Roman (extrait)

Melvill

Écrivain

Durant une nuit de décembre 1831, Allan Melvill traverse à pied le fleuve Hudson gelé et meurt de pneumonie après quelques jours de délire fiévreux. L’écrivain argentin Rodrigo Fresán, traduit par Isabelle Gugnon pour Le Seuil, poursuit sa réflexion sur la création littéraire entamée dans ses romans précédents. Mélangeant à plaisir situations d’énonciation, fictions et réalités, il rend hommage au génie de Melville (avec e). On saura à la fin pourquoi le e du père a disparu. En attendant, voici un extrait inédit en ouverture de la série de nos bonnes feuilles étrangères de Noël.

II. Glaciologie ou la transparence de la glace

[…] j’ai pu sonder d’un coup d’œil la grande misère de la vie humaine sur terre.
Je ne veux pas dire que nous finissons tous par mourir. Ce n’est pas ça, la grande misère.
Je veux dire qu’il était incapable de me dire de quoi il rêvait
et je ne pouvais pas lui dire ce qui était réel.
Denis Johnson, « Accident en stop », Jesus’Son

Écoute, Herman : tu avances d’abord un pied, puis l’autre une fois que tu es sûr que la glace ne risque pas de se briser.

Sur l’étendue gelée, il faut garder l’équilibre et progresser avec prudence, comme si on pénétrait dans une maison qu’on ne connaît pas ou comme si on sortait d’une maison qu’on connaît pour se risquer en terrain inconnu. Car évidemment, on éprouve une sensation très étrange et en même temps familière : on se retrouve tout à coup dans un lieu qu’on n’a jamais foulé, bien qu’on y soit souvent allé ou qu’on ait fréquemment rêvé (par conséquent nous l’avons déjà fréquenté) d’y aller.

Mais jamais de cette façon-là.

On a alors l’impression d’écrire ou de dire quelque chose qu’on n’a jamais formulé ni sur le papier ni par la parole, même si on y a constamment pensé dans notre langue, avec nos mots habituels.

Ce qu’on sait faire, c’est marcher.

L’inconnu, c’est la glace.

Marcher sur la glace en pensant à des choses qui ne nous viennent à l’esprit que lorsqu’on marche sur la glace.

D’où, je le répète, l’importance d’avancer d’abord un pied, puis l’autre.

En faisant attention à ne rien casser qui soit fragile ou précieux dans le noir, surtout pas cette glace qui te soutient et sur laquelle tu progresses pour regagner ton foyer, l’éternel point de départ.

Avec autant d’attention que lorsque tu dansais en comptant chaque pas, chaque tour et chaque révérence. Comme dans un menuet ou un quadrille[1], comme dans les danses et les contredanses que j’aimais tellement et pour lesquelles on m’a tant admiré dans les salons les plus en vue de Paris et de Londres.

Avoir pied sur cette solidité qui a un jour été liquide et qui le restera si tout va bien et suit le cours naturel des choses.

Donc, avancer en gardant les pieds légèrement ouverts vers l’extérieur pour rester stable, comme les pingouins, qui en savent long sur la glace, Herman.

J’aimerais pouvoir me lever et te montrer.

Ou, mieux, nous descendrions dans la rue, sans nous précipiter, sans courir, et je t’expliquerais tout cela in situ : au bord du fleuve, de l’Hudson gelé.

Je t’emmènerais voir la glace, oui.

Pas pour que tu la découvres, parce que tu l’as déjà vue ; à moins que tu ne sois un sauvage d’une ère préhistorique, il est évident que la glace, tu sais ce que c’est.

Mais celle qui recouvre un fleuve est différente.

Un fleuve de glace.

Un fleuve gelé.

Un fleuve glacial qui devient soudain un iceberg horizontal et sinueux.

Un fleuve qui s’est arrêté pour nous permettre de mieux apprécier sa réalité.

Un fleuve au repos.

Un fleuve qui prend la pause.

Un fleuve qui ressemble à une œuvre de musée intitulée Fleuve gelé.

Un fleuve qui serait le portrait d’un fleuve réalisé selon une technique mixte : eau et froid. (315 mi / 507 km – 14 000 sq mi / 36 000 km2.)

Un fleuve (celui-là même que nous avons souvent traversé en barque, où je t’ai jeté un jour pour que tu apprennes à nager, avec ce mélange d’amour et de méchanceté qu’ont les pères) qui, en quelque sorte, a oublié qu’il en était un pour s’imaginer devenir autre chose.

Un fleuve qui est son propre pont, du haut duquel personne ne pourra se jeter.

 

Un fleuve qui, paradoxalement, est parti sans aller nulle part mais reviendra au printemps.

Oh, comme j’aimerais être encore par ici pour aller le saluer à cette saison : l’entendre bâiller à peine réveillé, depuis le jardin, se lever de son lit comme si c’était celui d’une longue convalescence qui s’éternise, l’écouter craquer, se casser, exploser en mille morceaux pour, de nouveau entier, se remettre à fonctionner complètement.

