L’os du milieu
Chapitre I
1
Ils sont quatre dans la petite maison où la solitude individuelle n’empêche pas l’inceste ; les animaux portant le même patronyme sont gourmands et ne renoncent pas à toutes les opérations que le désir leur permet.
Le père, pour sa part, examine les viscères de ce qui était hier encore une des rares pièces de bétail en sa possession : la viande devient page, elle est consultée, manipulée, on procède avec les yeux à des investigations qui durent ; l’homme regarde le viscère comme s’il étudiait une langue étrangère à la bibliothèque. Une des dernières leçons. Comme s’il était sur le point d’apprendre l’ultime mot d’une langue, comme si celui-ci existait et permettait la résolution de quelque chose d’important.
— Animal stupide, murmure-t-il.
La pourriture aussi obéit à une loi, la boue prend le contrôle des chaussures, entrave le mouvement, le ralentit, exerce contre l’homme une puissance négative, une puissance qui tire vers le bas, comme une chute. Mais sur le sol ferme. On pourrait penser que la boue fait passivement tomber, mais non.
— Boue répugnante, murmure le vieux Kahnnak.
2
Les chaussures se déplacent et exercent des influences basses pendant que s’accomplissent des actes culinaires, au-dessus de la taille, sur une table en vieux bois ; les chaussures ne sont pas les seules à lire sur la pointe des pieds ce qui arrive aux viscères de l’animal, que des mains féminines élèvent à la condition gastronomique ; une existence repoussante devient utile, nourrit la famille ; la viande ne néglige pas le mystère du monde, elle change, stupéfie, prend de nouvelles formes, elle devient, pourrait-on dire, belle. Les aliments ont d’abord été des viscères capables de donner la nausée aux enfants les plus distraits ; après transformation dans la cuisine, ils sont la partie du monde qui leur ouvre l’appétit.
— Viande universelle, dit le vieux Kahnnak, comme s’il parlait de l’espéranto, de la langue promise ou déjà fort oubliée, de cette langue grâce à laquelle le