La patrie de l’étranger
Si l’on exclut l’apogée de la traite des esclaves au XIXe siècle, les mouvements de population massifs survenus durant la seconde moitié du XXe siècle et au début du XXIe siècle se sont avérés plus importants que jamais. Ce sont des déplacements d’ouvriers, d’intellectuels, de réfugiés et d’immigrants, qui traversent les océans et les continents, qui arrivent par la douane ou sur des embarcations précaires, qui parlent de multiples langages d’échanges commerciaux, d’intervention politique, de persécution, de guerre, de violence et de pauvreté. Il ne fait guère de doute que la redistribution (volontaire ou involontaire) de la population sur toute la surface du globe figure en première place à l’ordre du jour de l’État, dans les salles de conférences, dans les quartiers, dans la rue. Les manœuvres politiques visant à contrôler ces déplacements ne se limitent pas à surveiller de près les dépossédés et/ou à les retenir en otages. Une bonne partie de cet exode peut être décrite comme le voyage des colonisés vers le siège des colons (les esclaves, en quelque sorte, quittant la plantation pour se diriger vers le domicile du planteur), pendant qu’une plus grande partie représente la fuite de réfugiés de guerre et (dans une moindre mesure) la délocalisation et la transplantation des classes de gestionnaires et de diplomates aux avant-postes de la mondialisation. L’établissement de bases militaires et le déploiement de nouvelles unités militaires occupent une place prépondérante dans les efforts du législateur pour contrôler ce flux de population constant.

Le spectacle de ces déplacements massifs attire inévitablement l’attention sur les frontières, les endroits poreux, les points sensibles, où le concept de patrie est perçu comme menacé par les étrangers. Une grande partie de l’inquiétude qui plane au-dessus des frontières et des portes est attisée, me semble-t-il, par : 1) à la fois la menace et la promesse de la mondialisation ; 2) une relation difficile avec not