Nouvelle

Mon ami républicain

Écrivain

Bill, 50 ans, arrive de Floride, où sa maison et son travail ont volé avec l’ouragan, et loue une chambre chez le narrateur, un Français à peine séparé de sa femme. Le duo des deux hommes prend place, le covid survient, et le drame frôle l’ombre de Stephen King. Benjamin Hoffmann, lui-même résidant aux États-Unis où il enseigne à l’université, connaît bien, comme chercheur et comme romancier, les représentations que les Français se font de ce pays. Alors qu’il publie ces jours-ci L’Île de la Sentinelle (Gallimard), il nous a confié cette nouvelle inédite.

Le jour où ma femme m’a quitté, Bill est venu s’installer à la maison.

Norah avait emporté ses affaires dans l’appartement qu’elle occuperait en attendant que nous y voyions plus clair et que nous prenions une décision. Je me souviens du chat, monté sur mon bureau, que j’ai serré contre moi en pleurant. Je regardais par la fenêtre la rue vide, la rue où le camion des déménageurs avait disparu quelques heures auparavant. « C’est toi et moi maintenant », ai-je dit au chat qui, impatienté, s’efforçait d’échapper à mon étreinte. J’oubliais que Bill arrivait le soir même.

J’avais fait sa connaissance la semaine précédente. Une annonce sur Craigslist nous avait mis en contact. Il arrivait de Floride, disait-il, où le dernier ouragan avait balayé sa maison et le magasin de fournitures de pêche dans lequel il avait investi toutes ses économies. Déraciné, il avait décidé de rentrer dans le Michigan où sa mère commençait à vieillir. Elle habitait à dix minutes et quand je lui ai demandé pourquoi il ne s’installait pas chez elle plutôt que chez moi, un étranger, il m’a répondu qu’elle n’avait pas la place nécessaire pour l’accueillir et puis qu’il s’entendait mal avec son beau-père et puis qu’un homme devait avoir sa propre maison, his own place. On s’est plutôt bien entendu, lui et moi. J’avais commandé des sushis, il les a partagés avec moi, je lui ai offert une bière qu’il a hésité à prendre car il buvait rarement. Il a fini par l’accepter et avant la dernière gorgée il proclamait déjà : je serai ton grand frère. Comme je déteste le mien, cette promesse ne m’avait guère enthousiasmé mais j’ai préféré ne rien dire. Avant de quitter Orlando, Bill avait trouvé un emploi en ville, à Détroit, dans une compagnie de transport routier. Tôt le matin il serait parti et tard le soir, il rentrerait se coucher. Le loyer ? Il me le payerait en espèces, sans faute, le premier du mois. D’ailleurs, il pouvait me verser un acompte. Je lui avais fait visiter la maison et les deux pièces qu’il


Benjamin Hoffmann

Écrivain, Professeur de littérature française à l’université Ohio State

Rayonnages

FictionsNouvelle