Politique

État d’urgence (3/3)

Ancienne députée PS

« La banalisation de l’état d’urgence par son intégration dans le droit commun est le dernier chapitre d’une politique sécuritaire entamée par Nicolas Sarkozy et poursuivie par Manuel Valls et François Hollande. » L’ex-députée socialiste achève ici son récit très personnel des journées historiques qui l’ont conduite à prendre, au nom de la défense des libertés publiques, la décision de quitter le PS.

Après une première prolongation de trois mois, il nous a été demandé, à nous parlementaires, d’introduire l’état d’urgence dans la Constitution. Autrement dit, il s’agissait de modifier la Constitution pour y introduire l’état d’urgence, alors même que nous étions en état d’urgence, c’est-à-dire pas dans les meilleures conditions de sérénité, celles dont on aurait pu penser qu’elles étaient souhaitables pour une modification de cette importance.

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Après trois mois, le bilan était déjà piteux. Si l’on pouvait comprendre qu’on limite un certain nombre de rassemblements susceptibles de constituer des cibles privilégiées pour les terroristes, on a constaté que c’était surtout des manifestations pour la COP 21 qui étaient interdites, c’est-à-dire des manifestations pour la protection de notre planète. Alors que tous les marchés de Noël ont été maintenus. On peut le regretter mais il y a davantage de participants aux marchés de Noël qu’aux manifestations en faveur de la lutte contre le changement climatique… Sur la totalité des perquisitions, moins de une sur mille avait donné lieu à une mise en examen par la section antiterroriste. Quant au reste, sur sept perquisitions, six étaient sans objet, la dernière a permis de relever des infractions, mais sans rapport avec le terrorisme.

La déchéance de nationalité a également été adoptée par la majorité, dont les deux tiers des députés socialistes.

Malgré cela, l’immense majorité des parlementaires a voté pour prolonger l’état d’urgence encore à cinq reprises. Évidemment, j’ai voté systématiquement contre, l’inutilité de cette mesure face au terrorisme et sa dangerosité pour notre société se faisant chaque jour plus visibles. Pour ces mêmes raisons, le nombre de contestataires a un peu augmenté, mais assez peu finalement. La déchéance de nationalité a également été adoptée par la majorité, dont les deux tiers des députés socialistes, et ne doit son rejet final qu’au refus des sénateurs, non au principe lui-même, mais à sa forme.

Quelques mois après, le 7 février 2016, le journal Mediapart, en partenariat avec la ville de Grenoble, a organisé une manifestation appelée « 6 heures pour nos libertés » où divers acteurs associatifs et institutionnels se sont exprimés sur les effets de l’état d’urgence et l’opportunité ou non de le reconduire. Les six députés que nous étions à avoir voté contre ont également été invités à s’exprimer ; nous étions quatre présents : Noël Mamère, Sergio Coronado, Pouria Amirshahi et moi. Était également présent le père d’une des victimes du Bataclan. Habitant Grenoble et ayant vu l’annonce de la manifestation, il avait écrit à Mediapart et à la Ville pour dire sa colère de cette expression d’opposition alors qu’il fallait surtout savoir quoi faire pour répondre. Les organisateurs l’ont invité à venir s’exprimer lors de cette journée, ce qu’il a accepté.

Son intervention était évidemment bouleversante. Le hasard et les changements d’organisation de dernière minute m’ont amenée à intervenir juste après lui. Cet enchaînement n’était donc pas pas prévu, encore moins par moi. Je suis reconnaissante à Edwy Plenel, ayant vu mon émotion, d’avoir repris et gardé un peu le micro avant que je n’intervienne. Que dire à un père qui vient de perdre son fils ? J’ai dit, comme on me l’avait demandé, pourquoi j’avais voté non à la première demande de prolongation d’état d’urgence, pourquoi j’allais recommencer. J’ai également tenté d’esquisser quelques pistes sur ce qu’il me semblait utile de faire. Car, en effet, s’opposer à l’état d’urgence ne nous exonérait en aucun cas de faire des propositions pour prévenir de nouveaux attentats et la façon d’y répondre s’ils survenaient à nouveau, ce qui était malheureusement probable. Il me semblait d’abord nécessaire que l’on se donne les moyens de comprendre ce qui s’était passé.

