Politique

Pour un parquet affranchi et une presse insoumise

Avocat au barreau de Paris

Témoignant de l’état d’esprit de nombre de militants de la France Insoumise et de ses dirigeants, les violences verbales contre la presse révèlent un schéma de pensée dans lequel un journaliste doit faire primer ses convictions politiques ou idéologiques sur la nécessité d’informer. Ce qui s’appelle la propagande.

Depuis deux jours, je parcours la prose de militants insoumis exprimant leur colère à l’égard de journalistes et d’organes de presse en raison des articles rédigés sur les investigations judiciaires portant sur des emplois fictifs de parlementaires et sur le financement de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. Ces réactions quelquefois menaçantes, injurieuses, toujours violentes, fruit de l’injonction du leader du parti de la France Insoumise m’ont à ce point interpellé qu’il m’a paru nécessaire de tenter d’y contribuer sans emballement.

Je peux entendre, voire partager, le sentiment d’injustice de nombre d’entre eux à l’égard de perquisitions diligentées avec fracas dans des domiciles privés ainsi qu’au siège de leur formation politique. L’intrusion du pouvoir judiciaire dans une intimité, la saisie de correspondances tantôt privées, tantôt stratégiques, la mise en cause judiciaire publique et l’opprobre de la procédure sont des violences indéniables. Et rien n’interdit de penser que cette procédure a un caractère éminemment politique. Parce que l’objectif d’indépendance de la justice ne sera pas atteint tant qu’il existera un lien constitutionnel de subordination du parquet à la chancellerie. L’instrumentalisation du judiciaire par l’exécutif, qu’elle relève de l’explicite ou du tacite, est malheureusement une pathologie expérimentée par tous les praticiens du droit soucieux d’un fonctionnement judiciaire au-delà de tous soupçons. Je serais donc le dernier à prétendre que la violence du droit n’est pas un instrument de conservation structurelle d’un ordre établi et plus ponctuellement d’une majorité politique.

Le parquet aurait pu nous épargner un tel soupçon en privilégiant une ouverture d’instruction préalable aux perquisitions afin de laisser un juge d’instruction procéder à ces actes d’enquête.

Si rien n’interdit de le penser, je ne me permettrais cependant pas d’affirmer que le procureur de la République qui a diligenté ces perquisitions ait reçu des ordres d’y procéder, ni même qu’il ait agi avec le zèle du fonctionnaire carriériste. Car à l’instar de ceux qui portent une telle accusation publique, je ne dispose ni des preuves ni des éléments que la rigueur et la raison commandent. Par ailleurs, ma propre expérience judiciaire a souvent contredit les soupçons que je pouvais porter sur certaines actions du ministère public, mettant plutôt en lumière l’aléa humain de cette institution. Le parquet aurait cependant pu nous épargner un tel soupçon en privilégiant une ouverture d’instruction préalable aux perquisitions afin de laisser un juge d’instruction procéder à ces actes d’enquête en particulier eu égard à leur ampleur.

Madame Catherine Champrenaud, procureure générale de Paris, a d’ailleurs pris le soin de communiquer sur ce point en prétendant que l’instruction ne serait pas légitime dès lors qu’il n’existerait pas d’indices graves et concordants de commission d’une infraction. Cet argument est erroné, car le critère des indices graves et concordants est une condition de la mise en examen d’une personne dans le cadre d’une instruction et en aucun cas une condition d’ouverture d’une procédure d’instruction. Cette affirmation a néanmoins pour vertu de resituer l’état de ces investigations telles qu’elles ont d’ailleurs été relatées dans plusieurs journaux. Aucune qualification pénale ne peut être déduite à ce jour de ces révélations, dès lors qu’il n’est pas établi que les facturations des prestations de campagne par la société Médiascop ont été fixées manifestement au-delà des tarifications usuelles en ayant pour unique but de profiter des remboursements de compte de campagne, deniers publics, au bénéfice d’une entreprise commerciale.

