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La Syrie en images : de la banalisation de l’horreur à l’horreur du banal

Chercheur en études cinématographiques

Depuis le début du soulèvement syrien en 2011, des représentations de l’insoutenable, recourant souvent à une esthétique du choc, ne manquent pas, et se destinent à sortir la communauté internationale de sa torpeur. Tout en nous interrogeant sur la banalisation de l’horreur, elles se contentent bien souvent de ne montrer que l’aspect le plus spectaculairement dramatique du conflit, laissant hors-champ toutes les inventions quotidiennes des révolutionnaires.

Martyre de Homs, siège d’Alep, chute de Raqqa, carnage à la Ghouta… Depuis plus de sept ans, les nouvelles venant de Syrie rythment notre quotidien dans un mélange de compassion et d’indifférence. Pourtant, les images qui les accompagnent majoritairement dans la presse écrite, les reportages télévisés ou les médias sociaux ont une tout autre vocation : créer un choc dans l’esprit du lecteur ou du spectateur, et par ce choc, causer une prise de conscience collective qui conduirait les gouvernants à agir pour mettre fin à cette tragédie, par-delà les frappes militaires dites « ciblées » des Américains et de leurs alliés chez qui prédominent les calculs géopolitiques au détriment de la souffrance d’un peuple.

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C’est un fait : les représentations de l’insoutenable en Syrie destinées à sortir la communauté internationale de sa torpeur diplomatique ne manquent pas depuis le début du soulèvement en 2011 : manifestants blessés par les balles de l’armée loyaliste et traînés dans une mare de sang par leurs camarades ; enfants gazés dans les faubourgs des villes ou échoués sans vie sur des plages ; destruction de quartiers entiers qui font des ruines urbaines un décor presque naturel d’où toute âme a disparu ; corps meurtris qui jonchent le sol après une attaque aérienne, etc. – autant d’images d’un conflit d’une violence inouïe auxquelles nous attribuons habituellement le pouvoir d’y mettre fin.

Il faut se rendre à l’évidence : si les images de l’horreur syrienne pouvaient provoquer l’arrêt de cette histoire sanglante, celle-ci n’existerait plus depuis longtemps. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas les montrer sous prétexte qu’elles seraient inopérantes dans l’optique d’un arrêt des hostilités. D’ailleurs, avant même de parler d’une fascination morbide pour la mort qu’elles entretiendraient sans relâche, c’est la prétendue efficacité de ces images qu’il convient d’interroger, ainsi que l’envers de cette efficacité qui renvoie à une conception spécifique de la


[1]. Respectivement Le Jour d’après, La Femme au pantalon et I will dance tomorrow. Tous les films du collectif Abounaddara sont visibles sur la plateforme vimeo : https://vimeo.com/user6924378

[2]. Voir en particulier l’entretien avec Foucault paru en 1980 dans Les Cahiers du cinéma sur le film de Hans J. Syberberg intitulé Hitler, un film d’Allemagne (texte n°284 des Dits et Écrits du philosophe) : Syberberg, en effet, ne banalise pas l’horreur, il « fait l’inverse, il rend ignoble le banal. Il fait sortir, dans ce qu’il y a de banal dans une certaine manière de penser, dans une certaine manière de vivre, dans un certain nombre de rêvasseries de l’Européen des années trente de tous les jours, une virtualité d’ignominie. ».

Dork Zabunyan

Chercheur en études cinématographiques, Professeur à l'Université Paris 8

Notes

[1]. Respectivement Le Jour d’après, La Femme au pantalon et I will dance tomorrow. Tous les films du collectif Abounaddara sont visibles sur la plateforme vimeo : https://vimeo.com/user6924378

[2]. Voir en particulier l’entretien avec Foucault paru en 1980 dans Les Cahiers du cinéma sur le film de Hans J. Syberberg intitulé Hitler, un film d’Allemagne (texte n°284 des Dits et Écrits du philosophe) : Syberberg, en effet, ne banalise pas l’horreur, il « fait l’inverse, il rend ignoble le banal. Il fait sortir, dans ce qu’il y a de banal dans une certaine manière de penser, dans une certaine manière de vivre, dans un certain nombre de rêvasseries de l’Européen des années trente de tous les jours, une virtualité d’ignominie. ».