Quand j’ai évoqué les conditions sociales, on m’a rétorqué que cela revenait à trouver des justifications aux comportements de ces gens, à excuser leurs actes. Non, évidemment. Mais si l’on veut se préserver autant que faire se peut de prochains attentats, il faut bien s’interroger sur nous-mêmes, sur notre société. Car ces hommes et cette femme, souvent jeunes, ne viennent pas de Syrie, de Palestine ou d’Irak, ils ne sont pas des réfugiés non plus. Ils sont français, nés en France, élevés en France. Il est vrai, loin s’en faut, que tous les enfants des quartiers populaires, issus de familles immigrées, ne deviennent pas des terroristes. Vrai aussi que l’intégration se passe mieux qu’on ne le dit souvent. Tous les jeunes issus de l’immigration ne sont pas au chômage, les mariages mixtes sont nombreux et les réussites individuelles manifestes. Mais ils souffrent quand même du chômage bien plus que la moyenne des jeunes, qui eux-mêmes en souffrent davantage que la moyenne des Français. Plus que les autres, ils souffrent de discriminations, de la difficulté à se loger.

La promesse républicaine dont d’autres générations d’immigrés ont pu bénéficier – sans sous-estimer les difficultés qu’ils ont eux-mêmes rencontrées – n’est guère tenue à leur égard. La contradiction entre l’ambition que nous affichons dans notre devise « liberté, égalité, fraternité » et sa traduction dans la réalité vécue par nombre de ces jeunes offre un terreau favorable aux recruteurs sans scrupule qui savent repérer les esprits les plus fragiles et manipulables pour les embrigader dans ce suicide d’eux-mêmes et de la société dans laquelle ils ont pourtant grandi.

Notre cohésion sociale repose sur l’État de droit : la loi est la même pour tous et il revient aux tribunaux de résoudre les conflits et de punir les crimes. Les gens qui ont commis ces actes abjects sont des criminels que nos lois, le savoir-faire et le professionnalisme des services de police et des autorités judiciaires savent prendre en charge pour peu qu’ils en aient les moyens humains. Ces gens ne sont pas des soldats. Nous ne sommes pas en guerre sur notre territoire national. Je crains que cette législation d’exception ait davantage dit notre peur et notre faiblesse que notre force.

C’est pourquoi la réponse ne peut pas être uniquement sécuritaire. Les causes de ces attentats sont nombreuses et complexes et certaines n’ont que très peu à voir avec la politique – intérieure et extérieure – conduite en France, par la France. Mais il nous faut agir sur ce qui dépend de nous, pour le partage du travail et des richesses, pour l’accès à un logement et pour limiter la ségrégation spatiale, pour une éducation qui permette l’émancipation. En effet, les conditions dans lesquelles vivent nos concitoyens peuvent les rendre plus ou moins fragiles et susceptibles de répondre aux sirènes de Daech. La lutte contre les injustices sociales et environnementales, en France et dans le monde, ne suffira pas à nous préserver absolument des attentats, mais elle constitue, à mon sens, l’investissement le plus sûr pour notre sécurité. Elle est, dans tous les cas, indispensable à la qualité de notre vie commune sur cette planète, la seule que nous ayons.

Pourquoi ne pas prendre des initiatives renforçant l’unité dans notre pays ? La lutte contre les discriminations, la mise en place des récépissés policiers, le droit de vote aux étrangers…

Ensuite, aucune mesure nationale ne saurait prétendre conjurer cette menace qui est mondiale et qui va vraisemblablement perdurer. Face à cela, la cohésion de notre société est essentielle, autrement dit, il nous faut tenir. Il nous faut donc la favoriser plus que jamais. Ce que le projet de loi anti-terroriste ne me semblait pas faire. En effet, en n’ayant que des réponses sécuritaires et pénales, que, de surcroît, on prétend introduire dans notre Constitution, on ne crée pas de cohésion ; en catégorisant les Français selon qu’ils bénéficient ou non d’une autre nationalité, on divise la communauté nationale.

