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Alerte orange sur l’Europe bleue-brune : de la guerre commerciale comme planche de salut

Philosophe

Engagé à faire payer au monde entier les blessures narcissiques de son électorat, Donald Trump agite la menace d’une guerre commerciale tous azimuts. Si une pareille éventualité inquiète tant les dirigeants européens, c’est avant tout parce qu’elle contrarie leur projet d’aménagement du vieux continent en maison de retraite fortifiée pour épargnants de souche.

Ecce Europa

L’Europe bleue-brune est en marche, unie jusque dans la mise en scène des tensions entre ses maîtres d’œuvre. Ceux-ci font certes grand cas de leurs désaccords sur des questions de préséance : tandis que les uns plaident à la fois pour une mutualisation de l’inhospitalité et pour le maintien des prérogatives de l’Union en matière de plafonnement des déficits, les autres n’entendent concéder leur adhésion aux contraintes budgétaires imposées par Bruxelles qu’en échange d’une pleine autonomie dans la gestion du refoulement et des déportations. Toutefois, derrière cette controverse protocolaire, les partisans du multilatéralisme et les champions des nations souveraines s’accordent d’autant mieux sur le fond que les remontrances qu’ils se plaisent à échanger les confortent auprès de leurs électorats respectifs.

Du côté bleu, si Angela Merkel n’a plus guère le cœur à défendre son rêve allemand d’austérité accueillante [1], pour sa part, Emmanuel Macron n’hésite ni à se poser en avocat d’une société ouverte ni à morigéner les dirigeants oublieux des conséquences funestes qu’ont jadis produites les égoïsmes nationaux. Or, en dépit de sa vacuité, une pareille rhétorique suffit à rassurer les épargnants férus d’humanisme qui lui ont apporté leurs suffrages : car à leurs yeux, un chef d’État qui fustige la lèpre nationaliste ne saurait être soupçonné de la répandre pour son compte. Aussi l’autorisent-ils volontiers à appeler fermeté républicaine les exactions commises par les forces de l’ordre hexagonales – de Calais à Vintimille – et à parler d’aide au développement pour décrire l’externalisation des camps de détention d’exilés dans des zones de non droit.

Du côté brun, l’offuscation affectée n’est pas moins efficace. Le ministre de l’Intérieur italien tire notamment parti des accusations d’arrogance et de d’hypocrisie qu’il porte contre le directoire franco-allemand de l’Europe pour renforcer sa posture de représentant des peuples méprisés par les élites mondia


[1]Voir Éric Fassin et Aurélie Windels, « The German Dream : Neoliberalism and Fortress Europe » in Europe at a Crossroads, Near Futures Online, 2015, http://nearfuturesonline.org/the-german-dream-neoliberalism-and-fortress-europe/

[2]Brutalisation est le terme forgé par l’historien George L. Mosse pour décrire l’impact des traumatismes causés par le premier conflit mondial sur le climat politique de l’Europe et l’état psychique de ses populations dans l’entre-deux guerres. Voir George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes(Paris, Hachette littérature, 1999).

[3]Voir Christian Salmon, « Fini le storytelling, bienvenue dans l’ère du clash », Mediapart, 17 mars 2018, https://www.mediapart.fr/journal/france/170318/fini-le-storytelling-bienvenue-dans-l-ere-du-clash?onglet=full

[4]La politiste américaine, dont le dernier ouvrage (Défaire le démos. Le néolibéralisme, une révolution furtive) paraît cet automne en traduction française aux éditions Amsterdam, étudie désormais les caractéristiques de la doctrine néolibérale qui expliquent sa perméabilité à la rage nihiliste qui fait le succès de l’administration Trump. Voir notamment « Where the Fires Are », entretien avec Wendy Brown, in Eurozine, avril 2018, https://www.eurozine.com/where-the-fires-are/et « Neoliberalism’s Frankenstein : Authoritarian Freedom in Twenty-First Century ‘Democracies’, in Critical Times, I, 1 (2018), https://ctjournal.org/index.php/criticaltimes/article/view/12

Michel Feher

Philosophe, Fondateur de Zone Books

Notes

[1]Voir Éric Fassin et Aurélie Windels, « The German Dream : Neoliberalism and Fortress Europe » in Europe at a Crossroads, Near Futures Online, 2015, http://nearfuturesonline.org/the-german-dream-neoliberalism-and-fortress-europe/

[2]Brutalisation est le terme forgé par l’historien George L. Mosse pour décrire l’impact des traumatismes causés par le premier conflit mondial sur le climat politique de l’Europe et l’état psychique de ses populations dans l’entre-deux guerres. Voir George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes(Paris, Hachette littérature, 1999).

[3]Voir Christian Salmon, « Fini le storytelling, bienvenue dans l’ère du clash », Mediapart, 17 mars 2018, https://www.mediapart.fr/journal/france/170318/fini-le-storytelling-bienvenue-dans-l-ere-du-clash?onglet=full

[4]La politiste américaine, dont le dernier ouvrage (Défaire le démos. Le néolibéralisme, une révolution furtive) paraît cet automne en traduction française aux éditions Amsterdam, étudie désormais les caractéristiques de la doctrine néolibérale qui expliquent sa perméabilité à la rage nihiliste qui fait le succès de l’administration Trump. Voir notamment « Where the Fires Are », entretien avec Wendy Brown, in Eurozine, avril 2018, https://www.eurozine.com/where-the-fires-are/et « Neoliberalism’s Frankenstein : Authoritarian Freedom in Twenty-First Century ‘Democracies’, in Critical Times, I, 1 (2018), https://ctjournal.org/index.php/criticaltimes/article/view/12