Tous urbains !
Il faut admettre le talent de storyteller de Christophe Guilluy qui, depuis son livre Fracture françaises en 2010, a su imposer un nouveau récit mélancolique à la mode, jusqu’à devenir la nouvelle coqueluche des élus de droite comme de gauche. Si les ouvrages de Christophe Guilluy apportent peu à la connaissance, tant ils déforment à longueur de pages les réalités spatiales qu’on peut observer à l’envi, en revanche ils apparaissent comme des symptômes d’une cristallisation efficace d’un imaginaire qui a triomphé sur l’objectivation des réalités par les sciences sociales.
Il a rencontré un large écho parce que ses sombres descriptions d’une fracture territoriale due à la croissance urbaine contemporaine ont fixé la douleur de la disparition d’une trame géographique bien aimée. La mélancolie est ici celle de la France d’antan, celle des campagnes, des villages, des bourgs, des petites villes, celle qui résiste au cosmopolitisme mondialisé dans ses communes dites « rurales » qu’on magnifie comme des conservatoires menacés d’une singularité nationale. Celle des élus locaux aussi, ces élus de terroir qui proclament qu’ils sont toujours bien aimés des Français dont ils seraient « naturellement » proches, car enracinés et non point éloignés du « terrain » comme les élites métropolitaines. Ce samedi 2 février, au Sénat (lieu emblématique s’il en fut pour les tenants de cet imaginaire) 80 élus de gauche réunis à l’initiative du socialiste François Kalfon, directeur de la campagne d’Arnaud Montebourg pour la primaire de 2017, ont voulu manifester sous la bannière « Les territoires en colère ». Ils dénoncèrent un exécutif « technocratique » et plus attaché aux grandes métropoles qu’à la « France périphérique », reprenant au passage le titre d’un best seller de notre consultant géographe. CQFD.
Or les faits sont têtus et il se trouve que la géographie nationale n’a rien à voir ni avec l’image d’Épinal d’antan ni avec son avatar catastrophiste d’aujourd’hui. Et ce p