Migrations
Les souvenirs
Les souvenirs se taisent dans le cœur pendant vingt années
Puis éclosent
En une rose de sang.
Les souvenirs naissent d’états peut-être non vécus
Ils naissent d’états obscurs mais qui chaque fois désignent
Un passé
Où le corps apprenait à s’apprivoiser
À cohabiter avec lui-même
Avec beaucoup de politesse
Comme devant un hôte que l’on ignore et estime.
Avec la ténacité d’un couturier aveugle
Le cœur éparpille sa tristesse
Une grande bobine
Qui se dilate à l’infini
Puis s’enroule autour d’un axe invisible.
Tel un oiseau de fer
L’ennui enserre le corps amoindri de mon poème.
Irakianismes
Nous trébuchions dans la nuit
Commettions nos rêves tels des crimes
Ainsi étions-nous
Tournant autour du monde
Avec ses marges pleines de tragédies.
Quand l’un de nous se déplace
Il vérifie longuement
Qu’il n’a pas piétiné le rêve de son voisin.
Dans notre jargon
Il n’était pas nécessaire de se comprendre
Il fallait à tout prix
Siffler ce mélodieux sifflement
Par lequel chacun rappelait son être-là.
Soudain, nous avons heurté la terre ferme
C’était comme lorsque l’on chute
Dans le temps
Ou dans un sommeil sans fin.
Longtemps nous garderons le souvenir
De ce sifflement toujours plus fort
Et du temps bien mou
Que nous buvions avec de vieilles louches.
Longtemps nous garderons le souvenir
De l’étonnement des passants
Lorsque nous nous mîmes à saisir l’air
Avec des pinces
Et à faire des bizarreries
Qui étaient tout simplement
Notre façon de ne pas être.
Élégie du beau-frère
Le jour de sa mort, il avait obtenu une permission. Dans l’étroitesse de la tranchée, il avait trouvé le moyen de nettoyer son uniforme. C’est le temps qui se montra le plus avare. L’obus vint de quelque part de la montagne, comme s’il lui était destiné.
Un jour d’inondation, je m’en souviens, alors que j’étais parmi les secouristes, il s’avança vers moi, me salua et me fit don d’un morceau de pain azyme. Des années après, il me téléphonerait à Paris et je distinguerais dans sa v