Mais je ne peux pas le faire et je le regrette, je ne pourrai pas le faire plus tard et je ne peux pas le faire à présent.

Bouger.

Bien contre mon gré.

Oui, oui, oui.

Quelqu’un m’a lié à ce lit, ce qui me rend tantôt furieux, tantôt reconnaissant : ainsi immobile, je suis libre de ne rien faire, de ne rien faire bien. Ainsi je ne peux plus tout mal faire, comme d’habitude. Attaché et agonisant, je suis davantage et mieux considéré que je ne l’ai été depuis longtemps, trop longtemps. Cette éminence m’exalte, car en principe elle ne peut trinquer (santé !) qu’à l’éminence maladive et terminale de la fin.

Ainsi je repose, non sur le pied de guerre mais ayant cessé les hostilités, si proche de reposer en paix, du paisible repos.

 

Je pense à moi à la troisième personne, glaciale, ou à la première personne, plus chaleureuse. Je ne crois pas être le seul (et qui sait… ce recours, la différence ou la similitude entre ce qui a été expérimenté et l’expérience, entre le je et le il, te sera peut-être utile un jour, Herman). C’est sans doute quelque chose (un artifice mental invisible et décisif dans le monde physique et corporel) qui s’active durant notre première jeunesse, quand nous nous remémorons la dernière partie de notre enfance. Quand on est vraiment tenté et qu’on a besoin de se convaincre qu’on est le héros du grand roman de notre vie, on a parfois recours à un mécanisme de défense – on ne sait jamais, au cas où… – qui consiste à être raconté plutôt qu’à se raconter soi-même. Et on évite de la sorte d’être responsable de nos actes les plus coupables et honteux, de nos péchés, en partageant leur accomplissement avec une entité ou un auteur invisible qui nous fait aller çà ou là. Au fil des échecs, cette impression s’intensifie, bien entendu, et on voudrait se glisser dans la peau de quelqu’un d’autre, qui subirait ces événements (ces terribles événements) à notre place, par la faute du hasard ou du destin, en évoquant tout l’attrait irrécupérable et initiatique qu’a exercé sur nous le fait de se sentir particulièrement audacieux dans notre propre démarche, la plus appropriée.

Il en est ainsi, Herman : quand je suis hors de moi-même (et ma fièvre n’a fait qu’accentuer ce symptôme), ça me soulage un peu de pouvoir me considérer comme quelqu’un qui n’aurait pas déserté son corps et serait capable de mener à terme des entreprises sensées, de relever des défis raisonnables que dans d’autres circonstances…

Non comme si je me voyais de l’extérieur, mais comme si je me lisais : en respectant une certaine distance. Sans trop de recul, suffisamment pour m’offrir une perspective minime et pourtant stratégique de ma personne (un recul qui équivaudrait à la largeur d’un fleuve gelé séparant deux rives).

Être un bon personnage dont les mauvaises actions n’importeraient guère.

J’aurais alors, maintenant, l’occasion de me présenter (Appelez-moi Allan Melvill… ou Call me Allan… quelque chose d’approchant) ; puis je deviendrais la voix qui décrit tout ce qui l’entoure au point d’y inclure la totalité de l’univers, et il n’y aurait plus de limites entre l’intrigue et celui qui l’ourdit.

Être témoin du rôle que je joue.

Être à la recherche d’un symbole qui symboliserait tout.

Être témoin pour témoigner ensuite.

Comme si ma vie se projetait sous mes yeux de la même manière que l’a fait Cosmo il Magnifico (des pinces maintenaient mes paupières ouvertes afin que mes pupilles apprennent) lors d’un séjour assez court (mais très secret, inavouable et aussi improbable que véridique) dans les chambres sous-marines de son palazzo vénitien, pendant mon Grand Tour.

Il arrive que cette sensation soit encore plus perturbante : ce moi à la troisième personne (cette vie qui est la mienne) m’apparaît également sous forme de commentaires dans d’explicatives notes de bas de page. Des clarifications (dont je ne parviens pas à déterminer ou à identifier l’origine ni l’auteur dans les ombres de la fosse d’orchestre ou les coulisses de la scène) qui m’indiquent des mots et des répliques et semblent en savoir aussi long sur les particularités de ma personne que sur les traits de mon personnage (c’est sans doute dans ces instants, Herman, que je songe à ce que Nico C. m’a dit un jour à propos de leur singulière façon de s’exprimer, lui et ses congénères, et…).

 

Par exemple :

 

Que cela soit consigné et archivé, même si on préférerait ne pas le faire :

Dans la nuit du samedi 10 décembre 1831, Allan Melvill traverse à pied le fleuve Hudson gelé.

 

Toutes ces informations m’arrivent de manière spasmodique, dans de courts paragraphes, des messages qui seraient envoyés de très loin et que j’ai parfois du mal à entendre, à voir, à lire. Afin de faciliter leur classification, je les séparerai à compter de maintenant par des astérisques.

