Une simple intervention
Octobre, le temps des fantômes. Je me revois jeune femme dans le miroir. Dans mon regard, de la conviction. sans un soupçon de doute. J’ai la vingtaine et j’ai compris le monde. Plus tard, quand j’en saurais davantage, je regretterais cette époque. Ma certitude m’avait protégée.
J’étais infirmière dans une clinique où se pratiquait un nouveau genre d’intervention. Ces interventions avaient pour but de délivrer des personnes de leurs troubles psychiques, pour qu’elles ressortent avec un nouvel avenir, un véritable avenir, pas juste une existence qui piétine.
Je me retenais à cet espoir. Parce qu’à la clinique, la règle était plutôt le désespoir. Il nous arrivait souvent d’être à bout de ressources. À bout de ressources, une autre infirmière n’aurait jamais dit ça. Après tout, nous étions là jusqu’à la fin, et même au-delà. Mais ce constat ouvrait chaque fois pour moi un gouffre.
Pendant l’intervention, j’étais celle qui assistait le docteur. Il dirigeait ses instruments vers les zones atteintes du cerveau, et les neutralisait. Les femmes et les hommes restaient conscients. Nous nous assurions ainsi de ne pas toucher à ce qui était en bonne santé. Je les occupais et leur enlevais leur peur. J’appelais ça la compassion : la compassion, c’est mon terrain, quelque chose que je maîtrise bien.
C’était une intervention toute simple. Les suites pouvaient être douloureuses, mais c’était passager. Et quelque chose de nouveau commençait. C’est ce qu’on m’avait appris. Je m’y raccrochais.
Marianne
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La journée affleure : pluie à la fenêtre. Les pas des autres. Le cliquetis des vélos, tirés et chargés, avant que les premières les enfourchent et disparaissent dans le petit matin.
Le foyer d’infirmières était en bordure de la ville. La zone industrielle commençait à la rue d’en dessous, à droite du foyer. Nous passions toujours par la gauche, devant le quartier de maisons mitoyennes aux longs avant-toits, à travers le petit bois, jusqu’à la clinique. À mi-chemin, on pouvait bifur