Poésie

Migrations

Poète, critique littéraire, traducteur

« Réinvention de la campagne », « Éclats d’Irak », « Migrations » sont les trois sections qui composent le prochain volume de Kadhim Jihad Hassan, écrivain irakien et professeur à l’INALCO. Poursuivant notre série de bonne feuilles étrangères d’hiver, nous avons choisi quelques poèmes qui parlent de la guerre, de l’Irak, de l’exil, traduits en français par l’auteur. À paraître chez Actes Sud.

Les souvenirs

Les souvenirs se taisent dans le cœur pendant vingt années

Puis éclosent

En une rose de sang.

 

Les souvenirs naissent d’états peut-être non vécus

Ils naissent d’états obscurs mais qui chaque fois désignent

Un passé

Où le corps apprenait à s’apprivoiser

À cohabiter avec lui-même

Avec beaucoup de politesse

Comme devant un hôte que l’on ignore et estime.

 

Avec la ténacité d’un couturier aveugle

Le cœur éparpille sa tristesse

Une grande bobine

Qui se dilate à l’infini

Puis s’enroule autour d’un axe invisible.

 

Tel un oiseau de fer

L’ennui enserre le corps amoindri de mon poème.

 

 

 

Irakianismes

Nous trébuchions dans la nuit

Commettions nos rêves tels des crimes

Ainsi étions-nous

Tournant autour du monde

Avec ses marges pleines de tragédies.

 

Quand l’un de nous se déplace

Il vérifie longuement

Qu’il n’a pas piétiné le rêve de son voisin.

 

Dans notre jargon

Il n’était pas nécessaire de se comprendre

Il fallait à tout prix

Siffler ce mélodieux sifflement

Par lequel chacun rappelait son être-là.

 

Soudain, nous avons heurté la terre ferme

C’était comme lorsque l’on chute

Dans le temps

Ou dans un sommeil sans fin.

 

Longtemps nous garderons le souvenir

De ce sifflement toujours plus fort

Et du temps bien mou

Que nous buvions avec de vieilles louches.

 

Longtemps nous garderons le souvenir

De l’étonnement des passants

Lorsque nous nous mîmes à saisir l’air

Avec des pinces

Et à faire des bizarreries

Qui étaient tout simplement

Notre façon de ne pas être.

 

 

 

Élégie du beau-frère

Le jour de sa mort, il avait obtenu une permission. Dans l’étroitesse de la tranchée, il avait trouvé le moyen de nettoyer son uniforme. C’est le temps qui se montra le plus avare. L’obus vint de quelque part de la montagne, comme s’il lui était destiné.

Un jour d’inondation, je m’en souviens, alors que j’étais parmi les secouristes, il s’avança vers moi, me salua et me fit don d’un morceau de pain azyme. Des années après, il me téléphonerait à Paris et je distinguerais dans sa v


Kadhim Jihad Hassan

Poète, critique littéraire, traducteur, Professeur d'études arabes à l’INALCO

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