J’avais dans un premier temps envisagé ce symbole : †

Mais il me rappelle trop une dague, qui à son tour me fait songer à un couteau, or les couteaux m’évoquent…

J’ai donc tranché pour des astérisques, rien de plus.

Les astérisques ressemblent à des flocons de neige ou à une de ces bactéries qui, au microscope, vous adressent des clins d’œil. Aujourd’hui, avec un enthousiasme communicatif, elles dansent en moi et me font danser et m’agiter tel un possédé, pieds et poings liés dans mon lit, scrutant le plafond de cette chambre, pareil au Fool Fou de la carte sans destination ni destinataire du tarot : quelqu’un qui crapahute sans voir où il marche, au bord de l’abîme, les yeux levés vers le ciel sans étoiles parce que les étoiles, les étoiles noires, ce sont ses yeux. Ils ont vu trop de choses et donneraient n’importe quoi pour cesser de voir ce qu’ils ont vu et continuent de voir. Ils ont oublié comment se fermer.

Et sur cet arcane, à mes pieds, au lieu d’un petit chien rêvé qui pourrait s’appeler Argos ou Ajax, je te vois toi.

Tu es là, Herman : éveillé, cherchant en vain à m’arrêter pour m’aider à trouver un sommeil qui me soustrairait à mes rêveries. Attention, Herman : ce son que j’émets à présent en faisant claquer le bout de ma langue, comme s’il coulait de la pointe d’une plume sur le papier, est celui qui signifie une pause, l’astérisque.

 

Comme ceci : *

 

Cet astérisque qui précédait et séparait tous les sujets que j’étais allé glaner à l’extérieur pour les semer dans mon cahier d’exercices de calligraphie quand j’apprenais à écrire.

Je l’ai conservé, Herman.

Il contient mon écriture, d’abord enfantine et ronde, puis anguleuse et juvénile et, à la fin, précipitée et secouée de tremblements.

Il est là, dans le tiroir du haut de mon bureau. Va le chercher, prends-le, rapporte-le et ouvre-le. Je suis sûr qu’il y a suffisamment de pages blanches pour que tu commences (si tu le souhaites, ce que j’espère) à prendre note de ma déclaration et que tu deviennes le transcripteur de ma mémoire.

Herman : tu vas consigner tous ces mots épars et fébriles auxquels tu donneras peut-être un sens en faisant un peu baisser leur température.

J’admets toutefois que c’est une tâche irréalisable pour un garçon de ton âge au vocabulaire limité. Mais tu attraperas probablement une idée par-ci par-là et, avec le temps, dans de nombreuses années, tu seras capable de recomposer la splendeur de ma défaite à partir de ces ruines et d’un joyau perdu parmi les ossements que tu découvriras.

À l’âge que tu as aujourd’hui, je me rappelle avoir noté ce genre de propos dans mon cahier d’exercices :

 

* Je respecterai mes Aînés si je veux être respecté.

DICTÉE : Paradis – Enfer – ciel bleu – douleur – campagne verte – froid rail d’acier – sourire – voile – héros – fantômes – cendres chaudes – arbres – air chaud – brise fraîche – froid confort – changement – guerre – cage – rôle essentiel

* Fort d’une Vertu précoce, sème dans ton cœur ce que mépriseront plus tard les Arts du Vice.

* L’éducation. Elle forme l’esprit et la conduite.

* L’argent est maître de tout.

* Les malheurs ont l’avantage de nous rendre modestes & sages ; / Celui qui possède de semblables Vertus récolte / Une grande récompense pour toutes les douleurs qu’il a endurées.

Une Amitié généreuse qui ne connaît aucun froid, /Brûle d’Amour, brille de Ressentiment ; / On doit porter son intérêt et ses passions vers un seul objet ; / Mon Ami doit mépriser l’homme qui me blesse.

* L’Art et la Science se rejoignent dans la Nature.

L’Honneur et la Renommée, avec Diadèmes & Empires, sont les Buts des Hommes ayant de l’Ambition ; mais celui qui est maître d’une Plume Admirable les surpasse tous.

Permettez-nous d’être meilleurs dans le Temps qui nous est imparti. Il n’y aura plus de Temps pour les regrets une fois que nous serons dans la tombe.

* Bouger sans cesse, mais dans quelle direction ?