Dès lors et en l’état des éléments rendus publics, tant les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon que l’enquête préliminaire diligentée par le parquet s’inscrivent dans un cadre légal, le reste relevant de la seule logique du soupçon. Par ailleurs, rien n’interdit à des militants d’un parti politique d’être présent au cours d’une perquisition du siège du parti. En revanche, le fait de bousculer un procureur de la République au cours d’une perquisition est susceptible de tomber sous le coup des infractions de violences volontaires et d’outrage à magistrat. Bien sûr, l’ampleur des investigations, de nombreuses perquisitions simultanées avec des saisies de grande ampleur interroge sur les motivations du parquet. Cette perception est cependant le fruit de la médiatisation voulue par la formation politique elle-même, et rien ne permet d’affirmer que tant par le passé qu’aujourd’hui les perquisitions et saisies d’autres formations politiques n’ont pas été aussi importantes.

Le registre de la propagande d’État affleure dans nombre des commentaires des militants et dirigeants de la France Insoumise, mais là encore dénuée de tout fondement.

Quels sont alors les ressorts des attaques violentes de ces militants contre la presse ?

La défiance de Jean-Luc Mélenchon à l’égard de la presse était déjà prégnante dans son discours et dans sa stratégie politique. Elle est allègrement reprise par ses militants assimilant la cellule d’investigation de Radio France à une radio d’État, autrement dit à une radio dont les journalistes, à l’instar du parquet, seraient subordonnés au pouvoir et contribueraient consciemment ou inconsciemment à favoriser dans leurs présentations et orientations, le pouvoir en place, au détriment des partis d’opposition. Les articles portant sur les factures de la société Médiascop ne seraient alors qu’un relai de la volonté du souverain visant à jeter l’opprobre sur des opposants politiques. Le registre de la propagande d’État affleure ainsi dans nombre des commentaires des militants et dirigeants de la France Insoumise, mais là encore dénuée de tout fondement.

S’agissant de l’article de Mediapart du 19 octobre 2018 rédigé par les journalistes Fabrice Arfi, Michel Deléan et Antonn Rouget, la critique de la propagande étatique n’est plus pertinente s’agissant d’un média indépendant, sans financement publicitaire qui a toujours enquêté et porté le fer, indistinctement, sur les dysfonctionnements de toutes les formations politiques.

C’est donc sur le terrain pénal, déontologique et politique que les critiques portent.

Il est d’abord reproché aux journalistes d’avoir commis un recel de violation du secret de l’enquête. Si la violation du secret de l’enquête est avérée, il faut interroger la qualification de recel de violation du secret de l’enquête ainsi que le fait la Cour européenne des droits de l’Homme, à l’aune de différents principes. Le principe du secret de l’enquête d’abord, permettant de protéger la présomption d’innocence et d’empêcher tout risque de pression sur les juges chargés de l’enquête. Le droit d’informer bien sûr, avec la nécessité d’un débat public, qui s’entend comme possible en dehors de l’enceinte judiciaire y compris pendant le temps de l’enquête. C’est au cas par cas que le recel de la violation du secret de l’enquête s’apprécie en fonction de la présentation objective des faits et de l’intérêt public des informations divulguées. Si un journaliste privilégie une présentation négative des personnes mises en cause, sans que les informations n’aient d’intérêt pour le débat public, le recel de la violation du secret de l’enquête pourrait être établi. Or de la lecture des articles critiqués il ressort manifestement qu’ils relèvent du débat public, s’agissant du financement d’une campagne présidentielle sans présentation tendancieuse des faits ou des personnes visées, ce qui permet d’écarter la critique pénale des militants et dirigeants de la France Insoumise.