Il me semble qu’il est, au contraire, nécessaire de prendre soin de nous, de la communauté de vie que nous constituons sur le sol français. Si, à court terme, le durcissement de mesures pénales peut être nécessaire, pourquoi ne pas prendre des initiatives renforçant l’unité dans notre pays ? La lutte contre les discriminations, la mise en place des récépissés pour en finir avec le contrôle au faciès, l’octroi du droit de vote aux étrangers, comme le candidat Hollande s’y était engagé, sont des propositions de nature à nous rassembler. Je croyais également nécessaire de veiller à prendre soin des individus qui composent notre communauté.

Les premières personnes auxquelles on pense sont bien entendu les victimes des attentats, leurs familles. Peut-être est-il nécessaire d’interroger et de revoir notre politique d’aide à leur endroit, car nous n’étions pas préparés à un tel choc, qui très malheureusement, risque de se produire à nouveau. Je pense également aux victimes dites collatérales. En novembre 2017, deux ans après les faits, la moitié des habitants de l’immeuble de Saint-Denis où s’était caché le dernier terroriste du Bataclan, n’étaient toujours pas relogées. Mais il faut aussi penser à ceux qui sont les victimes, de fait, de l’état d’urgence, ceux dont les logements ont été perquisitionnés dans la violence et pour la grande majorité d’entre eux sans qu’on ait quoi que ce soit à leur reprocher, ceux qui ont vu leur logement parfois très endommagé, ont vécu l’humiliation, le traumatisme de leurs enfants et maintenant le soupçon de leurs voisins. Ce sont d’abord les habitants des quartiers populaires, les populations immigrées, musulmanes ou considérées comme telles qui sont perquisitionnées. Ne pas nourrir le sentiment d’injustice déjà éprouvé, et qui peut générer un ressentiment dont nous aurions tous à pâtir, me paraissait crucial.

Les perquisitions et les assignations à résidence effectuées depuis la mise en place de l’état d’urgence impressionnaient, et voir se déployer cette action policière a pu avoir un effet rassurant. Mais qu’ont-elles permis de trouver de concret et de solide en matière de terrorisme ? Le juge Marc Trévidic a rappelé que son expérience lui avait montré que la méthode du « cocotier », qui consiste à secouer et espérer qu’au milieu de tout ce qui va tomber il y aura bien quelque chose d’utile, n’avait pas fait ses preuves en matière de terrorisme. Sans compter les humiliations inutiles, qui peuvent aggraver la distance entre la police et certaines populations, notamment nos concitoyens d’origine étrangère, qui, se sentant solidaires des victimes des terroristes, n’ont pas compris – à raison – pourquoi ils étaient ciblés en priorité par des enquêtes arbitraires.

C’est pourquoi j’ai redit ma confiance dans la démocratie, l’État de droit, les agents publics, l’ouverture, la fraternité, l’intelligence des citoyens et des citoyennes. Je savais que ces mots ne suffisaient pas à nous préserver, que nous serions vraisemblablement encore touchés en France et qu’en dehors de France également, des hommes et des femmes meurent encore davantage, tout aussi innocents. Mais je ne croyais pas que se laisser entraîner dans la logique guerrière nous protègerait davantage.

Emmanuel Macron avait promis de faire sortir la France de l’état d’urgence, devenu Président il a demandé aux députés – qui ont acquiescé – de voter la loi sécurité intérieure qui intègre les mesures dérogatoires de l’état d’urgence au droit commun.

Il nous faut savoir résister à l’illusion de la toute-puissance, intérieure et extérieure : ne pas croire qu’une police aux mains libres serait capable de venir à bout du terrorisme en France ; ne pas croire non plus qu’une action militaire occidentale au Moyen-Orient suffirait à y apporter la paix et la démocratie, et à arracher les racines de Daesh ou d’autres groupes analogues.

