Rediffusion

« Quand on veut la guerre, on assume » : les Gilets Jaunes, le peuple et le sens de l’État

Anthropologue

Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », l’usage du mot « guerre » s’est généralisé pour devenir un paradigme de la politique intérieure. Or dire la guerre quand il n’y a pas guerre c’est, pour un État, toujours dire son intention de la faire. L’aisance avec laquelle le vocable s’est installé depuis le début du mouvement des « gilets jaunes » interroge et inquiète. Rediffusion du 18 janvier 2019.

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Dans une vidéo visible sur Internet, une femme qui souhaite porter secours à un homme à terre lors d’une manifestation se voit rétorquer par un CRS : « Quand on veut la guerre, on assume. » « Non, non, on ne fait pas la guerre. On manifeste de manière pacifique », lui répond-elle. En effet, c’est l’État qui traite le peuple en ennemi dès lors qu’il est assimilé, par le président, lors de ses vœux[1], à une « foule haineuse ». Qualifié de raciste, d’antisémite, d’homophobe, le peuple s’en prendrait à toutes les institutions censées le représenter ou le protéger – médias, élus, forces de l’ordre. Large spectre populiste d’une « négation de la France » ou, davantage, d’une négation de l’État tel qu’Emmanuel Macron le conçoit et où « haïr » un Juif et un CRS s’équivaut. Or, et jusqu’à preuve du contraire, ni la question des étrangers – et encore moins celle des Juifs – ne structurent ou n’organisent le mouvement dans ses principes, sa subjectivité, ses mots d’ordre.

Mais la peste antisémite est l’ultime opprobre que l’État jette depuis quelques années sur les mobilisations populaires[2], l’opération métonymique consistant à projeter le comportement de quelques-uns à l’ensemble d’un mouvement – migrants livrés à la police, femme voilée insultée, banderole antisémite, saluts hitlériens à l’endroit pour les fascistes old school, à l’envers (les quenelles) pour les new school. Il ne s’agit nullement de minorer ces faits mais de dire qu’un mouvement est politiquement raciste et antisémite ou ne l’est pas. Or, le pétainisme, la guerre d’Algérie puis trente ans de Front national et de lepénisation généralisée de la politique nous ont appris, d’une part, que le racisme et l’antisémitisme n’existent pas à l’état masqué et, d’autre part, qu’ils sont avant tout le fait des États ou des partis, quand bien même – et souvent grâce à l’audience qu’ils donnent à ces idées et représentations dans l’espace public – les gens y adhèrent. Or, jusqu’à ce jour, ce n’est pas le cas d


[1] Vœux d’Emmanuel Macron, 31/12/2018 : « Et n’étant en fait que les porte-voix d’une foule haineuse, s’en prennent aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux Juifs, aux étrangers, aux homosexuels, c’est tout simplement la négation de la France ! »

[2] Je pense ici aux manifestations populaires de soutien à Gaza contre l’opération Plomb durci menée par l’État d’Israël en juillet 2014 et où il suffit qu’un petit groupe clairement opportuniste et identifié comme soralo-dieudoniste (Gaza Firm) lança des mots d’ordre antisémites pour que la foule entière soit qualifiée comme telle – y compris l’Union des Juifs pour la paix alors présents – et que les manifestations soient interdites. La criminalisation des manifestants opérait par essentialisation des points de vue en induisant que l’on ne peut manifester que pour des causes identitaires ou religieuses (antisémitisme) et non pour des raisons politiques en dénonçant, dans la rue, une politique inique et meurtrière.

[3] Normalement prévu pour les situations d’attentat, le système, baptisé SIVIC, a été mis en place progressivement à la suite des attentats de novembre 2015 afin de faciliter l’identification et le décompte des personnes touchées lors d’attaques ainsi que la recherche de celles portées disparues. Les services de santé ont fiché des « gilets jaunes » blessés, Médiapart, 11/01/2019.

[4] Discours de Nicolas Sarkozy où il affirme, dans le cadre d’une « guerre » contre les délinquants, que « quand on est policier, on a le sens de l’État », thèse indexant le sens de l’État à l’ordre policier. Discours de M. le Président de la République à Grenoble. Prise de fonction du nouveau préfet, 30/07/2010.

[5] Interview du 12/12/2017, France 2. « Emmanuel Macron : “Paradoxalement, ce qui me rend optimiste, c’est que l’histoire en Europe redevient tragique” », Le Monde, 27 avril 2018.

[6] Discours d’Emmanuel Macron le 10/12/2018, Faire de cette colère une chance : « Je veux aussi que nous mettions d’accord la Nat

Catherine Hass

Anthropologue, Chercheuse associée au LIER-FYT (EHESS) et chargée de cours à Sciences po Paris

Notes

[1] Vœux d’Emmanuel Macron, 31/12/2018 : « Et n’étant en fait que les porte-voix d’une foule haineuse, s’en prennent aux élus, aux forces de l’ordre, aux journalistes, aux Juifs, aux étrangers, aux homosexuels, c’est tout simplement la négation de la France ! »

[2] Je pense ici aux manifestations populaires de soutien à Gaza contre l’opération Plomb durci menée par l’État d’Israël en juillet 2014 et où il suffit qu’un petit groupe clairement opportuniste et identifié comme soralo-dieudoniste (Gaza Firm) lança des mots d’ordre antisémites pour que la foule entière soit qualifiée comme telle – y compris l’Union des Juifs pour la paix alors présents – et que les manifestations soient interdites. La criminalisation des manifestants opérait par essentialisation des points de vue en induisant que l’on ne peut manifester que pour des causes identitaires ou religieuses (antisémitisme) et non pour des raisons politiques en dénonçant, dans la rue, une politique inique et meurtrière.

[3] Normalement prévu pour les situations d’attentat, le système, baptisé SIVIC, a été mis en place progressivement à la suite des attentats de novembre 2015 afin de faciliter l’identification et le décompte des personnes touchées lors d’attaques ainsi que la recherche de celles portées disparues. Les services de santé ont fiché des « gilets jaunes » blessés, Médiapart, 11/01/2019.

[4] Discours de Nicolas Sarkozy où il affirme, dans le cadre d’une « guerre » contre les délinquants, que « quand on est policier, on a le sens de l’État », thèse indexant le sens de l’État à l’ordre policier. Discours de M. le Président de la République à Grenoble. Prise de fonction du nouveau préfet, 30/07/2010.

[5] Interview du 12/12/2017, France 2. « Emmanuel Macron : “Paradoxalement, ce qui me rend optimiste, c’est que l’histoire en Europe redevient tragique” », Le Monde, 27 avril 2018.

[6] Discours d’Emmanuel Macron le 10/12/2018, Faire de cette colère une chance : « Je veux aussi que nous mettions d’accord la Nat