Les leçons critiques de Primo Levi
Primo Levi aurait eu 100 ans en juillet dernier. Si c’est un homme, depuis longtemps rangé parmi les classiques, reste remarquable pour cette économie de mots permettant de raconter la déportation des Juifs italiens vers la mort à Auschwitz, tout en posant un regard distancié sur la façon d’en exprimer le vécu collectif. En France, le livre phare, après avoir longtemps figuré au programme du bac, est toujours commenté par nombre d’enseignants.
Le nom « Primo Levi » est associé à la terreur nazie dont la mémoire devrait servir de modèles contre les violences politiques présentes et à venir. Mais cette image très consensuelle n’est pourtant qu’un élément tiré du puzzle bien plus complexe d’une œuvre et d’une pensée, parfois contradictoires, qui recèlent un savoir plus dérangeant qu’il n’y paraît. C’est cet aspect critique que je voudrais développer ici pour rendre hommage à un homme décidément trop à l’étroit dans l’habit dont le revêt habituellement la mémoire contemporaine.
Témoigner autrement
Son œuvre est soumise à une réduction d’une étonnante obstination, probablement symptôme de la difficulté d’aborder le témoignage dans sa diversité souvent déconcertante. Comptant plus d’une vingtaine de volumes auxquels s’ajoutent régulièrement des inédits, elle reste la plupart du temps cachée par l’arbre de Si c’est un homme injustement réduit aux limites d’un livre alors que Primo Levi en a plusieurs fois remanié ou réécrit le texte. Certes, quelques études d’envergure ont exploré ce foisonnement (Belpoliti, Cavaglione, Tesio, en Italie ; Amsallem, Rastier en France ; Gordon et Thomson en Angleterre), mais la doxa intellectuelle continue de rabattre l’écrivain à une équation où le « témoin modèle », lisse et transparent, est égal à Si c’est un homme dans sa version standard de 1958.
Pourtant le dialogue de l’œuvre, avec à l’intérieur d’elle-même celui qui l’écrit, n’est en rien apaisé. Il suffit d’en lever quelque peu le voile pour rencontrer une pensée en perma