Roman (extrait)

Arpenter la nuit

Écrivaine

Suite de nos bonnes feuilles étrangères avec le premier roman d’une très jeune auteure noire américaine, écrit à 17 ans (elle en a aujourd’hui 19). Le même âge que son héroïne Kiara dont la vie est une illustration littérale du « struggle for life ». Oakland, Californie. Famille détruite, dettes et prison. La prostitution ressemble à une solution. C’est plutôt un enfer qui s’ouvre sous ses pas d’arpenteuse de la nuit. À paraître chez Albin Michel, dans la collection « Terres d’Amérique » et la traduction de Pauline Loquin.

La piscine est pleine de merdes de chien et les ricanements de Dee nous narguent dans le petit matin. Ça fait une semaine que je lui répète qu’elle ressemble vraiment à une toxico, ce qu’elle est bel et bien, à se marrer toujours pour la même blague comme si la chute pouvait changer. On dirait qu’elle s’en fiche que son mec l’ait quittée, qu’elle n’en avait même carrément rien à foutre quand il s’est pointé près de la piscine mardi dernier après avoir fait toutes les poubelles du quartier à la recherche de crottes emballées dans des sacs en plastique. À trois heures du matin, on a tous entendu les éclaboussures, et puis ses hurlements quand il a traité Dee de sale conne infidèle. Mais on a surtout entendu ses gloussements à elle, et ça nous a rappelé à quel point c’est difficile de dormir quand on ne peut même plus faire la différence entre le bruit de nos pas et ceux des voisins.

Depuis tout le temps que j’habite ici, aucun de nous n’a jamais mis un pied dans cette piscine ; peut-être parce que le proprio, Vernon, ne l’a jamais nettoyée, mais surtout parce qu’on ne nous a jamais appris à nous amuser dans l’eau, à nager sans boire la tasse, ni même à aimer que nos cheveux soient tout emmêlés et baignés de chlore. Et pourtant ça me dérangerait pas de me noyer, vu qu’après tout on est composés d’eau. Ce serait un peu comme si mon corps se mettait à déborder. Je crois que je préférerais mourir comme ça plutôt qu’en tombant dans les vapes sur le sol d’un appartement crasseux, avec le cœur qui s’emballe et puis qui s’arrête d’un coup.

Ce matin, c’est différent. Le rire de Dee s’envole dans un tourbillon de notes suraiguës avant de se perdre dans des mugissements. J’ouvre la porte et elle est là près de la rambarde, comme d’habitude. Sauf qu’aujourd’hui elle est tournée vers son appartement, et avec la lumière de la piscine dans son dos je ne peux pas distinguer son visage, juste ses pommettes qui s’agitent comme deux petites pommes sous sa peau flétrie. Je referme avant


Leila Mottley

Écrivaine