Il est ensuite reproché à ces journalistes d’avoir dévoilé la relation intime liant le dirigeant de la formation politique à la présidente de la société Médiascop, en révélant que celle-ci se trouvait au domicile de Jean-Luc Mélenchon à 7h00 du matin lorsque la perquisition a débuté. Ainsi l’organe de presse est assimilé à un journal people qui aurait franchit les limites déontologiques en violant la vie privée d’une personnalité politique. Si la question est légitime, cette information peut également relever de l’intérêt général dès lors que la relation révélée est directement liée aux infractions qui font l’objet des investigations judiciaires. En effet, l’enrichissement personnel du dirigeant politique et donc le recel ou la complicité pourraient être relevés par les instances judiciaires du fait de la vie commune du dirigeant politique et du dirigeant de la société ayant facturé la campagne électorale. Là encore, le reproche déontologique semble devoir être écarté.

Il est enfin reproché à Mediapart de ne pas s’être abstenu d’informer et ce faisant de violer la solidarité politique due à la principale formation de gauche d’opposition et finalement d’avoir trahi ses convictions supposées. Cette trahison a pour conséquence d’empêcher l’avènement au pouvoir d’une force de gauche susceptible d’en terminer avec le néolibéralisme prôné par les gouvernements successifs, qu’ils soient de droite, socio-démocrates ou sui generis comme le gouvernement d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe.

L’injonction violente de silence faite aux journalistes est justifiée par les fins, à savoir de permettre l’accès au pouvoir pour en terminer avec la violence néolibérale.

C’est certainement la critique la plus révélatrice de l’état d’esprit des militants de la France Insoumise et de ses dirigeants. Elle révèle un schéma de pensée dans lequel un journaliste ou un organe de presse doit faire primer ses convictions politiques ou idéologiques sur la nécessité d’informer. Mais n’est-ce pas justement la définition de la propagande politique que de faire primer l’intérêt d’un parti ou d’un mouvement politique sur la liberté d’informer. Que sont donc le devoir de taire l’information brute, la nécessité de bloquer tout questionnement sur le fonctionnement du parti, l’impératif de réduire à néant toute critique, toute contestation, au risque de se voir marquer d’une étiquette infamante, de subir la violence, l’injure et l’opprobre, les appels au bannissement et au désabonnement ? De quoi ces injonctions et la violence qui s’en est suivie sont-elles le signe pour une formation et un dirigeant politique qui ambitionnent un jour de gouverner la république et de prendre le pouvoir ?

Walter Benjamin, dans Critique de la violence, pose la question de savoir si la violence en général est morale, en tant que principe, fût-ce comme moyen pour des fins justes. L’injonction violente de silence faite aux journalistes est justifiée par les fins, à savoir de permettre l’accès au pouvoir pour en terminer avec la violence néolibérale. Elle signifie que toute attitude contradictoire de ces journalistes doit être regardée comme adverse dès lors qu’elle n’accepte pas la totalité, y compris les dysfonctionnements internes. Mais n’est-ce pas là remplacer une violence par une autre violence, en justifiant que les moyens deviennent leurs propres fins et comment ne pas y voir les prémisses d’un fonctionnement totalisant ?

Si je peux comprendre la colère de ces militants et de leurs dirigeants, je ne peux concevoir les appels à la haine, et les logorrhées injurieuses et les violences verbales contre une presse libre, indépendante.

S’il est plus que légitime de s’interroger sur la fabrique de l’opinion publique à travers les structures capitalistiques de la presse, les mécanismes de désignation et de sélection des journalistes ou de leurs sujets d’investigation, la stigmatisation généralisée de toute la presse est un facteur d’affaiblissement démocratique. Sans la circulation de l’information à travers une presse plurielle, c’est l’information, outil indispensable de dévoilement des mécanismes d’aliénation et d’asservissement qui en pâtirait. Sans une presse véritablement insoumise aux exigences de fins fussent-elles justes, c’est l’esprit critique, cette forge de l’opinion personnelle, qui disparaîtrait, au seul profit des pouvoirs en place ou à venir et au détriment de la liberté.


Arié Alimi

Avocat au barreau de Paris, Spécialisé en droit pénal et libertés publiques, membre du bureau national de la LDH