Roman (extrait)

Kadogo, l’enfant soldat

Poète

C’est lors d’un atelier d’écriture au Rwanda que Marie Darrieussecq a rencontré Bernard Kanyana Kabale. Comme elle l’écrit en introduction au texte de ce poète des Grands Lacs qu’elle a fait connaître à AOC, « l’humour peut se charger d’une partie de l’Histoire ». L’extrait du livre inédit publié aujourd’hui, tandis que le trentième anniversaire du génocide rwandais s’annonce ces jours prochains, s’apparente à une nouvelle, extraordinaire par son rythme, sa langue, et l’histoire de cet enfant enrôlé de force mais très originalement sauvé.

Kadogo, l’enfant soldat est un extrait d’un livre inédit écrit par Kanyana Kabale Bernard, intitulé Kadogo, bagarreur pour la paix de tous, par tous, depuis les Grands Lacs africains.

J’ai rencontré Kanyana lors d’un atelier d’écriture organisé à Gisenyi, au Rwanda, à la frontière avec la RDC, sur le lac Kivu, en face de Goma, en 2016. J’étais déjà venue au Rwanda, invitée par l’EGAM, une association européenne de prévention des génocides. J’avais passé quinze jours, de charnier en charnier, à écouter des rescapés du génocide contre les Tutsis. Après le rôle trouble joué par la France pendant ce génocide, le président Kagame ne voulait plus d’une ambassade de France dans son pays. Une sorte d’ambassade fantôme, hébergée par un Institut français tout aussi spectral, subsistait pourtant, tolérée par le gouvernement rwandais.

Cet atelier d’écriture était une idée de ce fantôme d’ambassade. Et cette idée me semblait une bonne idée. Un atelier d’écriture dans la zone des Grands Lacs, avec des participants de tous les pays du lac Kivu, permettrait peut-être de mettre en commun les traumatismes, de les « parler » puis de les écrire, dans un français infusé par l’anglais, le swahili, le kinyarwanda et le kirundi. Les participants traduisaient les uns pour les autres, sous l’égide de Roland Rugeri, un écrivain du Burundi voisin, qui co-animait l’atelier avec moi.

Parmi les candidats qui avaient postulé, douze avaient été sélectionnés, dont une seule femme. Nous aurions aimé la parité, mais dans la région des Grands Lacs, les femmes ont des enfants qu’elles doivent nourrir avec de très petits lopins de terre, et elles ont apparemment autre chose à faire qu’écrire. Ou peut-être qu’on ne les laisse pas trop courir les ateliers d’écriture pendant que lopin et enfants attendent. Mais c’est une autre histoire, que je raconterai un jour.

Kanyana était le doyen des participants. Il devait avoir une cinquantaine, peut-être une soixantaine d’années. Il se présentait comme griot, avec un copain à lui, un compère griot. Tous les deux m’ont fait comprendre que même après un génocide, l’humour peut se charger d’une partie de l’Histoire. Je n’aurais jamais osé le penser sans eux.

« Kadogo » veut dire « enfant soldat » en swahili. Kanyana nous raconta d’abord à l’oral comment il est devenu Kadogo, avec des gestes et des rires, puis il écrivit cet extraordinaire flux rythmé, répété, scandé par des refrains. Face aux singularités de son texte, de son introduction programmatique jusqu’à son émouvante chute (précédée d’un envol), mon apport est minuscule : quelques plumes de poule ici et là, ce à quoi sert un atelier d’écriture. Marie Darrieussecq

 

Kadogo, l’enfant soldat

 

L’itinéraire parcouru par Kadogo est éloquent

Comme pour imiter les ancêtres, Kadogo était parti de l’école, sans péché. Il s’était rendu à la paroisse pour obtenir la confession, au début de l’Avent, comme s’il s’était délesté de quelque fait pécamineux. C’était la règle dans toutes les écoles paroissiales d’Irhondabyuhu où Père Belmans était le seul pilote à bord…

La paroisse et même l’école obéissaient au mystère d’Imana, ce Dieu unique introduit au Rwanda et dans toute l’Afrique par la colonisation…

Une fois confessé à la paroisse d’Irhonda Byuhu, il savait qu’il n’arriverait à la maison qu’après que toutes les vaches soient rentrées à l’étable, que plus personne ne soit encore assise et que tous les coqs aient dormi. Il espérait qu’en passant à travers les bananeraies denses de Cibingu, par accident dû à l’obscurité il cognerait, au passage, plusieurs troncs (de bananiers)…

Ce qu’il ne savait pas (encore) est qu’une marche forcée vers un lieu inconnu où il allait être enterré vivant, avec des poules, devait intervenir. Du sous-sol, une bombe meurtrière s’occuperait à le déterrer. C’est le destin d’Imana y’i Rwanda collé à Kadogo.