* Elles sont là (à partir de maintenant, commencer chaque paragraphe par un astérisque, Herman), à s’agiter constamment dans toutes les directions possibles. Plus proches du vice que de la vertu avec repentance, art et science et (oui) de l’amour aussi, toutes ces phrases et pensées (que je me rappelle de mémoire), et bien d’autres encore. Et à présent (c’est curieux quoique parfaitement logique) je ne peux qu’y voir un genre d’autobiographie intuitive formulée à l’avance. À croire qu’en mettant tout cela par écrit, j’avais déjà déployé sans le savoir une sorte de talent divinatoire en inventant des épigraphes, multiples mais jamais trop nombreuses (ou plutôt des extraits, un mot qui m’évoque surtout des parfums éloignés, semblables à ceux dont je faisais commerce, qui s’altèrent au nez lorsqu’ils s’associent à la fragrance de l’inaliénable peau d’une personne, créant ainsi une senteur unique et impossible à reproduire : l’essence de chacun). Des extraits étrangers au début du roman d’une vie que je décide immédiatement de synthétiser sous forme de Science pour (avec tout le talent dont je suis capable) rendre compte de ma Nature.

* Je propose donc ici de créer (tout en me demandant si elle n’existe pas déjà ; en vérité Nico C. m’a dit qu’elle existait, de même que la mode des redingotes et des chapeaux de la saison prochaine sera inévitablement une distorsion de l’écho de couleurs et de coupes passées) une science appelée Glaciologie.

Mais attention, je tiens à t’avertir qu’elle sera exclusivement adaptée à mes intérêts et à mes besoins. Les déclarations contenues dans les extraits qui suivent (désordonnés mais authentiques) ne doivent donc pas toujours être pris pour le dernier évangile de glaciologie de référence. Bien au contraire. Le seul intérêt, la seule valeur de ces fragments tirés d’auteurs en général anciens, et de poètes et peintres cités et à venir, consiste à présenter une image rapide, pour ainsi dire à vol d’oiseau, de tout ce qui a été dit, pensé, imaginé et chanté de mille manières différentes et dans de nombreuses nations au fil des générations (y compris la nôtre, Herman) à propos de la glace et de sa transparence.

Ainsi, ce qui va suivre est l’étude systématique, mais très personnelle (à partir d’un examen général de la glace) de cette variété particulière de l’espèce qu’est la glace sur laquelle je me suis déplacé il y a quelques jours, dans la nuit fatale du samedi 10 décembre 1831.

Gelum mellvillium.

Le miracle intime d’un Allan Melvill pour une fois (la dernière) héroïque marchant sur les eaux gelées du fleuve Hudson pour rentrer chez lui.

Écoute, Herman.

Prête au moins attention à l’homme à qui on n’ose plus rien prêter et à qui on réclame tout.

* Nous voilà donc lancés avec audace sur la glace de cette fameuse nuit ; nous nous perdrons bientôt dans ses immensités sans rives ni ports. Mais avant cela (avant que le corps enveloppé de fièvre de ton père ne finisse par tout faire fondre et ne s’immerge dans les profondeurs les plus frigides), il conviendrait dès le départ de nous intéresser à un sujet presque incontournable afin de comprendre en bonne logique les révélations ô combien singulières que nous fera la glace, et d’évaluer les allusions de toutes sortes auxquelles nous aurons recours afin de décrire sa forme et sa matière.

J’aimerais t’offrir, Herman, une exposition systématique de tous les types de glace existants.

Ce n’est pas facile.

C’est comme tenter de classer les composants isolés et les pièces éparses du chaos le plus compact, rien de moins.

Les diverses sortes de glace ont besoin d’une catégorisation à la portée de tous, même s’il ne s’agira pour le moment que d’une ébauche à compléter par les chercheurs du futur.

Et comme nul autre que moi ne s’en est chargé jusqu’à présent (je dois m’en persuader sans faire cas des moqueries de Nico C.), je te propose mes modestes services.

Je ne promets rien d’exhaustif, car toute entreprise humaine se prévalant d’être complète est pour cette raison forcément imparfaite. Je ne prétends ni me lancer dans une description physico-chimique minutieuse de ses multiples variétés glacées, ni en faire de là où je suis et à cet instant une analyse générale.

Mon but consiste simplement et en toute modestie à ébaucher une systématisation de la Glaciologie.

Je suis l’architecte, pas le constructeur.

Mais il est vrai également, je l’avoue, que j’aspire (j’expire et des nuages de buée froide sortent de ma bouche et de mon nez) à être humblement reconnu comme le troubadour dévoué qui chante et fait rimer les exploits du Prince des Puissances de la Glace.

* Oh, c’est vraiment une tâche ardue ! Un banal sélectionneur de tissus ne saurait honorer (et n’a du reste pas à le faire, ce n’était ni l’idée ni l’objectif de ma vie, d’autant moins à l’heure de ma mort, que je sens s’approcher à toute vitesse, comme sur des patins glacés aux lames bien affûtées) une telle entreprise dans toute son envergure, Herman. Mes ciseaux ne coupent plus, mes aiguilles ont cessé de coudre, mes boutons ne ferment plus rien.

Je vais cependant essayer, car étant le plus triomphal des perdants, je n’ai rien à perdre. Et quand on se trouve dans cette situation, on se place en quelque sorte au-dessus de la défaite.

Sur un territoire sans nom et non cartographié.

Suspendu en suspens.

