Nouvelles

Pour en finir avec la cohérence

Artiste, Écrivaine

Pourquoi nos normes sont-elles nos normes ? Chercher la réponse dans ce qui leur échappe, glisse, transpire. Comment renouveler notre regard sur elles ? Créer des situations ordinaires et drôles, où le corps est ambigu, où la sexualité n’est pas que jouissance, mais aussi lien, expérience, dérive. La jeune autrice de ces nouvelles, extraites d’un recueil en cours d’écriture, travaille ces questions à la Haute école d’art et de design de Genève.

T’as circlu qui hier ?

« Alors Adèle, t’as circlu Maxence hier ? »

Une odeur de coulis de framboise embaume la pièce. Adèle met son doigt dans la mousse de son latte framboise. C’est marrant, on peut pas dissocier la mousse de la boisson.

« Ça veut dire quoi circlure ? »

« En gros quand quelque chose pénètre un orifice (vagin, bouche, anus…), au lieu de dire que le trou est pénétré, on dit que le trou circlut la chose (pénis, doigts, god…). Enrobe, exerce une pression. C’est un mot de dingue, qui renverse le rapport entre passif.ve et actif.ve lors de la pénétration. Il y a deux termes qui existent officiellement : circlusion et circlure. Mais la conjugaison existe pas encore… J’essaye de la démocratiser. »

« C’est génial. Du coup si j’ai sucé Machin, je peux dire que je l’ai circlu par la bouche ? »

« Bah ouais. »

« Et toi Marius, tu t’es fait circlure à la soirée hier ? »

« Nan. J’ai rencontré personne. »

« Attends si on fait le tour des orifices corporels, t’en as plus que trois ! Le nombril, les tympans, la bouche, les narines, le vagin et l’anus. »

« Oui mais je crois pas que tu puisses contracter ton tympan ».

« Mets pas ton doigt dans la bouteille, elle va te circlure ! »

Adèle regarde la plante carnivore : « Elle, elle a l’air prête à circlure n’importe qui. »

« Ouais comme toi. »

« Ta gueule. Nan mais sans dec, je sais pas pourquoi on a mis dans l’imaginaire collectif que l’orifice était passif. Le vagin a plein de couches de muscles lisses et striés comme le bulbo-spongieux et l’ischio-caverneux qui agissent avec les muscles du périnée comme – Marius, arrête de jouer avec la bouteille – le transverse superficiel et le pubo-coccygien. Ça déconne pas. Et quand tu penses à une plante carnivore, tu dirais pas qu’elle va se faire défoncer. C’est plutôt l’inverse. »

« Comme un piranha ! Mais c’est parce qu’il a des dents. »

« Avec ou sans dents, un vagin bien contracté ça peut exploser une bite. »

La conversation dérive sur des idées de recettes à partir de pata


Victoire Poinsot-Girma

Artiste, Écrivaine

Rayonnages

FictionsNouvelle