De là – ne savait toujours pas Kadogo – la bombe le projetterait au loin. Il ne savait pas que, comme une feuille morte, il allait tomber dans un sommeil profond, dit coma, sommeil duquel il se réveillerait mystérieusement, couvert de terre poussiéreuse…

Il ne savait pas, non plus, qu’il allait y perdre sa chemisette…

Kadogo se dira, plus tard, que son transport dans les airs aura été l’œuvre d’un vent d’hélicoptère sans hélices ni moteur et, bien entendu, sans pilote. La bombe (ou le mortier) tirée par les gendarmes katangais combattant pour le mercenaire Jean Schramme opérera un extraordinaire miracle de sauvetage pour Kadogo…

Kadogo, bien vivant dans la fosse commune, avec les poules

Et c’est ainsi que sur le chemin du retour de l’école et de la confession, un soldat de Mobutu ordonna à Kadogo de le suivre. Le soldat kidnappait aussi au passage des poules dont il comptait se régaler. Chemin faisant il les confiait à Kadogo. Il avait besoin de Kadogo comme porteur de poules. Il leur ficelait les pattes mais elles s’agitaient très fort pour le petit Kadogo. Elles étaient lourdes et bruyantes. Et aussi il avait besoin de lui comme porteur de sa couverture. Comment alors porter le cartable ? Kadogo l’avait lâché dans son enlèvement.

Et c’est ainsi que Kadogo, derrière le soldat, traînait comme il pouvait les poules et tenait fort la couverture sur la tête. Le soldat lui empilait plus et plus de poules au passage dessus. C’était sur la route de Kagabi vers le champ de bataille de Mulengeza.

Les poules tremblaient certainement de peur avec leur transporteur qui les avait renversées en les tenant par les pattes. Les becs des poules balayaient presque tout le chemin parcouru, parce qu’elles étaient très lourdes à transporter.

Parvenu à Mulengeza, au-dessus de la Commune de Bagira, le soldat quitta la route et demanda au garçon de le suivre, toujours en gesticulant, vers un terrain semblable à un champ de patates douces qu’on vient de récolter : la terre était renversée sur elle-même, comme par la houe. Mais ici c’était plutôt plusieurs trous creusés, comme dans un cimetière.

Le soldat indiqua du doigt une des fosses à l’enfant, en disant, gestes accompagnant les mots: « Yo petit, tiya soso kuna na kati; .yo mpe kota na kati osala garde… oyoki ? / toi mon petit mets mes poules là-dedans… tu y entres aussi pour monter la garde… tu entends ? »

Kadogo avait compris la langue du soldat en suivant et en interprétant les gestes : le message avait été bien noté. Kadogo bourra le trou avec toutes les poules mais d’abord il avait ôté sa chemisette – pour la protéger de la saleté, comme s’il allait pleuvoir, sur la route de l’école. Il s’était ensuite glissé entre les pattes et les ailes de la volaille enterrée.

Là, dans la fosse commune avec les poules, Kadogo se faufilait entre les pattes des coqs pour mieux monter la garde sur le poulailler souterrain. Ce que Kadogo ne savait pas, c’est qu’il était déjà enfant-soldat, sans fusil, sur ce champ de bataille, face au mercenaire muzungu qui avait squatté la belle ville de Bukavu.

L’exercice de gardiennage des poules n’était pas facile pour celui qui jusque-là n’avait gardé que les veaux et les vaches. Il n’avait aucun bâton. Pis encore, il n’était pas certain d’avoir bien compris l’ordre lui donné dans une langue inconnue. Tout ce qu’il avait fait était « obéir ».

À ce moment là, Kadogo avait pensé à Habiyambere, à son initiation à l’art d’utilisation du bâton par un berger. Mais désormais je vais apprendre à garder les poules, sous la terre, moi Kadogo, au lieu des veaux et des vaches, s’était-il dit. C’est comme ça.

Il savait que les poules étaient attachées l’une à l’autre et qu’il n’était pas important de les garder ; elles n’allaient pas bouger pour échapper à la manière des vaches, avait raisonné Kadogo. En plus, c’était la nuit et tous les animaux domestiques demeurent à l’endroit qui leur est réservé la nuit, résolut-il aussi.

Le soldat kidnappeur d’enfant avait aussi simplement averti sa victime : « Ne sors pas, si non ta tête va sauter. » C’était avant qu’il ne descende dans la fosse, qui devenait à chaque moment plus semblable à une tombe, à sa propre tombe, par la taille. Elle avait été aménagée pour le combat. Ce trou, cette tranchée, était entourée de bâches entassées comme des fagots de roseaux. On aurait pensé à un labeur de taupe, à ce que la taupe laisse autour de sa sortie du trou.

Imana seul savait combien de temps allait durer le séjour consécutif à cet enterrement des vivants, l’un avec les poules. Kadogo ne savait pas encore ce qui devait suivre. Kadogo avait de plus en plus peur. Il avait bien gardé sa chemisette blanche, uniforme scolaire, nouée à la corde de son lubindo, à l’intérieur de la culotte. Elle ne devait pas être salie par cette fosse aux poules. C’était sa bonne et unique chemisette pour l’école et pour la confession. Kadogo s’était étendu entre les poules, tel un renard. Il n’avait pas froid. Une couverture faite d’ailes de poules le chauffait entièrement, le tronc et la tête. Il n’avait pas froid. La faim s’était envolée. Il était sous un toit souterrain.

