Poésie

Nous aimons la guerre

Écrivain

Comment peut-on être pacifiste ? Peut-être en dénombrant tout ce que nous aimons dans la guerre, du moins tel qu’Antoine Volodine en dresse la liste. « Nous sommes ceux et celles qui, grâce à la guerre, continueront à défendre nos valeurs humaines, et qui les défendront jusqu’à la der des der ou jusqu’à la fin. » La liste comme forme poétique, renvoyant à la fois à l’infini et à l’enfermement, a justement la vertu de faire sonner nettement ce mot « fin ». Un texte inédit écrit dans le cadre du festival MidiMinuit Poésie et que son auteur lira le 14 octobre prochain à la Maison de la poésie de Nantes.

Nous aimons la guerre, que ce soit chez nous ou chez les autres

Nous aimons les films de guerre

Nous aimons encore plus les actualités de guerre

Nous parlons avec respect des correspondants de guerre

Nous aimons voir les explosions au ralenti

Nous aimons voir les flammes et les malheureux qui essaient de les éteindre

Nous aimons les annonces faisant état du nombre des morts

Nous aimons plaindre au loin les blessés et les veuves

Nous aimons frissonner au spectacle du malheur

Nous aimons les images qui montrent des flaques noires de sang

Nous admirons la vaillance des chefs de guerre

Nous admirons leurs discours enflammés

Nous scrutons volontiers les cartes montrant les rapports de force

Nous aimons prendre parti pour un des camps

Nous aimons haïr l’ennemi des autres qui devient aussitôt notre ennemi

Nous nous régalons de commentaires éclairés sur la guerre chez les autres

Nous répétons volontiers des phrases définitives sur l’ignominie de l’ennemi

Nous aimons la diversité des paysages de guerre comme nous aimons les images du Tour de France

Nous aimons les séquences qui nous présentent en parallèle l’avant tranquille et l’après incendié

Nous voyons d’un œil non critique les crétins qui nous gouvernent coiffer un casque de fantassin et un gilet pare-balles

Nous aimons leur cirque télévisuel soi-disant imposé par les circonstances

Nous aimons la voix essoufflée des correspondants de guerre parfois accroupis derrière un mur pendant que plus loin on étripe

Nous aimons compatir et nous sommes fiers de ne pas être les seuls à le faire

Nous aimons nous étonner quand dans un pays en guerre les récoltes continuent avec la fumée des bombes à l’horizon

Nous aimons nous interroger à ce sujet et donner notre avis sur les paradoxes du temps de guerre

Nous apprenons les noms de canons, d’obusiers, de lance-missiles, et nous aimons étaler là-dessus nos connaissances

Nous aimons grimacer d’indignation devant les images sinistres qui exposent les crimes de l’ennemi

Nous aimons vérifie


Antoine Volodine

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