Didascalies
Léonore Confino, La Déviation
Nuit noire.
Dans l’opacité, une chouette hulule. Une mésange lui répond. Puis un enchevêtrement de grives, coucous, merles et palombes…
De plus en plus dense.
L’harmonie survit un temps…
Jusqu’à la symphonie, puis la bouillie, puis le silence.
La lumière du matin monte doucement sur l’intérieur d’un appartement fonctionnel.
Une famille insouciante se déploie dans le salon.
Ça sent le dimanche matin.
Par un mince filet sonore, les nouvelles du monde crépitent en continu, en langue inconnue.
Le père en caleçon et tee-shirt fourre le contenu du panier de linge sale dans la machine à laver.
La mère lance les cafés.
Le fils de quinze ans pose le pain sur la table et ouvre un tiroir pour attraper un couteau.
Aucun ne remarque que le mur côté cour, en même temps que la lumière monte, se mue doucement en une paroi transparente.
Aucun ne remarque que derrière la paroi, une petite famille est apparue.
Avec des corps identiques.
Dans un intérieur absolument identique.
Ce sont eux, juste à côté d’eux, qui vivent comme eux.
Lentement, la mère du premier appartement lève des yeux sidérés vers l’ancien mur.
L’adolescent qui coupait le pain prend à son tour conscience des présences étrangères.
Puis le père.
Les trois s’avancent et observent leurs doubles à travers la vitre.
Ceux qu’on appellera la famille numéro 2 ne perçoivent pas la présence de la famille numéro 1.
Du moins pour l’instant.
Ils mangent leur petit-déjeuner tranquillement.
En y regardant bien, leurs visages semblent légèrement plus marqués que ceux de la famille numéro 1.
Tout à coup, le fils de la famille numéro 2 se tord de douleur en se tenant la main.
Il pleure. Sa main saigne sans explication.
Par écho, le fils numéro 1 observe sa main à lui.
Sans s’en rendre compte, il serrait le couteau à pain par la lame.
Mais pour lui, le sang ne coule pas.
Il n’éprouve aucune douleur.
C’est l’autre, le garçon d’en face, qui ressent à sa place.
Éva Doumbia, Le Vélo
1946. Un