Il espérait que le lundi suivant, il partirait de là, très tôt, pour se rendre à l’école, avec la permission du soldat.

Toute la sensation de Kadogo avait été anesthésiée durant ce séjour sous terre. Kadogo n’avait plus conscience. Il ne pensait plus à l’endroit où il se trouvait. La seule chose dont il se souvenait était qu’il n’avait plus aucun péché, après avoir confessé chez P. Belmans. Aucun mal n’était capable de lui causer du mal.

Lorsqu’il se souvint de sa mère et de sa devise: « lorsqu’on n’a pas d’intelligence, on ne peut non plus avoir peur, orhajira bwenge arhayoboha/Utagira ubwenge ntagira ubwoba », repétait-elle, Kadogo eut peur.

Kadogo se demanda ce qu’aurait été une autre réaction plus intelligente, face à tout ce qu’il avait vécu depuis la sortie du confessionnal, le soldat, les poules kidnappées aussi, le trou.

Pensant encore plus à sa mère et à l’adage, Kadogo ne savait plus s’il était intelligent ou idiot, dans cette étrange hutte sous terre, avec les poules.

La nuit de plus en plus lourde et la fatigue étaient venues annuler la dernière petite prise de conscience de l’enfant, face à ce qui se passait..

Presque toute une nuit dans la tombe-fosse commune avec les poules

Kadogo pensa qu’il était moins intelligent de se soucier plus de sa chemisette que de sa propre mère. Et descendre vivant dans la tombe-fosse avec les poules par obéissance était encore plus que bête, se dit-il.

Les poules tremblaient certainement toujours de peur avec leur transporteur enterré aussi, sentit Kadogo. Il se rappella qu’elles avaient été très lourdes à transporter. Aussi, il sentit une douleur à l’épaule qui avait soutenu la main porteuse du fagot fait de volailles. Sa main droite était restée, comme tenant encore la couverture du soldat, sur sa tête. Kadogo pensa à sa mère, au curé Belmans et à Maître Mirindi, tous désormais plus éloignés de lui par la nuit et par la distance, comme par la terre au-dessus de sa tête et les ailes des poules.

Tir au mortier / bombardement

Juste à côté « de la fosse pour garçon et poules », Kadogo n’entendait que des grincements de métal. Ceux-ci précédaient un coup violent de foudre, sans éclair. L’écho s’étendait aussi sur tous les villages des vivants et des enterrés. Kadogo ne voyait rien dans l’obscurité de la fosse et les ailes des poules qui lui couvraient le visage. Ses yeux se fermaient par le sommeil.

Ce bruit provoquait des tremblements du sous-sol ; même les poules en frémissaient. Mais elles n’osaient faire aucun bruit. Kadogo pensa à la mort. Sans doute que les poules se sentaient enterrées, avec la personne qui les avait ramassées et transportées jusqu’à ce lieu. Il fallait garder le sang-froid pour éviter le pire, auraient-elles pressenti !

— Gu…guuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuhuaaaaaaaaah

— Gu…guuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuhuaaaaaaaaah.

Ce tonnerre orageux étranger à la région des Grands Lacs africains avait repris plusieurs fois. Le tympan de Kadogo et même ceux des poules en furent comme défaits. Il y eut déjà une insensibilité totale à cette violente foudre terrifiante et incessante. Les ailes des poules restèrent sensibles aux caresses. Mais Kadogo les sentit frissonner tout en lui procurant une grande chaleur nocturne, sous la terre. Elles tremblotaient comme si elles avaient été atteintes de malaria et/ou de la thyphoïde.

Ce bruit précédé de grincement de métal fit penser à la fin du monde. Kadogo et ses poules en devinrent insensibles, eux qui étaient déjà enterrés vivants. Même les sons aigus, plus aigus que tout, ne s’entendirent, là.

La pensée fut, elle-même, obnubilée, non seulement par l’obscurité souterraine, mais aussi et surtout par cet environnement d’inhumation d’un vivant, en compagnie des poules. Seule la sensation tactile joua encore son rôle. Spontanément, les tympans se brisèrent par le choc, croya Kadogo. Le bruit sembla partir, désormais, de son cœur même, chaque fois qu’il entendit quelque boum-boum.

Tant pis pour les poules

Tant pis pour les poules qui, si le monde arrêtait sa course, n’entreraient nulle part ailleurs qu’à la cuisine, avant d’être mangées par le soldat. Elles avaient le péché d’avoir picoré les haricots d’une vieille mère, au village, se dit Kadogo.

Lui se vit alors en train de voyager en toute quiétude jusqu’en face de Peterot, le chef de protocole d’Imana y’i Rwanda, Dieu du ciel du Rwanda. Celui-ci n’aura qu’à lui ouvrir les deux battants de la porte du ciel. Tous les derniers péchés avaient été déversés dans les oreilles du Père Belmans. Plus rien de peccamineux chez Kadogo n’existait. N’avait-il pas obtenu une immunité acquise contre tout risque ?

