Tu parles d’un poem
Juste une idée
qui tient la route
en six lignes max
je l’ai notée là
c’était il y a longtemps
toi tu la lis à l’instant
En TGV
le front sur la vitre
soudain réveillé
à cause du froid au front
(froid au front
essaie un peu
de le dire vite)
front au froid
minipoem tagué
au doigt sur la buée
et loin derrière
hop un arbre
qu’on appelle tremble
hop les autres
appelés freine
être ou charme
On avance
dans la lumière de plus en plus
cuivrée on voit les éoliennes
toutes petites là-bas on peut les
saisir entre le pouce et l’index
et au fur et à mesure qu’on avance
le son de nos pas s’améliore c’est
en marchant que tout s’arrange tout
se passe bien on dit ok ça roule
on parle de ce qu’on pourrait faire
demain ou tout à l’heure et
au fur et à mesure qu’on avance
on oublie ce qu’on disait y a cinq minutes
les personnes les endroits les passions
deviennent ovnis qui frôlent
nos épaules décollent ondulent et
disparaissent loin derrière nous
comme si on les découvrait
sous un gros caillou toutes sortes
de phrases fourmillent et l’une après
l’autre s’envolent dans l’air et
l’air il est tiède
Les rideaux
fenêtres ouvertes sur l’air du soir
ils frissonnent ondulent danseuses fatiguées
mais parfois
un geste grandiloquent
façon magistrat
surjoué
vitesse lente
(au loin derrière les nuées
fauves dévorant la lune)
nuit d’été en chaleur
rideaux qui soupirent
l’air fait sa grande folle
le vent il tombe
raide dingue de moi
il glisse
ses doigts
ses doigts légers
dans mes cheveux
Heureusement
vérifier le mail
la liste des destinataires
relire la petite bombe
à retardement
par amour du drame
appuyer sur envoi (son
de fusée loin qui décolle
en oblique façon mouette)
sur l’écran noir plus tard voir
son propre visage reflété comme
la tête d’un mec qui a fait fortune
en composant des sonneries
un mec au sourire vide
devant son reflet noir
c’est pas encore moi
ni toi heureusement
La force de l’âge
ce soir désolé
je suis une vieille femme
une vieille femme qui somnole
devant la finale de la coupe
de la coupe
du monde
bonsoir tout le
monde désolée
Vingtetunième siècle
moi plus tard je ferai tueur à gages calme
implacable arrogant aussi antipathique que
alaindelon
parfaitement raccord dans ce monde du vingtetunième siècle
oui c’est moi l’homme qui se plaque dos au mur et visse
le silencieux
zéro idée zéro enfance on passe à côté de moi sans
me reconnaître moi plus tard je serai grave dangereux et
encore pire
en noir et blanc juste une silhouette grise avec dedans
un projet dark et tout autour l’air tremble sous un soleil de
plus en plus hardcore
aujourd’hui personne ne me croit mais en 2058 après JC
on dira dans le fond ce vieux type on le connaissait mal c’était
un faux gentil
Un arbre
ses racines
s’étendent
il paraît
aussi loin dans la terre
que dans le ciel ses
branchages
il paraît il
paraît-il paraît qu’il
aurait enterré son reflet
mais c’est
à vérifier ça
se discute
C’est pas de la pub
ce poem qui part d’une bonne intention il
peut aussi bien se lire dans les transports
ou en silence dans un fauteuil chesterfield
vertbouteille avec chats au ralenti autour etc.
c’est pas de la pub il peut être lu debout en librairie
sur un écran de téléphone assis à une table
ou classique dans les wc vautré sur un canapé
ou sous la tente à la lampe électrique
et si c’est novembre ou si par la fenêtre ouverte
on entend des camions ou si on s’endort dessus
si on pense à autre chose en lisant il reste
toujours le même poem
mais pas tellement
d’ailleurs je viens de me dire
tu parles d’un poem
Mon ange
c’est quoi ton nom
mon ange apprivoisé
qui dort sur mon épaule
ton haleine de nouveau-né
ta belle voix tremblée
chaude jamais pareille
suivant les mots le rythme
le pourcentage de sentiment
la mélodie
mon signe intérieur
de richesse pour
sortir de l’ombre
fermer l’œil de la nuit
t’en vas pas garde-moi
je fais comment si
tu me lâches
j’aime mieux pas
y penser
Je me coiffe
et pourquoi je serais pas
une beauté
les yeux noirs entourés de noir
au bord des larmes
pourquoi pas mon portrait studio Harcourt
jeune première d’avant le parlant
clarté lunaire sous le voile des cils
paupières au ralenti en fondu-enchaîné
non j’ai une meilleure idée
je vais être ex-miss-texas
avec un mètre au moins de crinière rousse
ondulant jusqu’aux fesses
debout face au miroir je me coiffe
un écrivain étendu sur le lit me contemple
je me retourne en disant « saleté
de cheveux » et Hank répond « ouais »
Bouge pas
dieu est un peu trop voyant
mais extralucide il paraît
un genre de drone
en vue aérienne il me
regarde de haut mais moi
je pilote ma saab décapotable
et je glisse je fends l’air
qu’il enregistre ou pas
rien à battre je fonce
rien à voir devant moi
que la ligne blanche
la tourmente l’horizon
ou alors cheval noir
ma robe scintille et fume
mon galop dévore la route
je dégage je pulvérise
l’odeur mixée des mille
demeures que j’ai hantées
yes cheval soufflant
galop nuage
cheval fumant
bouge
pas
j’arrive
Deux sujets au choix
insomnie c’est ma tournée
dans les différentes pièces de l’appart
crashtest sur tous sièges tapis et poufs
si je ferme les yeux
un genre de minimoi apparaît
il a mon visage version prof
il dit
deux sujets
au choix
sujet n°1:
Andy Warhol / émotion exprimée
mourir ? / masque solo
point d’interrogation
sujet number two
l’état amoureux / la technique
vous avez toute la nuit
vous avez quinze minutes
Joan Mitchell
quand elle commence
quand elle fabrique
sa magie blanche de l’air
elle répond à
ce que l’air fait
au regard à la peau
au dessus en dessous et
dans les champs et dans
la broussaille et dans
les labours et autour
dans tous les grands
frissons quand elle commence
elle continue de commencer
plonger plonger sans
discontinuer faudrait dire
le mot naître ou
le mot enfance
sans jamais le finir
trouver un nom pour
parenthèse ouverte
jamais fermée
pour la promesse
de l’ivresse pour
la menace d’une douceur
embrassée pénétrée
la menace d’une douceur
seulement violente
Zèbre en peluche
dans la salle d’attente je vais
toujours à la fenêtre pour réfléchir
quoi dire au psy en fixant
le zèbre en peluche
échoué dans la gouttière
de l’immeuble en face
un jour plus de zèbre
en début de séance je dis
le zèbre a été enlevé
( pas de réaction )
ou alors il est tombé
en tous cas je tiens à
vous signaler sa disparition
( pas de réaction )
cette nuit c’est plié
j’enverrai par texto :
on va s’arrêter là