Comme gelé.

Mais, dis-moi, Herman, qui est cette personne qui semble flotter là-bas, dans un coin, en battant des ailes à côté de mon portrait qui est également le sien ? Nico C. ? Est-il revenu me chercher avec sa cape aérienne, des ailes qui ont l’air de bouger sous l’eau glacée ? Est-il là ou de l’autre côté de la fenêtre, comme cette fameuse nuit, à Puig de l’Àliga ? J’avais alors confondu ses coups avec le bruit des branches d’un arbre secoué par le vent. Il voulait que je le laisse entrer, les mains froides et transparentes, taillées dans ce qui s’apparentait à la plus raffinée des glaces. Tu le vois toi aussi ou est-ce une divagation de ma part ? Oh, mais je ne voudrais pas trop m’éloigner du sujet qui nous occupe…

La glace.

La Glace.

Car errer sur sa surface fatale, glisser, tomber et se relever, avoir les mains gelées dans ses inexprimables origines est quelque chose de terrible. Car la surface de la glace est en réalité la partie la plus haute et la plus élevée de sa profondeur.

Je parle ici de la Glace Originelle. La Glace (et non la poussière) d’où nous venons et où nous retournerons, qui est celle d’un espace infiniment profond et cosmique. La Glace précède la Lumière qui Fut, et la Glace sera la Glace à laquelle nous retournerons quand notre soleil sera éteint et que la Glace recouvrira toute la surface de notre planète, tel un masque qui adhère à la tête qu’il dissimule et la mord.

 

* Primo : la condition imprécise et indéfinie de cette science de la Glaciologie est dès le départ attestée par le fait que, dans de nombreux endroits, le point essentiel et premier, à savoir qu’est-ce que la glace, reste à définir. Il convient aussi de s’interroger sur son aspect impossible à confondre, sur les multiples noms que lui donnent les peuples qui vivent entourés d’elle et s’en servent pour édifier leurs demeures, sur l’ordre auquel elle appartient, et…

 

* À cet instant je ne peux m’empêcher d’imaginer Nico C. en train de m’écouter en esquissant un de ses sourires si particuliers. Des sourires froids qui brûlaient, donnaient parfois le frisson ou m’embrasaient comme un bûcher. Des sourires exhibant des dents d’une blancheur éclatante qui étaient le rappel éblouissant et l’annonce parfaite du squelette sous la peau et les muscles : les dents, la seule partie de notre ossature qui exige d’être vue de notre vivant et nous est indispensable pour continuer de vivre, de mâcher notre nourriture (savais-tu, Herman, que George Washington avait un dentier en bois qu’il avait taillé lui-même ? J’ignore si c’est vrai, ton grand-père me l’a raconté ; il l’avait rencontré et le répétait constamment, au point que j’avais moi aussi l’impression de l’avoir connu ou de ne jamais vouloir le connaître), de tenir à distance et dans notre corps notre insolente charpente osseuse qui se débat constamment pour s’échapper de sa douloureuse prison tourmentée.

Et maintenant je n’imagine plus Nico C. mais entends distinctement sa voix, sa compulsion encyclopédique, sa manie référentielle. Il soupire dans ma tête : « Mais Allan, comment peux-tu ignorer l’existence de ce qui a déjà été étudié et s’est répandu sous le nom de Glaciologie ? On s’y intéresse depuis très longtemps. C’est une science interdisciplinaire qui, avec la découverte de glace sur la Lune, Saturne, Jupiter et Uranus, sera bientôt élevée au rang d’Astroglaciologie… Ce que tu exposes n’est pas vraiment novateur. On l’analyse, et pendant que tu parles à ton fils comme si tu t’adressais à moi, à partir de l’observation des différentes glaciations et de la nature alpine ou continentale des glaciers, on se lancera très vite à la conquête des pôles, et… Savais-tu que si tous les glaciers fondaient en même temps, le niveau de la mer augmenterait de soixante-dix mètres ? Qu’on fera remonter l’échantillon de glace le plus ancien à 750 000 ans ? Veux-tu que je t’aide en te conseillant une petite bibliographie ? J’ai ici, dans ma bibliothèque personnelle, des incunables comme Descriptio montium glacialium Helveticorum, de Johann Heinrich Hottinger, L’Histoire naturelle de la Suisse, un ouvrage de Johann Jakob Scheuchzer, et plusieurs œuvres de Mikhail Vassilievich Lomonossov… Je possède également des copies de livres qu’on n’a pas encore écrits, de John Muir (qui affirmera que, dans leurs déplacements expansifs, les glaciers dessinent, modèlent et sculptent le paysage avec lenteur, mais sans interruption), de Louis Agassiz, François-Alphonse Forel, Freddo Sorbet, Albert Heim et Leonard Snart… Ah ! moi aussi j’ai exploré les neiges éternelles et antarctiques du sud de mon continent. J’y ai entendu ces grands oiseaux blancs chanter leur affolant Tekeli-li ! Tekeli-li ! Ils battaient des ailes et planaient au-dessus de murs tatoués de caractères forcément dérivés de l’égyptien le plus pyramidal qui soit ou de l’arabe ancien. J’ai plongé dans le lac subglaciaire Vostok, où l’homme n’ira pas avant 1970 ; là, j’ai pu sentir le souffle endormi et le mouvement oculaire rapide et tentaculaire de tous les micro-organismes attendant de remonter à la surface, pressés de voyager dans l’air du futur pour occuper les poumons des individus à venir, les envahir, les contaminer avec des plaies bibliques jusqu’alors assoupies et les faire partir d’ici bien plus vite qu’il ne le faudra et ne le faudrait, en leur coupant brusquement la respiration et… »

