International

Le grand débarras

Philosophe et historien

Les routes migratoires les plus mortelles d’un monde par ailleurs de plus en plus balkanisé et enclavé ? L’Europe ! Les nombres de squelettes en mer et le plus vaste cimetière marin en ce début de siècle ? L’Europe ! Le nombre de déserts, eaux territoriales et internationales, bras de mer, îles, détroits, enclaves, canaux, fleuves, ports et aéroports transformés en rideaux de fer technologiques ? L’Europe !

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Quelque chose d’extrêmement grave est de nouveau en train de se passer au cœur de l’Europe. Certes, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre. La force du vivant aidant, des chaînes humaines se forment. Dans la nuit de la peur et de la délation et face à l’irrépressible demande de répression, des femmes et des hommes de bonne volonté cherchent à réveiller les lucioles endormies de l’hospitalité et de la solidarité. Au milieu d’une anesthésie autrement inquiétante, une minorité agissante s’est mise debout et dénonce désormais avec une vigueur renouvelée ce qui se fait en son nom contre les Autres, ceux-là qui, pense-t-on, ne sont pas des nôtres.

Arc-boutés sur la fable de « l’aide au développement », nombreux sont ceux qui croient encore aux contes de fée.

Arrachés à leurs foyers d’origine, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants avilis ont pris les chemins de l’exode. Un autre cycle du grand repeuplement du monde est en cours. Ils ne sont pas des fuyards. Ce sont des fugitifs. Menacés par une calamité ou une autre, ils se sont échappés des lieux qui les ont vu naître et grandir, où ils ont vécu, mais qui un jour, sont devenus inhabitables, des demeures impossibles.

S’agissant justement de ce grand ébranlement, le refrain est désormais connu. « Explosion démographique ». « Conflits armés ». « Montée des extrémismes religieux ». « Ruée vers l’Europe ». « Crise migratoire » et « crise des réfugiés », entonne-t-on en chœur. « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». « Pourquoi viennent-ils ici ? » « Ils n’ont qu’à rester chez eux ».

Arc-boutés sur la fable de « l’aide au développement », nombreux sont ceux qui croient encore aux contes de fée. Peu importe qu’entre 1980 et 2009, les transferts nets des ressources financières partis d’Afrique vers le reste du monde aient atteint le seuil d’environ 1 400 milliards de dollars, et les transferts illicites celui de 1 350 milliards, la croyance demeure. Les pays du Nord subvent


Achille Mbembe

Philosophe et historien, Enseigne l'histoire et les sciences politiques à l'université du Witwatersrand (Afrique du Sud) et à l’université de Duke (Etats-Unis)