Leçons de musique
Le Maître s’arrêta un instant pour regarder la villa, maintenant assez proche. Il haletait un peu, un peu plus que ne l’eût requis la légère pente de la rue. Il avait involontairement pris cette habitude de souffler de temps à autre sans nécessité, une petite manie que son corps avait inopinément réclamée, comme les vieux se permettent des caprices, des incartades, petits riens versés à titre d’acomptes pour le règlement du grand désaccord avec la réalité. Il voyait déjà le portail, les volutes de fer forgé dont l’entrelacs dessinait des couronnes et la véranda couverte de plantes grimpantes, à l’avant du salon où déjà devait sans doute l’attendre Vilardi. Disons plutôt le maestro Vilardi, puisque désormais ce titre revenait à l’autre plus qu’à lui, Salman Meierstein, professeur de conservatoire fort apprécié certes, mais rien de plus.
Ce trajet, il l’avait bien des fois parcouru en voiture. Madame envoyait son chauffeur le chercher, la grande limousine noire remontait la rue tracée à mi-pente sur le coteau, dominant la mer infinie, puis entrait dans le parc. Un valet l’accompagnait au salon, son élève lui tendait une main molle et moite, le valet revenait avec le café et avec Madame, qui restait quelques minutes, parlant de son mari, le sénateur décédé depuis longtemps déjà, et de ses terres, domaines et maisons de campagne dans le Frioul, qui étaient tout autre chose que cette villa en ville, puis elle le laissait en tête à tête avec son fils, pour la leçon. Le jeune homme prenait son violon et commençait à jouer. Salman écoutait, les yeux mi-clos, approuvait de la tête quelques beaux staccatos, reconnaissait dans les différents morceaux l’exécution appliquée qui lui était désormais familière, parfois quelque chose de neuf, qui fulgurait et s’éteignait aussitôt parmi tant de choses attendues et qui l’effleurait en un spasme douloureux. Ensuite il intervenait, modifiait, suggérait un coup d’archet ingénieux qui lui venait à l’esprit, un vibrato plus intense ou une