Peterot, ce Saint chef de protocole d’Imana y’i Rwanda allait certainement donner le feu vert à Kadogo avant même qu’il n’arrive à la porte du ciel ; surtout que les formalités d’enterrement du corps et les prières d’accompagnement n’auront pas eu lieu au village. Ce sera un bien rapide raccourci, jusqu’à destination, se dit Kadogo, en se rappelant le cours de religion et les prières récitées, devant Maître Mirindi et devant la statue de la Sainte Vierge.

Seul le soldat devra descendre en enfer pour s’y faire consumer par le feu ardent. Ce sera surtout pour avoir fait peur à Kadogo, avant de le détourner de son chemin. En plus, il avait utilisé l’enfant sans péché pour ramasser les poules de mzee et des paisibles habitants. Pire que ça, il avait forcé Kadogo de s’enterrer vivant, avec les poules. Tous ces péchés-là suffisaient pour sa condamnation, avant même de se présenter à la porte, par où Kadogo, lui, jouirait de l’encadrement protocolaire.

Soldat lourd de péchés

Le soldat de Mobutu était passé près de la paroisse, le jour de la confession. Il n’avait pas eu besoin d’aller confesser ses péchés devenus mode de vie. En plus, il avait commis plusieurs autres péchés dans cette soirée-là : Il avait parlé à Kadogo dans une langue jamais entendue. Il n’avait pas eu pitié de l’enfant en lui faisant transporter un poids supérieur à celui d’un panier de haricots, poids constitué par la couverture et par les poules. Cela aura provoqué une luxation gratuite à l’épaule de Kadogo. Il avait angoissé l’enfant, au lieu de le protéger, en bon adulte. À cause de ce qui était arrivé, l’enfant ne pouvait plus penser au danger qu’il courait… Ces péchés sont constitutifs de trahison de la paix, pour tout enfant.

Le soldat avait fait ramasser plus d’une poule chez le vieux du village sans avoir la courtoisie de le saluer d’abord et de lui dire combien les poulets lui manquaient, depuis sa naissance à Kinshasa. Il avait fait peur au vieux, par son uniforme, par son fusil, par sa présence et par son regard plein d’orgueil. Il avait été lorgneur de poules à piller, partout où il avait entraîné Kadogo. Il avait enterré vivants Kadogo et les poules, dans une fosse commune. Cela avait produit un bruit assourdissant qui avait défait les tympans de l’adolescent et des poules.

Pour Kadogo, le soldat avait dépassé la barre maximale du nombre de péchés susceptibles d’être déchargés au confessionnal, dans l’oreille de Père Belmans.

En plus, il avait quitté le champ de bataille, avait fui les combats et s’était rendu au village, en délinquant, sans compagnie. Au retour, il avait été incapable de transporter sa propre couverture sur la tête ; raison pour laquelle il avait été amené à détourner un élève qui se rendait chez lui, tard le soir. Il en a fait un Kadogo au sein de l’armée de Mobutu, pour ramasser les poules et les transporter jusque sur le champ de bataille. Kadogo se dit aujourd’hui qu’il avait été réduit en enfant soldat de l’avant terme.

Tous ces manquements aux bonnes façons de faire et tout ce comportement indiscipliné pour un homme en arme sont jugés condamnables. Ces faits sont constitutifs de crime de guerre et crimes contre l’humanité. Il est membre d’une armée vouée à faire mal aux enfants et aux civils. Peterot n’était pas sans le savoir, se dit Kadogo.

Le soldat avait donc plus d’une tonne de péchés qu’aucune poubelle de décharge pour immondices, chez Père Belmans, ne pourrait recevoir, en un seul tour/coup. Tous ces méfaits conduiraient le soldat et tous ceux qui font comme lui jusqu’au fond du four, chez Hadès afin d’y être calciné, consumé et réduit en cendres.

Comme si la terre se serait renversée sur elle-même

Toute la nuit, le soldat avait plusieurs fois fait trembler le coin, et Kadogo et les poules, par son arme.

Soudain il y eut renversement du globe sur lui-même et une grande chaleur de plus de quatre cents degrés celsius (400° C) couvrit le lieu. Kadogo sentit cette chaleur sur et dans sa peau, moins d’un dixième de seconde durant. Puis il s’envola, comme sur les ailes de madame chauve-souris venue chercher son poussin-bébé tombé des cyprès avant de remonter haut. Kadogo perdit toute sensation et tout sens de mouvement. Il entra précipitamment dans le coma plus lourd que le sommeil de plomb, tel un hypnotisé…

Projection, loin derrière

Plus hypnotisant encore, Kadogo avait été comme dans une fusée lancée loin derrière la bananeraie, à partir de la fosse commune avec les poules. Il n’avait senti que le choc à la tête au moment du décollage. Ce choc était une sorte de coup de botte militaire… Le soldat ne se serait-il pas envolé, lui aussi, pulvérisé par la bombe ennemie ? Les deux personnes ne s’étaient-elles pas croisées, en l’air – on dirait une collusion d’hélicoptères, à l’aéroport – lors du décollage simultané ? Sans nul doute, le soldat venait d’être déterré et envoyé, tout déchiqueté, dans un voyage éclair, volait-il maintenant dans les airs de la nuit ?