J’interromps maintenant Nico C. et lui crie (ne sois pas effrayé, Herman ; il n’est pas nécessaire que tu notes tous ces auteurs et ces livres aux noms et aux titres bizarres) que tous les rayonnages de sa bibliothèque, toutes ces informations et ces connaissances vieilles de plusieurs millénaires ou appelées à être découvertes plus tard n’ont ni l’espace ni la capacité pour accueillir et contenir la nature et la composition exacte de la glace que j’ai foulée il y a quelques nuits, uniquement protégé par la chaleur intransmissible d’un homme désireux de rentrer chez lui.

Car, et j’en suis désolé (un « désolé » qui demande des excuses, mais avec une sensibilité ravie et non coupable), je viens de comprendre que ma Glaciologie est pour tout et à vrai dire une Melvillogie.

Oui, c’est une science qui n’appartient qu’à moi et à moi seul.

Ses théorèmes et équations sont enracinés dans l’inexactitude précise (parce que nécessaire) des sentiments les plus mortels et (pour cette raison même) dans les sentiments les plus vifs.

Et conscient (une fois n’est pas coutume) qu’il ne pourra jamais éprouver pareil amour désespéré pour les siens (celui que j’ai ressenti cette fameuse nuit), Nico C. (il flotte au-dessus de moi et de ma culpabilité dont il est le coupable) garde le silence et se délite comme s’il fondait.

 

* Donc, la glace. La température à laquelle elle se fait et se défait.

La glace qui, par définition, est de l’eau à l’état solide, mais qui est en réalité tant d’autres choses, tant d’autres glaces.

La glace, qui occupe davantage d’espace que l’eau dont elle est issue, de même que le froid de la tristesse est toujours supérieur à l’étincelle glacée qui l’allume.

La glace dans le cœur déclenchée par un regard glacial.

La glace dans les veines.

La glace que j’étudie et que j’expose ici (en songeant aux pôles de la Terre ou aux lunes des astres lointains), comme si elle était l’éternel problème et la solution finale.

La glace gelant sur différentes structures ou phases cristallines à mémoriser : histrionique, hexagonale, dantesque, cubique, épidémique, rhomboïdale, cyclothymique, tétragonale, comestible, orthorhombique, mutante, monocyclique, amorphe, symbolique, maniaque, référentielle, avec une forte propension à fluer dans le temps (la glace qui marque le passage du temps en se réfrigérant et en fondant ; mais pourquoi n’y a-t-il pas d’horloges de glace alors qu’il existe des cadrans solaires et des sabliers ?). La glace qui pour certains fait partie de la famille des minéraux.

La glace recule devant le sel, mais introduite dans une faille, elle peut faire s’écrouler des montagnes en se répandant.

La glace, qui préserve des créatures ancestrales et interstellaires, ou de monstrueuses merveilles de notre époque, comme ce phénomène galvanisé et cousu à partir de membres humains. (« As-tu lu ce roman très en vogue, Allan ? Il n’est pas mal… Non… Tu ne peux pas l’avoir lu parce qu’il n’a pas encore été écrit… Celle qui en est l’auteure… pardon… qui en sera l’auteure… était la compagne du bon poète et d’un ami encore plus précieux… Elle venait tout juste de sortir de l’adolescence et avait pris la fuite au nom d’un amour interdit. Elle finira par s’accrocher au cœur d’un autre poète mort que même les flammes ne pourront éteindre ou consumer, dans le futur, au cours d’une année sans été avec sur le lac de Genève des ciels voilés par les cendres que crachera le Tambora et qui tomberont sur la terre tels de petits bouts de nuages. Ce roman est, sera lui aussi constitué de lambeaux. J’adore l’insistance que mettent les fictions fantastiques à s’assembler avec des lettres, des articles de presse, des journaux intimes… À croire que leurs auteurs pensent de cette manière rendre l’histoire possible et vraisemblable alors qu’en vérité, sans s’en rendre compte, ils ne font que dénoncer le tissu si facile à déchirer de la réalité, dénommée ainsi à tort, et de ce qui est supposément vrai… Mais peu importe. Ce qui compte et comptera dans le livre dont je te parle, c’est que l’idée de fantastique repose sur une certaine base technologique. Ça, je trouve que c’est le signe que les temps évoluent de façon positive, meilleure ou en tout cas plus intéressante… Des formules plus ou moins fermes et affirmatives au lieu des mythes douteux et évanescents. Les prodiges tangibles de la science occupant la place des insaisissables miracles de la religion », m’a dit Nico C.)

