Alep, Syrie 1975/2019
L’été 1975, j’avais tout juste 20 ans. Les jours étaient longs, la vie fatigante, le futur impensable.
Sur un coup de tête, j’ai décidé en quelques jours de partir pour la Syrie avec un ami qui portait le même prénom que moi, Éric, et qui est mort depuis. Mort fou il y a deux ou trois ans, après de nombreux séjours en hôpital psychiatrique. Nous avions peu d’argent à une époque et un âge où le manque d’argent n’était pas un problème. De quoi acheter un billet d’avion pour Damas, et son retour. Nous ne savions rien, ou si peu, du pays où nous nous rendions.

Damas nous a semblé étrange. Les deux ou trois jours où nous y sommes restés, il nous est arrivé de croire que nous déjeunions ou dînions dans le même restaurant alors qu’il s’agissait d’établissements différents, à moins que ce ne fût l’inverse… croire que nous prenions nos repas dans des restaurants différents alors qu’il s’agissait du même : les plats comme les lieux ne différaient pas.
La guerre civile au Liban venait tout juste de commencer. Nous n’y avions pas prêté attention. Mais les innombrables réfugiés venus de Beyrouth, de Tripoli, des montagnes du Chouf, les premiers massacres entre Phalangistes et Palestiniens, entre Chiites et Palestiniens, entre Chiites et Phalangistes… tout cela avait bouleversé la capitale que mon ami et moi jugions vieillotte, et qui était parcourue par des petites foules isolées que nous ne pouvions identifier, des familles entières, du vieillard jusqu’au nourrisson, familles porteuses de valises comme toujours, et bien sûr d’énormes ballots.
La ville malgré cela était calme, presque assoupie. Bachar avait dix ans. C’est son père, Hafez, qui tenait le pays. Le thé à la menthe était bon. Nous le buvions assis sur de minuscules chaises en paille aux pieds courts, à l’ombre d’une terrasse, sur un trottoir poussiéreux qui descendait en escalier vers une place sans arbre, et presque sans voitures à l’époque. Damas était tout à la fois agitée et vide. L’ennui régnait. Une sorte de v