Récit

Les yeux rouges

Critique

« Le système tient car nous sommes à la fois sur le banc des accusés, à la barre, sur l’estrade du juge. Victimes, bourreaux, sauveurs… » Face à un avenir accablé par la situation climatique et un monde aux ruines sans cesse renouvelées, rongent le désespoir, la confusion, l’impératif du « que faire ? ». Un ange de l’histoire est apparu à la narratrice de ce récit. Un récit-poème sur la lisière de l’abîme, l’avant, l’après, et surtout sur le présent à vivre.

Mes paupières s’embrasent
par intermittence
quelques lueurs chaudes balayent mon visage ;
un ange passe au-dessus de la ville
je me retrouve dans l’ombre
l’ombre de ses ailes.

Je ne la reconnus pas au premier regard, moi papillonnant elle se balançant pied gauche pied droit devant moi : un halo irisait sa silhouette et je pensais, surprise – voici un ange tombé du ciel – me réjouissant – l’ange m’a élue l’ange a arrêté son vol solitaire l’ange a aperçu vers le soleil mon visage tendu nu !

Niet : mes yeux se décillent et l’ange se dévoile (prend les traits de la poétesse), et nous nous sourions avec des oh et des ah (= c’était donc toi). La poétesse semble fébrile, une lassitude perceptible dans les plis de la bouche, l’ourlé des yeux, l’inclinaison de la nuque. Je songe que si j’osais la toucher, si je posais une main amicale sur son épaule, elle se répandrait dans une lente cascade de bris de glace. Des éclats de solitude au sol : je les imaginais brillant dangereux comme des gemmes sur le goudron, comme les mots dans ses poèmes.

Je me ressaisis : Poétesse ! Comment allez-vous ? Vos livres sont admirables, je les vois partout, bravo… vous devez être fière ?

La poétesse sourit comme on déglutit ; elle s’accroupit devant moi, prise d’une grande fatigue ou d’un petit vertige. Sa voix douce, dans un souffle : c’est bien, c’est bien, tant mieux.

L’éclat dans son œil noir trahit un sourd désespoir (poser la main sur son épaule ?). Je bredouille : vos mots réconfortent, vous savez, on s’y réfugie toujours avec joie…

La poétesse secoue la tête, j’arrête mon sourire. Elle semble à bout, une sincérité déroutante affleure sur son visage à vif. La voix basse et la tête désormais haute, s’échappe de sa bouche mutilée : Mais moi, qui me consolera ?

Mais moi, qui me donnera la force ?

La question me fige. Je voudrais la prendre dans mes bras, étreinte amie & chaleur humaine, geste premier & primordial, mais quelque chose me retient. (Plus tard, trop tard, je réfléchirai à certain


[1] Vivre dans la peur (生きものの記録, Ikimono no kiroku?), également intitulé Chronique d’un être vivant, réalisé par Akira Kurosawa, 1955.

 

Ysé Sorel

Critique

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Notes

[1] Vivre dans la peur (生きものの記録, Ikimono no kiroku?), également intitulé Chronique d’un être vivant, réalisé par Akira Kurosawa, 1955.