Portrait du zadiste en Tanuki
L’histoire est connue. Un cadre bucolique de champs et de forêts ; un projet de développement qui signifie l’expropriation des habitants et la destruction du paysage. La résistance s’organise. Les médias s’en mêlent utilisés par les deux camps. Jusqu’au dernier face à face avec les forces de l’ordre. Et une fin en pointillés difficile à interpréter.
Vous avez reconnu Notre Dame des Landes. Ou peut-être d’autres lieux, d’autres projets.
En fait, c’est le scénario de Pompoko, film d’animation dont les protagonistes sont des Tanuki et leur Zone à défendre une colline boisée qui va devenir « la colline sans visages » avec l’arrivée des bulldozers des promoteurs immobiliers. Pompoko est un film sorti en 1995 au Japon et en 2006 en France, sur une idée d’Hayao Miyazaki, mise à l’écran par Isao Takahata – Miyasaki et Takahata sont les cofondateurs des studios Ghibli en 1985.
Isao Takahata est décédé le 7 avril 2018 d’un cancer du poumon. Ce jour-là, les occupants de la « ZAD » de la NDDL devaient quitter les lieux ou régulariser leur situation. C’est une coïncidence. Mais les milliers de lucioles autour du défunt Takahata peuvent éclairer ce qui se joue dans des combats comme celui de NDDL. Eclairer ou assombrir, car il y a rarement de happy end dans ses films.
Miyasaki et Takahata sont tous les deux préoccupés dans les années 1990 par le même thème, la destruction de la nature par l’homme.
Caveat emptor. Pompoko n’est pas un film onirique et dystopique sur l’écologie. Pour cela, il faut lire, puis voir et revoir un autre « Ghibli », Nausicaä et la vallée du vent de Miyasaki. En tout cas, les deux réalisateurs sont tous les deux préoccupés dans les années 1990 par le même thème, la destruction de la nature par l’homme puisque Miyasaki réalise Princesse Mononoké (1997) juste après la sortie de Pompoko. Les deux films sont complémentaires. Celui de Takahata est dans la lignée de ces autres films une chronique sociale et politique.
J’emploie le mot « chronique » au sens fort. Pompoko n’est pas une fable mais le récit chronologique de faits bien connus : l’urbanisation du Japon et son effet sur une espèce bien connue, les chiens viverrins, animaux sauvages qui ont vu leur habitat réduit, et dont les survivants vivent principalement dans les interstices des villes, mangent dans les poubelles des citadins, quand ils ne sont pas chassés ou renversés par des voitures. Et pourtant, ces mêmes blaireaux japonais sont présents partout sous leur forme légendaire. Leurs statues en céramique souriantes et bedonnantes avec de longs testicules et un chapeau de paille vous accueillent devant d’innombrables commerces et restaurants. Pompoko raconte une histoire vraie. L’inventivité est uniquement dans la réalisation et l’animation. Cela est peu courant et c’est une des forces de Takahata.
C’est très drôle, parfois très beau, avec des aquarelles Ghibli-style. Cela a un côté hanabi, feu d’artifice d’animation et une des scènes du film justement met cette idée en scène, les Tanuki revêtent quatre formes différentes. C’est accessible dès le CP. Et c’est du coup plus subversif que d’autres anime y compris évidemment l’Ile aux chiens décryptée par Mark Alizart dans AOC.
Les leçons de militantisme suivent d’assez près les épisodes du film et le cycle ordinaire de la contestation.
Revenons à nos brebis. À Notre-Dame-des-Landes. Que peut nous apprendre un film japonais de 1995 ? Les leçons de militantisme suivent d’assez près les épisodes du film et le cycle ordinaire de la contestation.
Répertoire d’action. Les humains détruisent les vallées et les forêts et il est difficile de ne pas répondre par des actions violentes pouvant entraîner la mort. Un personnage incarne cette option pendant tout le film. Au début de la confrontation dans le film, cela ressemble aux modes de résistance en temps de guerre comme les sabotages. La route des chicanes, sauf qu’à NDDL c’est un blocage sans mort.
L’espace de la cause. En fait, les Tanuki baissent les bras assez vite. Pourquoi lutter contre plus fort que soi ? Ils se résignent à être moins nombreux pour survivre sur un espace réduit. La sage de la tribu propose une solution radicale : on ne fait plus d’enfants au printemps. Ce malthusianisme japonais qui est un sujet en soi n’est pas NDDL-compatible : les parents de bébés ZAD « les Black Pampers » ont plutôt l’idée de se reproduire. De toute façon dans le film Pompoko, l’abstinence ne dure qu’une année et fait l’objet de scènes cocasses.
Les personnes ressource : Les Tanuki cherchent une troisième voie. Des émissaires sont envoyés dans les autres îles du Japon pour retrouver des anciens capables de les aider. Les « sages » sont franchement rock’n’roll plutôt ZZ Top que José Bové même si ce dernier a une barbe. Difficile d’imaginer une lutte sans ces personnes ressource que l’on retrouve en France notamment dans les mouvements des « sans » (sans papiers, sans toit, etc…).
Les médias : Très vite, les Tanuki comprennent que leur survie dépend de leur connaissance des médias et se procurent une télévision pour étudier l’espèce humaine. Leur arme principale pour résister à la destruction de leur colline boisée est leur capacité (légendaire) à se transformer pour faire peur aux humains et les médias peuvent amplifier leurs apparitions spectaculaires. Finalement, comme un boomerang, cette arme se retournera contre eux. C’est le tournant du film. Ce dernier date de 1995 et le rôle des médias dans les conflits sociaux était déjà bien établi mais la méfiance des zadistes à leur égard est du coup plus facile à comprendre.
Et au final ? À NDDL, l’évacuation de la ZAD a commencé le 9 avril 2018. Et les jours qui ont suivi ont été violents. Le 26 avril, le gouvernement Philippe a annoncé « un sursis » jusqu’au 14 mai. D’autres combats de Tanuki se profilent, à Europacity près de Roissy par exemple. Les films de Takahata qui se trouvent dans toutes les médiathèques de France et de Navarre peuvent nous aider à expliquer ce qui s’y joue. Le Taslu, la bibliothèque de NDDL, avait déposé un projet à la préfecture. Pourquoi pas une section DVD avec des anime japonais ? Le très francophile réalisateur japonais en serait sans doute heureux.