Tout ce questionnement fit songer (plus tard) à Kadogo que le gendarme katangais ne pouvait pas imaginer que près du point où était planté le mortier de l’armée de Mobutu il y avait un Kadogo, non armé : un enfant de moins de quinze ans qui n’avait pour tâche que de monter la garde sur les poules !

Sur le lieu où Kadogo était allé se retrouver, comme un hélicoptère sur le tarmac, dans la bananeraie, il avait dormi plus que profondément. Au réveil, il se sentit couvert de sable. Il n’avait plus la chemisette à la ceinture ! Comme si elle avait été arrachée des soins de l’enfant par un sorcier… Une des poules ne s’était-elle pas enroulée dans la chemisette pour mieux voyager dans les airs de la nuit ?

La chaleur de la bombe meurtrière du Katangais et caporal du mercenaire Jean Schramme n’existait plus. Elle n’avait eu que le temps d’être là et de partir.

Y avait-il eu décollage de « deux hélicoptères » en même temps, depuis les deux fosses presque contiguës ? La réponse à cette question attendra longtemps pour être donnée.

Kadogo se voyait comme en rêve : sauvé, déterré par une bombe qui l’avait projeté par derrière, loin du champ des tirs, à travers le voyage durant lequel il avait croisé la tête et la botte de son rafleur, déchiqueté en morceaux et tué.

Il n’a jamais oublié comment la bombe du gendarme katangais était arrivée, plus vite qu’un coup de foudre. En atteignant l’objectif, elle avait tout renversé sur tout. Elle avait tout bousculé qui soit métal, corps humain et volaille, température… sans atteindre Kadogo, heureusement ! mais en le faisant voler dans les airs, mieux qu’une poule.

Tard la nuit, Kadogo s’était réveillé pour partir, libre

Tard, alors que la nuit avait, dirait-on, arrêté les bombes, Kadogo avait ouvert les yeux. Il s’était rendu compte qu’il était seul, sans les poules et torse nu. Il n’était pas question de chercher à savoir où se trouvait la chemisette sortie, nul ne sait comment, de l’intérieur de la culotte. Il vérifia simplement s’il vivait encore, s’il pouvait tenir sur ses deux pieds et marcher…

Tout le corps de Kadogo était couvert de poussière et de terre sablonneuse. Il s’était essuyé, par la main, avant de décider. Que me faut-il faire maintenant que tout vient d’être dispersé ? se demanda Kadogo. Il se mit debout sur ses pieds plus vite que le gorille.

Il pensa de nouveau à sa mère qui devait être en train de l’attendre, à l’entrée de la hutte.

« À mon père, je n’aurais jamais des mots pour expliquer par où je suis passé », avait résolu Kadogo.

Il fallait quitter ce lieu où plus personne n’obligeait Kadogo à faire quoi que ce soit. Il avait été défait des cordes de l’obligation à lui attachées par le soldat. Il avait remercié l’enseignant qui lui avait ordonné d’aller confesser ses péchés, sinon ça aurait été catastrophique, s’il n’avait pas pu se défaire de ses derniers péchés avant de subir cette bétise du soldat: « C’est vrai que je n’avais plus de péchés depuis que j’étais sorti de l’église, tout à l’heure, et c’est cela ma chance… C’est aussi la raison pour laquelle l’avion vient de me tirer de la fosse jusque dans cette bananeraie, au lieu de monter tout droit jusqu’au ciel, ce qui m’empêcherait de revoir ma mère et mon père… Je ne pourrais plus jamais aller au cycle supérieur à l’école si j’avais été amené au ciel. Il faut que je parte vite avant que la durée de l’escale ne se termine et que l’avion revienne me reprendre pour m’amener où il veut, peut être hors du ciel », avait monologué Kadogo.

Il s’était rappelé de l’ordre donné dans la Bible, « Prends ton grabat et pars ». Mais il n’avait rien à ramasser, sa chemisette étant partie loin, il ne savait pas où.

Flairer comme un chiot pour reconnaître le chemin de retour

Kadogo avait gardé le nord, telle une boussole. Il n’avait pas pissé sur les bords du chemin lorsqu’il avait été derrière son kidnappeur. Malgré tout, il put reconnaître le chemin par où ils étaient passés pour arriver sur le maudit champ de bataille. Dans la direction contraire à celle de l’arrivée, direction nord-ouest, il avança sans problème, comme la chauve-souris, grâce aux ultra-sons. On aurait dit que Kadogo avait un gouvernail ou un GPS pour l’orienter. C’est grâce à un coup d’œil rapide dans les cieux obscurs qu’il avait vu des étincelles et des étoiles filantes, derrière lui. Il comprendra plus tard que c’était la lumière électrique dans la ville de Bukafu qui éclairait derrière lui. Flairant sereinement le chemin par lequel il était arrivé, l’enfant avait pu reprendre, sans se tromper, la route de retour, depuis ce lieu où des bruits de fusils et des bombes résonnaient plus fortement que des coups de foudre lointains.