Alors que le candidat Emmanuel Macron avait promis de faire sortir la France de l’état d’urgence, devenu président il a demandé aux députés – qui ont acquiescé – de voter la loi sécurité intérieure qui a pour conséquence directe d’intégrer les mesures dérogatoires de l’état d’urgence au droit commun. Avant la présentation du texte devant les députés, j’ai co-signé une tribune dans Libération avec Benoit Hamon et Noël Mamère, enjoignant les parlementaires de ne pas voter ce texte, rappelant que ce qui devait demeurer exceptionnel, deviendrait demain routinier. Ce faisant, le gouvernement ne faisait pas sortir la France de l’état d’urgence, il acceptait de la voir s’y réfugier, s’y barricader, et cela, au mépris du respect de nos droits fondamentaux.

La banalisation de l’état d’urgence par son intégration dans le droit commun est le dernier chapitre d’une politique sécuritaire entamée par Nicolas Sarkozy et poursuivie par Manuel Valls et François Hollande. Très concrètement, par ce texte, le ministre de l’intérieur peut continuer de décider de mesures de surveillance contre toute personne à l’égard de laquelle il existerait des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre public et l’empêcher de se déplacer au-delà d’un lieu géographique déterminé. En clair, le texte entérine dans le droit commun le fait qu’il est possible à l’exécutif et, sans contrôle d’un juge, de surveiller quelqu’un et de le punir sur la base de simples présomptions. Il ne s’agit plus de condamner un individu sur le fondement d’un acte criminel qui engage naturellement sa responsabilité personnelle mais bien de le sanctionner en raison d’une dangerosité supposée, critère flou, et surtout hautement subjectif.

C’est une rupture absolue avec le principe fondamental de la présomption d’innocence. L’on passe ainsi, insidieusement, d’une société de la responsabilité à une société de la suspicion où une partie de la population se retrouve stigmatisée, regardée avec méfiance et présumée coupable. Ce n’est pas seulement une dérive sécuritaire, c’est aussi un poison qu’on instille ainsi et qui vient porter un coup violent à notre cohésion nationale, déjà si fragile. Lorsqu’on commence à vouloir catégoriser les Français, lorsqu’on commence à délaisser certains de nos droits les plus essentiels, c’est toute la société qui en est la victime.

J’étais consternée que l’opposition de toutes les associations et institutions de défense des libertés et des droits humains ne trouve aucun écho dans le vote des parlementaires socialistes.

Cette loi s’ajoute à neuf autres textes adoptés dans les cinq années précédentes. Il serait peut-être temps de comprendre que ce n’est pas la multiplication des textes sécuritaires qui garantira la sécurité des Français. Ces dernières années nous l’ont prouvé douloureusement. La préservation de l’État de droit est un combat de tout temps et de tous les jours, qui plus est dans cette époque troublée où les tendances autoritaires se multiplient, où l’extrême-droite ne cesse de progresser dans les esprits et dans les urnes.

Le texte a été très largement adopté et, à ma grande surprise, aucun parlementaire socialiste ne s’y est opposé. Beaucoup m’ont trouvé naïve. Je pensais pourtant qu’à défaut d’en faire un combat majeur, comme le sujet le mérite pourtant, une partie, pourquoi pas sa majorité, du groupe socialiste se saisirait de cette occasion pour mettre un terme à cette folie sécuritaire. En effet, il ne s’agissait pas ici, « seulement » de prolonger une énième fois un texte qui met entre parenthèses les libertés publiques. Ce qui a été validé ici c’est une intégration de dispositions dérogatoires à l’État de droit dans la loi commune. Pour un parti qui se dit social-DÉMOCRATE ça interroge lourdement.

J’étais également consternée que l’opposition de toutes les associations et institutions de défense des libertés et des droits humains ne trouve aucun écho dans le vote des parlementaires socialistes. La Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la Magistrature, la Quadrature du net, la Cimade, Jacques Toubon le défenseur des droits… jugent très dangereuse la dérive sécuritaire à laquelle cède la France. Même les experts des droits de l’homme mandatés par l’ONU écrivent que « plusieurs dispositions du projet de loi menacent l’exercice des droits à la liberté et à la sécurité personnelle, le droit d’accès à la justice, et les libertés de circulation, d’assemblées pacifique et d’association, ainsi que d’expression, de religion ou de conviction ». Christine Lazerges, la Présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme alertait dans un entretien récent à Mediapart : « Si ce projet de loi est adopté et que l’extrême-droite arrive un jour au pouvoir, la France sera dans une situation extrêmement difficile en matière de libertés. Un tel pouvoir n’aurait absolument rien à ajouter à ce texte. » Mon alerte n’a pas eu davantage d’effets.

