Les très riches heures de Modeste Mégalo
« Le vrai héros s’amuse tout seul »
Baudelaire
Nul ne sait comment il s’appelle, à part lui.
Nul ne le sait, puisqu’il n’y a jamais eu que lui, Modeste Mégalo, pour s’appeler ainsi, et toujours à part lui, et toujours à l’instant de bricoler des phrases, démonter remonter les éléments du langage partout rivés à la raison raisonnante afin de faire bouger les lignes pour leur donner du jeu et se donner de l’air, en vérité, un peu d’air, mine de rien – du moins parvient-il à s’en convaincre, certains jours (et s’en convaincre, c’est déjà l’éprouver).
Mais c’est de cela surtout que Modeste Mégalo voudrait se convaincre, cependant, non sans estimer au passage qu’y parvenir serait faire preuve d’une humilité somme toute fort remarquable et très réjouissante : se donner de l’air dans la langue commune, mine de rien ou pas, c’est en donner à tous, de l’air, et peu importe au fond qu’ils vous entendent ou non.
C’est là une théorie jetable, bien entendu, théorie kleenex si vous préférez, il en a d’abondance en réserve et il ne s’en plaindra pas, si certaines résistent mieux que d’autres à la vie courante. Du reste, celle-ci pourrait s’étayer du flot d’images très anciennes qui à l’instant le traversent, au souvenir du vaste piano-bar des beaux quartiers parisiens qu’il avait beaucoup fréquenté après qu’une pluie d’orage l’eut contraint d’y entrer par hasard, un beau soir de cette époque lointaine tout en ruptures amoureuses où il ne savait plus très bien où il habitait, ni comment il s’appelait (puisque Modeste Mégalo, comme le lecteur perspicace l’aura deviné, ignorait tout, alors, de son nom véridique). Chaque dimanche vers 22 heures il retrouvait la même petite table en retrait qui lui permettait d’embrasser la salle pour mieux partager l’enivrante mélancolie de la pianiste isolée sur sa minuscule estrade que personne n’écoutait mais qu’il voyait, ou qu’il imaginait, habitée par le désir farouche de s’immiscer à leur insu dans la conversation des clients, et même et surtou