Comme des chrétiens sortant de l’église après la messe de Noël

Passant près des habitations, d’où une grande foule sortait en catastrophe pour fuir le mal de la guerre, exactement comme les chrétiens sortant de la messe de Noël à Irhondabyuhu avant de se presser à rentrer chez eux aux villages, Kadogo vit plusieurs personnes en toute vitesse comme les taupes quittant leurs trous où le chasseur a versé de l’eau jusqu’à faire le plein. Elles vont à la recherche de l’air frais.

Il eut ainsi des compagnons de route. Ils avançaient dans la même direction que lui. Mais ils n’avaient pas fait attention pour observer cet adolescent qui avançait, seul dans la nuit et torse nu.

Plus on avançait, plus le groupe de compagnons de route grossissait et plus on échangeait. Kadogo écoutait calmement les conversations. Il voyait les enfants de son âge qui titubaient, ne pouvant pas avancer, à l’allure des parents.

C’est par les conversations des compagnons de route que Kadogo crut comprendre et confirmer, en écoutant indiscrètement, que ces coups de foudre dont il venait de subir quelque tremblement, éruption et comme vols d’avions étaient des bombes dites « mortiers-pilons 1933 »”. Ils détruisent tout sur leur passage. Ils déterrent même les soldats enfouis sous terre sur les champs de bataille. Des soldats creusent des fosses où se cacher pour mieux tirer, sans risquer d’attraper des balles dans les têtes. Ils sont cependant, quelques fois, déterrés par des mortiers ennemis, nota Kadogo.

Si ces gens avaient su que je suis l’un des déterrés dont ils parlent, sans doute qu’ils seraient pris de peur, monologua Kadogo.

C’est alors qu’il eut froid dans le dos et dans le cerveau. Une sorte de révélation aida Kadogo à comprendre, sans réellement comprendre ce qui lui était arrivé: « Ahaaa, c’est donc un mortier-pilon 1933 qui vient de déterrer et de tuer le soldat qui m’a détourné de ma route, alors que je courais vers chez moi ? C’est elle qui vient de me déterrer, moi aussi, les poules et ma chemisette avec ! » réalisa Kadogo. Il eut plus chaud au cœur.

Plus loin, il se retrouva seul sur son chemin, lorsqu’il descendit la dernière colline qui surplombe son village. Il dit : « Gloire à Imana y’i Rwanda que je sois vivant. Bye, bye soldat, bye bye toutes les poules pillées au village, bye bye la bombe-pilon 1933 qui allait me tuer, bye, bye ma chemisette…. Je rentre chez moi, comme venant d’échapper à un coup de lance mortel. Je rentre en un véritable rescapé, comme on dit en français », déclama fièrement et mentalement Kadogo. Il avança plus fièrement dans la nuit. Il décida, entre-temps, de garder ce secret pour lui-même, pour méditer sur ce qui venait d’avoir lieu dans la fosse commune avec les poules et son kidnappeur de soldat.

Il fut surpris d’entendre résonner dans ses oreilles le yaka wa du soldat, les gu… guuuuuuaaah incessants, et sentit, de nouveau, comme du sable sur son corps nu, lui couché dans la bananeraie. Il ne regretta que sa chemisette volatilisée, lors de la sortie du sous-sol. Il pensa que, désormais, il ira à l’école torse nu…

« Moi, un non-soldat, j’ai donc été déterré et tiré de la fosse par la bombe ? quel héroïsme, quel coup de chance ! Seul mon rafleur de soldat fut visé et pulvérisé. Son pied m’a touché à la tête lors du vol. Je suis certain que les poules ont osé voler de leur ailes et, probablement, avec ma chemisette. C’est peut-être dans la direction opposée à la mienne qu’elles se sont rendues, pattes toujours attachées ! »

Kadogo, soldat inconnu

Kadogo se vit auréolé de gloire comme un soldat inconnu du curé Belmans. Comme un soldat des citadins trouvés dans la cour de l’école paroissiale, des chauves-souris, du rafleur, des poules et des villageois propriétaires des poulaillers délinquants, du creuseur de la fosse où il venait d’être enterré vivant, de « l’avion » qui l’y avait pris, jusque dans les bananiers et (peut-être) de ses parents.

Que cela soit arrivé lorque Kadogo sortait du confessionnal, cela présageait un bienfait à venir, se dit-il.

Kadogo ne pouvait pas être connu par le tireur du mortier-pilon 1933. Celui-ci ne s’était pas imaginé un seul instant qu’il allait tuer une victime innocente, un enfant raflé par un soldat inconscient (indiscipliné). Un Kadogo entraîné jusque sur le champ de bataille seulement très faiblement, par un soldat stupide. Il ne savait pas non plus que la mort de Kadogo sur le champ de bataille ne serait jamais connue, ni de ses parents, ni de personne. Le soldat allait tuer, aussi, les poules aux pattes attachées. Inconnues comme Kadogo.

