Roman (extrait)

Sud

Écrivain

« Je parle de la ville contemporaine, en construction et en destruction perpétuelles (…) ; la ville, réalité immense et quotidienne qui se résume en deux mots : les autres. » Signé Octavio Paz en exergue d’un roman dont la ville est le personnage principal. Roman ou film ? Et même film choral aux multiples personnages et destins croisés sur 24 heures de temps, le plan séquence en ouverture révélant le registre cinématographique avec lequel joue Antonio Soler, écrivain espagnol traduit ici par Guillaume Contré. À paraître chez Rivages à la fin du mois d’août.

Le lait tiède du ciel se répand silencieusement sur toute chose. Les toits, les arbres endormis, les automobiles scintillantes. C’est une luminosité blanchâtre qui jaillit dans un soubresaut, épaisse, trouble. Elle tache les nuages et s’y suspend. On entend le halètement du jour qui vient, une respiration profonde qui s’arrête un moment, comme si la Terre était sur le point de s’immobiliser et de tourner dans l’autre sens avant de reprendre sa trajectoire et d’apporter un nouveau jour.

La nuit n’a pu refroidir le bitume, il est toujours là, somnolent et chaud, serpentant de toute sa croûte de fièvre. Le soleil monte, obstiné. La vie frémit. C’en est fini des heures vaines, de la pitrerie de la mort. Le jour commence. Les insectes creusent la terre.

 

Sur cette partie de l’avenue Ortega y Gasset, la ville s’est dénudée de ses logements et de ses commerces, la zone industrielle laisse place aux friches et aux murets qui ne protègent que des terrains vagues. Des palmiers solitaires, des pylônes électriques, un bateau à moitié peint contre le mur d’un jardin abandonné. Sur la corniche de la station-service BP, une forme brille momentanément : un oiseau de lumière la traverse.

Un homme portant une combinaison de travail verte se déplace entre les pompes, il a une tête de poisson, sans menton, presque sans cou. Il regarde autour de lui avec de petits yeux brillants. Il ne voit pas grand-chose. La monotonie de l’été, une voiture qui passe et, de l’autre côté du rond-point, des panneaux publicitaires : un homme embrasse une femme par-derrière, ils sont allongés, supposément nus sous le drap qui les couvre ; à côté d’eux, le slogan UN MATELAS NOUVEAU, UNE PASSION NOUVELLE, et puis une autre réclame, déchirée depuis des jours, qui laisse deviner la photographie d’un véhicule blanc, l’emblème de la marque Volkswagen et un mot qui flotte sur un lambeau de papier, Caddy. Les deux panneaux centraux sont à demi cachés derrière un arbre. On aperçoit une voiture rouge et un écriteau


Antonio Soler

Écrivain