme un passeport.

J’ai traversé pour rejoindre la pharmacie et, une fois arrivée de l’autre côté du boulevard, j’ai remarqué que le flux harmonieux de pensées qui m’habitait depuis que j’étais sortie du cabinet s’était interrompu pendant la traversée. Dans cette portion d’espace, j’avais quitté mon intériorité, je m’étais oubliée. Mon corps et mon cerveau s’étaient entièrement tendus pour se concentrer sur d’autres choses, les règles de civisme à suivre sur ce passage piéton, les potentiels dangers extérieurs à éviter. Le long de ce court passage, celui par lequel nous sommes tous et toutes officiellement obligés de passer, j’avais fendu un monde qui n’était plus le mien et auquel il fallait pourtant sans cesse s’adapter pour vivre.

Sans doute parce que mes capacités de mobilisation ont été abîmées en cours de route, j’ai décidé d’écrire des histoires dont la genèse serait ce passage. Ces clous imposés dans lesquels nous parvenons malgré tout à repasser du monde extérieur à nous-mêmes. Où nous reconnaissons un peu de ce repli qui ne nous coule pas dans un moule. Dans un moment de nos existences où l’opinion fait loi, il me semble que mes histoires, raconteront dorénavant cette suspension du jugement, ces instants de flottement entre deux rives dans lesquels la pensée s’autorise à divaguer sans se figer dans un point de vue. Lorsque, juste avant de traverser et juste après être arrivé, le corps se rassemble pour se remettre de cette fixité et parvenir à se frayer un chemin sur lequel nous n’attendons plus du groupe, de la communauté de l’opinion, qu’il nous légitime, nous réconforte ou nous indigne, qu’il nous rassure ou nous détourne. Sur lequel nous nous autorisons enfin à ne pas avoir trouvé, pour pouvoir continuer à chercher. Où nous tombons sur les indices, les détails que nous pouvons étirer de nos mains aimantes, pour nous diriger dans un lieu sûr qui n’appartienne qu’à soi. Où nous trouvons finalement, un peu de répit.

 


Pauline Klein

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