En tuant le soldat de l’ANC, Armée Nationale Congolaise – actuelle FARDC – le gendarme katangais ignorait les victimes collatérales de son coup de mortier. Il ne savait pas que sur ce coup-là, il était obligé de tuer son compatriote non armé, un enfant de moins de 15 ans, Kadogo enrôlé quelques heures plus tôt, dans la soirée, comme porteur de couverture et ramasseur des poules… Il ne savait pas qu’il allait également tuer les poules pillées au village sans oublier que sa bombe polluait la patrie congolaise commune, dans sa province du Kivu. Il tuait l’environnement et le développement durable du coin, désormais convoité par le mercenaire et par l’Occident. Il ne savait pas. Il ne le saura jamais.

Compagnons de route qui s’ignorent

Les compagnons de route que Kadogo avait rencontrés dans la nuit ne le connaissaient pas non plus. Lui-même ne les connaissait pas. Et eux n’avaient pas fait attention pour se rendre compte qu’il y avait un enfant inconnu dans le groupe.

Kadogo répétait tous ces faits, avant de monologuer, de nouveau, en véritable traumatisé (un autre mot français) :

— Je viens donc d’être déterré de ma fosse commune avec les poules, par Imana y’i Rwanda ! Quel miracle ! Si papa apprend cet incident, il va perdre la tête. Faudra-t-il que je dise tout ceci à ma mère ? Non, à personne. Seule ma mère pourra peut-être m’observer et deviner ce qui m’est arrivé. Elle va garder le secret, je sais.

Ce monologue avait occupé et préoccupé toute la pensée de Kadogo, sur la route qui descend vers chez lui.

C’est avec le premier chant du coq qu’il s’était rendu compte qu’il était seul sur le chemin vers son village de Kahave duquel il s’approchait déjà. Ses compagnons avaient pris la direction Nord-Ouest, pour aller se faire loger loin, loin des bombes, après la paroisse, vers Kajeje, aux environs du parc actuel pour les gorilles des montagnes dit KAHUZI-BIEGA.

Kadogo était inconnu de l’obscurité qu’il déchirait par ses pas. Et ses yeux étaient comme des lucioles dans le noir, pour quiconque l’aurait croisé en le regardant dans les yeux. Il était inconnu des habitants qui ronflaient au fond de leurs huttes. Il était inconnu des bananiers qu’il cognait de son nez, avant de retrouver le petit chemin qui passe à travers.

Il n’avait ni senti le froid ni eu peur d’être seul durant cette fin de la nuit. Il n’était plus qu’avec son esprit sain et ce miracle d’extraction de la fosse où il s’était faufilé, entre les ailes des poules. Il n’était plus qu’avec ses pensées et sa méditation, sans panique. Il aurait voulu que ce ne soit pas lui qui ait à marcher toute la nuit ; lui que la bombe avait déterré quelques heures plus tôt.

Plein de joie d’être survivant, il avait réussi à avancer jusqu’à la maison. Une fois près de la hutte de sa mère, il toussota[1] à voix basse…

Sa mère qui n’avait pas dormi toute la nuit attendant que quelque esprit des ancêtres lui fasse (re)venir son fils sortit spontanément de la hutte pour accueillir affectueusement le nocturne…

Elle avait le cœur lourd d’inquiétude. Elle aurait voulu qualifier Kadogo d’indiscipliné. Elle n’osa pas.

— D’où viens-tu, Kadogo ? Tu m’as fait horriblement peur ! Tu m’as manqué et j’ai gardé silence parce que j’étais inquiète. Dis-moi, ton père est allé dormir dans sa hutte sans avoir demandé si tu étais revenu de l’école. Il a sûrement cru que tu avais dormi tôt.

Kadogo n’avait que les yeux ouverts et la bouche balbutiante. Aucun mot ne sortit de sa bouche. Il tremblait de joie d’être avec sa mère mais aussi de peur d’être revenu de l’indescriptible réel, du vide de sens, d’un fait qui ferme les bouches de ceux qui osent en parler / ogurhankaderhwa / agahomamunwa / cette nouvelle qu’on a difficile à transmettre, parce que les lèvres sont comme collées, tandis que les muscles buccaux restent paralysés, ne pouvant plus être élastiquesLes muscles de son visage restèrent inertes.

La mère l’avait pris sur sa poitrine. Elle sentit que son fils frissonnait. Elle le prit jusqu’à l’intérieur de la maison. Machinalement, elle attisa le feu avant de demander à Kadogo de s’approcher du foyer pour se chauffer.

— Dis-moi, où est ta chemisette ?

— Nye ! (silence)

Toujours sans mot dire, Kadogo se laissa dorloter par sa mère plus que d’habitude. Elle l’avait encadré, lui avait parlé comme à Père Delmas, lui avait même demandé de partager le repas et, après, elle l’avait couché, tel un bébé. Kadogo s’était glissé sous la natte, avant de fondre, comme un morceau de fer, au fond du feu du forgeron. Il n’avait rien dit à sa mère. Celle-ci croyait que son fils revenait de l’enfer. « Un muzimu (revenant) malveillant l’aura enlevé, avant qu’Imana y’I Rwanda ne le lui arrache, in extremis », croyait-elle.

