L’Europe et le mystère de la culture
Par un hasard du calendrier, l’année 2019 voit coïncider le 60e anniversaire de la création du ministère de la Culture et la tenue prochaine d’élections européennes. J’aimerais saisir cette occasion pour ouvrir quelques pistes de réflexion sur les liens, à la fois étroits et ténus, pour tout dire mystérieux, qui unissent ces deux grandes idées que sont la culture et l’Europe.

On prête à Jean Monnet la formule « si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». « Si c’était à refaire », car on sait qu’il n’en fut rien : c’est par l’économie que l’Europe communautaire a commencé, avec l’institution du Marché commun par le Traité de Rome de 1957. Cet effacement originaire de la culture au profit de l’économie tient pour une large part aux places respectives de l’une et l’autre dans l’histoire et l’imaginaire européens, au sortir d’un conflit qui a fait plusieurs dizaines de millions de morts. Quand l’angle économique répond à l’urgence de la reconstruction et donne des garanties de pacification, via la création d’un ensemble homogénéisé sous la catégorie du marché, la culture est frappée d’un double discrédit.
Le premier plonge ses racines dans l’histoire de la philosophie allemande, plus précisément dans la querelle qui oppose, à la fin du XVIIIe siècle, Herder à Kant. Alors que ce dernier soutient l’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, Herder objecte que chaque culture a sa spécificité et son développement propres et que c’est là, dans la Kultur, que se fonde l’essence d’un peuple (Volk), laquelle se décline à travers sa langue, sa littérature et son folklore. [1] Or c’est cette conception, et non celle du cosmopolitisme kantien, qui va s’imposer au XIXe siècle à travers l’Europe et soutenir le processus de construction des identités nationales.
À ce premier facteur de discrédit s’en ajoute un autre, qui achève d’invalider l’idée d’un usage politique de la culture pour construire la communauté européenne au lendemain de l