La glace qui t’invite à sortir jouer et aussi à rester à l’intérieur et à méditer dans la plus intérieure des vies.

La glace qui est autant une récompense qu’une punition.

La glace qui conserve nos aliments tout en les couvrant, en les cachant complètement jusqu’à ce que, égarés dans une clairière perdue, nous nous endormions, bercés par une chanson douce glaciale et, avec un peu de chance, on nous retrouvera au printemps suivant ou dans mille étés, intacts, la peau couleur de glace.

 

* Quelle est la couleur de la glace ? C’est difficile à dire. Les gens (sans trop réfléchir, ils associent automatiquement la glace à la neige) tendent à penser et à dire « blanc », puis s’empressent de tirer la langue pour attraper les premiers flocons, s’allongent sur le sol recouvert d’un tapis immaculé pour ouvrir et fermer les bras de manière angélique, ou font avec une joie proche de celle des dieux les plus joueurs des bonshommes de neige céleste et non de boue divine.

Le mieux serait peut-être d’affirmer que la glace a la couleur de la glace.

La transparence brumeuse d’un diamant brut à cultiver ou d’une fenêtre avec un panorama hivernal et une vue embuée.

Mais il est certain (quand on cherche et qu’on atteint une certaine précision chromatique) que la glace la plus pure est bleue, car elle absorbe davantage la lumière rouge et jaune et reflète la lumière bleue. Parce que la neige, en gelant par un froid si glacial qu’elle ne peut plus tomber, se gorge de bulles d’air.

Ou quelque chose d’approchant.

Nico C. me l’a expliqué (en me parlant de « photons rouges, jaunes et verts », de « molécules chromatiques », de « particules dispersées » et de la « lumière blanche du soleil », et au lieu de me concentrer sur ce qu’il disait, je songeais à lui me disant tout cela) pendant que nous marchions en faisant rimer nos pas sur la Piazza San Marco gelée et que les chants des gondoliers tiédissaient à peine la froidure des canaux sur lesquels ils glissaient en brisant la glace avec leurs rames comme si c’étaient des lances ou des harpons.

« Ce qui n’empêche pas (poursuit-il) qu’il y ait dans les régions polaires une glace verte pleine d’espoir, et une autre rouge sang à cause des particules d’algues presque entièrement dissoutes dans l’eau ou de la présence de nombreux micro-organismes sur les plaques soudain fantasques. »

Je lui demande comment il le sait, comment il peut le savoir.

« Je l’ai vu, répond-il en fermant les yeux, plus pour mieux se souvenir que pour ne pas voir. Je l’ai vu. »

Il rouvre ensuite ses yeux bleus qui transpercent ceux d’Allan Melvill, désormais à la troisième personne, en poursuivant son exposé sur la couleur bleue, sa « longitude d’onde », sa variante standard, son étymologie en espagnol (azul venant de l’arabe hispanique ou de l’arabe tout court, à moins que ce ne soit un mot perse ou sanscrit, ou bien un dérivé d’un lexème grec). Il parle du blue qui résulte du mélange européen entre le bleu, le blewe et le blao.

Il sourit en me racontant (mon « je » est de retour) que pour les Japonais le vert est bleu. Je ne lui demande plus pourquoi il connaît toutes ces langues, de crainte qu’il me réponde ou (comme il le fait sans le faire) qu’il se contente de m’adresser un sourire d’où fusent en permanence toutes les connaissances du monde entre deux rangées de petites dents pointues.

Il déclare en souriant qu’à l’origine, le pigment bleu était extrait du lapis-lazuli et d’autres minéraux et plantes plus ou moins précieux. Et qu’il est une des quatre couleurs primaires (avec une fierté ridicule, je lui rétorque que ça, je le savais déjà, et qu’au demeurant il n’y en a pas quatre, mais trois ; il réplique qu’il existe une quatrième couleur primaire, mais que « vos pupilles ne sont pas encore prêtes à la percevoir »). Et il s’empresse d’ajouter que dans quelques décennies le bleu sera aussi considéré comme une couleur « psychologique froide » et « soustractive secondaire ». Il aura la qualité qu’on prête à Jéhovah de « se contracter pour être infini ». Et parmi toutes ses variations (bleuet, acier, Alice, militaire, cobalt, Klein, égyptien, électrique, Munsell, marine, outremer, de France, maya, de Prusse, pourpre, pervenche, royal, verdâtre, saphir, céruléen, YInMn…), sa favorite est « pour des raisons évidentes » le « Bleu Électromagnétique Spectral, qui ressemble à celui des piscines olympiques de demain ». (Allan Melvill lui demande quelle est cette teinte ; « Regarde mes yeux et ferme les tiens », lui répond Nico C. ; et Allan a de nouveau l’impression que sa première personne se rétracte en troisième, que les secondes s’étendent en heures, en nuits entières, et que son corps est une partie du corps de Nico C.)