Le garçon ne se réveilla que le surlendemain, lundi matin, à l’heure d’aller à l’école, au premier champ du coq. Il sauta hors du lit et de la natte, mangea goulûment les haricots frais que sa mère venait de chauffer. Mais il manquait la chemise à porter.

Il s’était dit qu’il n’avait qu’à y aller comme sous la pluie : c’est-à-dire simuler que la chemisette était enfouie dans le sac en peau de vache pour l’épargner de l’eau de pluie et de la saleté. « Ton cartable nous a été ramené par ton ami Bahaya à qui tu l’as confié samedi. Le voici. »

« Dis-moi, où est-elle, ta chemisette ? » continua à insister mama Kadogo.

L’enfant si traumatisé ne pouvait rien dire à ce propos. Il sortit de la maison en courant, torse nu, alors que sa maman fouillait, en vain, tous les paniers pour lui trouver un autre vêtement à porter.

Kadogo courut, comme d’habitude, vers son école de Kulikuli.

Comme par un heureux hasard, le premier collègue qu’il avait rejoint, pour avancer ensemble, c’était Bahaya. Celui-ci avait l’habitude de porter deux chemisettes scolaires, à la fois, exactement comme si l’une d’elles était devenue veste ! Comme par une heureuse coïncidence, ce jour-là, Bahaya portait (encore) ses deux chemisettes et, il avait tout de suite constaté que Kadogo était torse nu.

Sans poser quelque question, il avait spontanément pensé qu’il ne devait que prêter l’uniforme à son ami. Et celui-ci n’avait que mécaniquement souri. Bahaya s’était rendu compte que quelque chose ne marchait pas. Il se tut en attendant.

Sur le chemin, Kadogo ne parlait pas, comme par son habitude. Il se gardait dans le silence.

Après qu’ils aient parcouru plusieurs kilomètres en courant ensemble, Bahaya lui demanda:

— Aujourd’hui, tu es arrivé sans repas et sans chemise. Comment as-tu su que j’ai pris plusieurs patates douces pour partager avec des affamés ? La deuxième chemise que je porte souvent, elle, tu la voyais tous les jours, je sais. Tu peux la garder si la tienne a été dévorée par des souris.

Un « hiiii » fut le seul mot sorti, de loin, dans la bouche de Kadogo.

— Gurhi wabire ene ? / Qu’est-ce qui t’est arrivé (aujourd’hui) ?

— Ndeka, ndeka, ndeka… / Laisse-moi, laisse-moi, laisse-moi tranquille.

La retrouvaille avec les collègues de l’école fut presque provocatrice pour Kadogo. Mais c’est certainement le vrai ballon de football – celui qu’on pompe – qui a plus joué, le vrai que Bagalwa nous avait amené de la ville. Kadogo avec ce ballon fit des tirs foudroyants et marqua des buts. Tout le monde embrassa le buteur. Maître Mubembe a même félicité Kadogo en le soulevant sur ses épaules et cela a réveillé en cet élève l’humeur habituelle. Kadogo avait souri et retrouvé son air habituel.

C’est ainsi qu’au retour de l’école que Kadogo avait repris à vivre normalement. Il parla à Bahaya qui s’était préoccupé de lui et avait été si proche pour l’observer, dans la cour de récréation.

Lorsqu’était arrivé le moment de partager les repas, pris au bord du chemin, Kadogo mangea tout doucement, en observant, comme une jeune épouse. Bahaya avait pris soin de suivre chaque geste de son ami.

Après le repas, le redémarrage des élèves pour aller aux domiciles avait repris, en toute vitesse.

Une fois à la maison, face à sa mère et à son père, Kadogo fut plus ouvert, mais sans parler encore de ce qui lui était arrivé.

Plusieurs jours après, Kadogo raconta enfin à sa mère, comme il s’était promis. Il décrivit son aventure avec le soldat, prononça plus d’une fois le mot « yaka wa », parla de la bombe qui allait le tuer, au fond des bananiers, de son enterrement avec les poules, les grincements et les guuuuuuuhuaah, de son voyage jusque dans la bananeraie… mais sans la chemisette d’uniforme scolaire et à vrai parler sans les poules.

Mama Kadogo pleura durant plusieurs minutes.

Après avoir essuyé ses larmes, elle le regarda dans les yeux et lui dit, en l’embrassant et en l’étreignant presque : « Toi, tu vivras longtemps, mon fils. »

Kadogo fondit en larmes.


[1] Toussoter est un fait culturel au Bushi. Ça annonce que quelqu’un s’approche, qu’il y a une personne qui arrive avec des bonnes intentions… (Note de l’auteur)

Notes

[1] Toussoter est un fait culturel au Bushi. Ça annonce que quelqu’un s’approche, qu’il y a une personne qui arrive avec des bonnes intentions… (Note de l’auteur)