Implacables luttes pour les places
Lisant ce mois de juillet Newjack, captivante « non fiction » de Ted Conover restituant son année d’immersion en tant que surveillant dans la prison de Sing Sing, à la fin des années 1990, enfin traduite en Français, je découvre un passage qui fait écho à mes préoccupations de géographe. Ted Conover, confronté à l’activité qui consiste pour un gardien d’affecter un siège pour chaque prisonnier sortant de la chaine du self service, réalise que les détenus (qui ne sont plus libres de leur choix depuis des incidents) refusent parfois certaines assises en fonction de qui se trouve à la même table ou à des tables voisines. Il saisit alors qu’il existe des détenus qu’il nomme des « intouchables » et que des tablées leurs sont implicitement affectées, cette affectation définissant une géographie différenciée du réfectoire qui pourtant présente une totale isotropie en apparence : la salle est géométrique, tout le mobilier fixé au sol. Il s’aperçoit également qu’il faut éviter de proposer des emplacements près de la sortie de la chaine du self, ou près des poubelles, localisations qui exposent à de nombreuses anicroches.
Ted Conover en conclut : « Même au sein d’une population stigmatisée – les criminels – [il y a] des distinctions sociales et celles-ci avaient leur importance. (…) Plus je passais de temps dans ma nouvelle affectation, plus il apparaissait clairement que la sociologie de la prison était plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord »[1]. Cette « sociologie » apparaît à l’auteur via un trouble pratique dans un régime normé, par l’administration pénitentiaire, d’attribution des places. Ces places ne sont pas que des points physiques dans l’étendue (ici des sièges), qui seraient tous équivalents, substituables, mais des positions spatiales complexes qui concrétisent l’interaction entre :
– la biographie du prisonnier (son histoire sociale et individuelle, son expérience, son antériorité en prison, le type de peine qu’il purge), l’expertise qu’il en