Ce dernier lui parle d’une cécité temporaire devant la couleur bleue. À cause de sa pauvre représentation linguistique dans le monde ancien, les philologues (qu’est-ce donc ? me dis-je) en sont arrivés à croire que les Grecs et les Romains souffraient d’une sorte de trouble optico-génétique, la « tritanomalie », qui affectait leur vision du ciel et de la mer ; ils les voyaient d’un noir de jais dressé devant eux ou de la couleur sanguine du bon vin (et il précise que « très bientôt quelqu’un expliquera pourquoi l’un et l’autre, la mer et le ciel, sont bleus »).

Nico C. me détaille ensuite les différences divines entre le bleu danseur de Vishnou, le bleu emplumé de Huitzilopochtli, le bleu vigilant de Sakra, le bleu médicinal du Bouddha Bhaisajyaguru et le bleu récurrent des capes de la Vierge Marie, prise d’assaut sans consentement.

Il m’avoue qu’il considère que les lettres ont des couleurs, me décrit le bleu du x acéré, celui du z nuageux et tourmenté, de l’huckleberry acidulé du k, le bleu mêlé de nacre qui sert à émettre la tonalité exacte du c.

Nico C. distingue le bleu dans le sang (« c’est sa vraie couleur, Allan ») de tous les individus convaincants ou convaincus que Dieu les a élus pour régner sur la Terre (contrairement aux paysans et aux ouvriers, ils passent très peu de temps au soleil et beaucoup à la lueur des bougies, d’où leur pâleur, qui fait ressortir leurs veines bleutées, une preuve criante de leur classe et de leur aristocratie).

Il déclare que le bleu est la couleur qu’on préfère pour les drapeaux et les uniformes, et qu’il n’y a guère de traces de bleu sur les peintures préhistoriques, mais qu’il abonde dans les palais et les tombes de Thèbes, Babylone, Cnossos, Pompéi, Byzance, dans le monde islamique et les ruines magnifiques de l’hippodrome de Constantinople. Il dit aussi qu’au Moyen Âge (à l’exception des turbans touareg), le bleu a perdu du terrain dans les atours des princes de l’Église et dans les cathédrales, jusqu’à la reconstruction de la basilique de Saint-Denis et l’installation de vitraux à Chartres ou dans la Sainte-Chapelle. Tout à coup, on s’est mis à représenter le roi Arthur vêtu de bleu ; Louis IX a apprécié et l’outremer est devenu la star de la peinture de la Renaissance et de la porcelaine dynastique bleutée de Chine. L’exploitation du pastel fait baisser son prix et l’enrichit de multiples possibilités, et à compter du XVIIe siècle, les chimistes européens se lancent à la poursuite quasi alchimique du « bleu parfait », en tâchant de retrouver la formule du synthétique bleu égyptien perdue dans les sables déroutants de Louxor. Par accident, un pharmacien allemand illumine le bleu de Prusse, importé avec beaucoup de succès à Nagasaki, de là l’estampe d’une vague géante que commencera à peindre quelques années plus tard un peintre appelé Katsushika Hokusai (« qui me rappelle vraiment cette boucle sur ton front, Allan »). Un bleu très prisé par le groupement connu sous le nom d’impressionnistes, « et par mon artiste expressionniste abstrait favori : le visionnaire d’horizons extraterrestres et suicidaire Mark Rothko, qui a mis l’accent sur son amour pour le bleu en y renonçant complètement quand il a édifié une chapelle du futur dans une ville américaine encore étrangère aujourd’hui, mais dont l’air regorge de plomb et de poudre, et où on parle trois langues simultanément ».

Il écoute Allan Melvill, qui écoute Nico C. faire ensuite référence aux blues et aux blue jeans, au titanique blue iceberg qui coulera un bateau supposément insubmersible plus grand qu’un château, aux ardents blue movies (« Cosmo t’expliquera ce que c’est et te dira aussi ce qu’est, ou plutôt ce que sera un film. Celui qu’on aime le plus a trait à la neige, à la glace et aux miracles »), au bleu tragique des cadavres.

Mais parmi tous ces bleus il en manque un, Herman : le mien. Le Bleu de Melvill si blue : le bleu de la glace de l’Hudson gelé que j’ai traversé à pied pour, d’une rive à l’autre, laisser tomber ma raison et la perdre.

 

Rodrigo Fresán, Melvill, traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, © Éditions du Seuil, 2023.

En librairie le 20 janvier.

 


[1] En français dans le texte. (NdlT.)

 

Rodrigo Fresán

Écrivain

Notes

[1] En français dans le texte. (NdlT.)