Les parlementaires ne se confondant pas avec le parti, je suis revenue à la charge pour que le PS prenne une position en m’adressant à son coordinateur, Rachid Temal, remplaçant de Jean-Christophe Cambadélis dans l’attente du prochain congrès. Car nulle part au PS il a été question de ce projet de loi : ni au Bureau national (instance exécutive du PS), ni au Conseil national (parlement du parti). Il n’y en a pas trace non plus dans les questionnaires envoyés aux militants pour la refondation du PS. Sans trop diminuer l’importance des questions posées aux militants (veut-on faire du porte-à-porte où nous ouvrir à la société ? … ), j’avoue les trouver dérisoires au regard des questions qui nous étaient posées par ce texte de loi. J’ai également écrit que lorsqu’on aspirait à se refonder, il pouvait être utile de se référer aux fondateurs, comme Léon Blum s’exprimant à propos des « lois scélérates » de 1893-1894 : « Tout le monde avoue que de telles lois n’auraient jamais dû être nos lois, les lois d’une nation républicaine, d’une nation civilisée, d’une nation probe. Elles suent la tyrannie, la barbarie et le mensonge. Tout le monde le sait, tout le monde le reconnaît ; ceux qui l’ont votée l’avouaient eux-mêmes. » 120 ans plus tard, ses propos raisonnent particulièrement. Dans tous les cas, ils peuvent nous aider à réfléchir. Enfin, au moment de la refondation du Parti socialiste dans les années soixante-dix, autour de François Mitterrand et Robert Badinter, notamment, cette question des libertés avait été portée haut. Cette question avait donné lieu à un colloque et à un livre, Liberté, Libertés, publié en 1976.

Je n’ai pas eu davantage de réponse, alors j’ai donné la mienne : j’ai quitté le seul parti auquel j’ai jamais appartenu et ce depuis 23 ans. Je suis partie très colère que mon parti ne prenne pas une position défendant clairement les libertés et la démocratie et rompe ainsi avec son histoire et sa philosophie. Je suis aussi partie très inquiète de l’indifférence qui semble dominer dans la société sur ces questions fondamentales de libertés publiques, mais aussi du traitement des étrangers, ou de ceux que l’on dit tels, plus généralement du traitement des plus fragiles qu’ils viennent de France ou qu’ils viennent en France pour trouver du secours.

Il semble que beaucoup d’entre nous ne se sentent pas concernés, et se disent qu’ils ne craignent rien car ils n’auraient rien à se reprocher – pour parler comme le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner. Certes ceux qui sont les premiers visés par ces mesures discriminatoires, ceux dont on défonce les portes, ceux que l’on soupçonne, ceux qui se font sans cesse contrôler leurs identités, ce sont les arabes, les noirs, les musulmans (ou supposés tels), ceux qui vivent dans les quartiers populaires, qu’ils soient français ou pas. Mais depuis quand est-il digne ou légitime de se vanter de se désintéresser du sort des autres que nous ? Ceux qui se réjouissent d’être à l’abri se trompent, car quand on commence à accepter que les libertés soient rognées pour quelques-uns, elles finissent par se déliter pour tous, comme l’illustre merveilleusement Franck Pavloff dans Matin brun, cette nouvelle, parue en 2002 à propos de ce que l’auteur appelle « les petites compromissions ». Elle se déroule dans un état imaginaire, l’État Brun (en écho aux chemises brunes) qui interdit la possession de chiens ou de chats non-bruns, officiellement pour des raisons scientifiques. Les personnages de la nouvelle ne se sentant pas concernés approuvent cette loi. Mais la législation évolue jusqu’à les toucher eux-mêmes.


Barbara Romagnan

Ancienne députée PS