Pourquoi les gilets jaunes sont « sages » – et vont sans doute le rester
Après bien d’autres, Yves Cohen a récemment souligné ce que les événements tels que les révolutions arabes ou le « mouvement des places » peuvent avoir de surprenant, dans la mesure où ils mettent en action des quantités considérables d’individus, sans coordination apparente et sans leader. Dans Réenchanter le monde (2017), ouvrage dans lequel nous interrogeons les conditions de l’émancipation, à l’époque de l’anthropocène et du postmarxisme, nous sommes revenus sur la question, entre autres choses, autour de quatre auteurs principaux : Gustave Le Bon, et plus secondairement Gabriel Tarde, Serge Moscovici, Jean-Paul Sartre et James Surowiecki.

Les deux (ou trois) premiers posent la question sous l’angle psychologique, aboutissant à des conclusions très opposées, tandis que le second apporte la matérialité des structures, humaines ou naturelles, et que le dernier dégage des conditions plus précises « d’intelligence » ou de « sagesse » des foules. Dans l’espace disponible les travaux d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe ne seront pas évoqués, mais ils participent évidemment de la réflexion, en sous-main.
Deux visions très tranchées en psychologie sociale
Qui s’intéresse à la foule est renvoyé aux travaux considérés comme pionniers de Gustave Le Bon et de Gabriel Tarde qui font encore référence même s’il est de bon ton d’affirmer que les thèses du premier sont de qualité médiocre, tournées contre le socialisme (il écrivait contre les leaders syndicaux) et irrémédiablement entachées de leur usage fasciste (ses travaux furent largement mobilisés par les régimes totalitaires). Pour résumer très rapidement, Gustave Le Bon estime que l’individu est un être instable incapable de s’organiser et donc demandeur d’ordre et de normes, d’où un inévitable « despotisme des meneurs ». « Toujours prête à se soulever contre une autorité faible, la foule se courbe avec servilité devant une autorité forte. Si la force de l’autorité est intermittente, la foule, obéissant toujours à ses sen