Anthropologie

Ce que restituer veut dire

Anthropologue

La restitution des œuvres spoliées à l’Afrique fait aujourd’hui consensus, et les annonces récentes d’Emmanuel Macron en ce sens ont été largement saluées comme une façon de rompre avec le passé colonial de la France. Mais on pourrait faire une tout autre interprétation en s’interrogeant d’abord sur la désignation même d’« œuvre d’art » pour des objets dont la fonction première était rituelle. Dans ce cas, la restitution apparaît aussi comme un processus de ré-ethnicisation qui s’inscrit paradoxalement dans le sillage colonial.

Selon le Petit Robert : restituer signifie rendre à quelqu’un ce qu’on lui a pris illégalement ou injustement. La définition de la sphère de l’illégalité et de l’injustice est donc au cœur de la question de la restitution des objets d’art premier présents dans les musées occidentaux.

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La question de la restitution de ces objets n’est pas radicalement nouvelle puisqu’elle s’était déjà posée lorsque Jacques Chirac a « donné » comme « cadeau » au Musée national de Bamako  une statuette djennenké qui provenait d’un pillage et qui avait été acquise illégalement. La méthode du cadeau avait été alors utilisée pour contourner la loi française qui considère que les objets détenus par les musées sont une propriété inaliénable. Elle s’était de nouveau posée, lors de la création du Musée du Quai Branly, lorsqu’il s’est avéré que certains objets nigérians devant être exposés dans ce musée avaient été obtenus par voie de trafic.

C’est le grand collectionneur congolais d’art contemporain Sindika Dokolo qui a remis la question sur la table en demandant la restitution des objets d’art premier figurant dans les musées et dans les collections occidentales sur la base d’une comparaison entre ces derniers et les œuvres d’art volées par les nazis au cours de la Seconde guerre mondiale et rendus ultérieurement à leurs propriétaires juifs. Dans la foulée, Emmanuel Macron, qui est lié au banquier et entrepreneur culturel béninois Lionel Zinsou a, lors de sa déclaration de Ouagadougou, proclamé qu’il convenait de rendre aux pays africains les objets qui avaient été dérobés sous la colonisation et a ensuite décidé de restituer au Bénin plusieurs dizaines d’objets, en particulier les fameuses œuvres volées au cours de l’expédition militaire du général Dodds.

Moralement, la question de la restitution des objets d’art premier aux pays africains est imparable et, comme telle, elle s’inscrit dans le syntagme postcolonial de la réparation et du pardon. Deux questions se posent toutefois s


Jean-Loup Amselle

Anthropologue, Directeur de recherche émérite à l'EHESS