Santé

Non, les patients ne viennent pas aux urgences pour rien

Médecin urgentiste et chercheuse en santé publique

Celles et ceux qui consultent les services d’urgence sont principalement des patients de gravité intermédiaire dont l’état de santé nécessite le recours rapide à des ressources qui dépassent une simple consultation médicale. Et, s’il n’est pas irrationnel de penser que les urgences ne sont pas, en l’espèce le lieu de soins le plus approprié, cela nécessite de définir précisément ce que l’on attend d’un service d’urgence ainsi que de mettre en place – et doter – des structures alternatives.

Si la crise actuelle, qui touche notamment les services d’urgence, nécessite d’envisager des solutions ou innovations pertinentes et des investissements importants ciblés et adaptés, encore faut-il que le diagnostic soit précis et que l’on ne s’écarte pas des objectifs initiaux. La commission chargée depuis six mois de cette mission semble concentrer son attention, ses efforts et probablement ses investissements sur l’organisation du recours aux urgences et sur le développement de ses alternatives. Une fois n’est pas coutume, les projecteurs sont braqués principalement sur l’amont des services d’urgence et ciblent les parcours et comportements individuels.

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La littérature scientifique est pourtant formelle : la diminution ou plutôt la déviation ou le déroutement du flux des patients valides, autonomes et de faible gravité ailleurs qu’aux urgences, ne diminue en rien le nombre de patients hospitalisés ni leur délai d’attente pour obtenir une place dans un service approprié. En effet, comme l’ont rappelé de nombreux acteurs dans le contexte de la mobilisation actuelle, les moyens et tout particulièrement les lits réellement « armés » de personnel soignant disponible font cruellement défaut notamment dans les services auxquels les urgences font appel au quotidien.[1] Là, réside le nœud du problème bien arrimé au cordon de la bourse.

Les récentes publications françaises[2] ont permis de mettre à mal des idées erronées mais pourtant trop largement répandues au sein de l’espace public et tenaces au sein même des équipes soignantes : les patients ne viennent pas aux urgences pour rien. Ce constat est indiscutable, n’en déplaise aux tenants de discours paternalistes et conventionnels qui affirment la nécessité « d’éduquer » et de « responsabiliser » les patients sous des prétextes arbitraires. L’impression empirique d’un flot croissant et envahissant de patients consultant aux urgences de façon abusive ou inadéquate est fausse bien que certains professionnels aime


[2] Colineaux H, Pelissier F, Pourcel L, Lang T, Kelly-Irving M, Azema O et al. Why are people increasingly attending the ermergency department ? A study of the French healthcare system. Emerg Med J.2019;36:548-53

Naouri D, Ranchon G, Vuagnat A, Schmidt J, El Khoury C, Yordanov Y et al. Factors associated with inappropriate use of emergency departments: findings from a cross-sectional national study in France. BMJ Qual Saf. 2019. Epub ahead of print: doi:10.1136/bmjqs-2019-009396

[4] Cf Colineaux H.

[5] Introduction d’un délai de carence de 3 mois voté en octobre 2019 à l’Assemblée Nationale dans le cadre du PLFSS 2020 et sur la base du rapport Bartoli F, Rey JL, Fellinger F, Sauliere J, Hemous C, Latournerie JY. L’aide médicale d’Etat: diagnostic et propositions. Rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales et de l’Inspection Générale des Finances. 2019.

[6] Weissman JS, Stern R, Fielding SL, Epstein AM. Delayed access to health care: risk factors, reasons, and consequences. Ann Intern Med. 1991;114(4):325-31.

Ayanian JZ, Weissman JS, Schneider EC, Ginsburg JA, Zaslavsky AM. Unmet health needs of uninsured adults in the United States. JAMA. 2000(16);284:2061-9.

Gusmano MK, Weisz D, Rodwin VG et al. Disparities in access to health care in three French regions. Health Policy. 2014 ;114(1):31-40.

Dourgnon P, Jusot F, Fantin R. Payer nuit gravement à la santé ?: une étude de l’impact du renoncement financier aux soins sur l’état de santé. Eco Public. 2012;28-29:123-47.

[7] Eloy P. Héberger les vulnérables, éloigner les indésirables. Trajectoires de prise en charge des familles immigrées sans abri à Paris. Thèse de doctorat en démographie, INED. 2019.

[8] On notera toutefois que l’usage de définitions particulièrement hétérogènes en matière de « patients pouvant être réorientés » rend impossible les comparaisons de la littérature scientifique et limite les conclusions.  Certaines définitions sont particulièrement inadaptées notamment celles qui reposent : sur

Anne-Laure Féral-Pierssens

Médecin urgentiste et chercheuse en santé publique, Hôpital européen Georges Pompidou et INSERM

Notes

[2] Colineaux H, Pelissier F, Pourcel L, Lang T, Kelly-Irving M, Azema O et al. Why are people increasingly attending the ermergency department ? A study of the French healthcare system. Emerg Med J.2019;36:548-53

Naouri D, Ranchon G, Vuagnat A, Schmidt J, El Khoury C, Yordanov Y et al. Factors associated with inappropriate use of emergency departments: findings from a cross-sectional national study in France. BMJ Qual Saf. 2019. Epub ahead of print: doi:10.1136/bmjqs-2019-009396

[4] Cf Colineaux H.

[5] Introduction d’un délai de carence de 3 mois voté en octobre 2019 à l’Assemblée Nationale dans le cadre du PLFSS 2020 et sur la base du rapport Bartoli F, Rey JL, Fellinger F, Sauliere J, Hemous C, Latournerie JY. L’aide médicale d’Etat: diagnostic et propositions. Rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales et de l’Inspection Générale des Finances. 2019.

[6] Weissman JS, Stern R, Fielding SL, Epstein AM. Delayed access to health care: risk factors, reasons, and consequences. Ann Intern Med. 1991;114(4):325-31.

Ayanian JZ, Weissman JS, Schneider EC, Ginsburg JA, Zaslavsky AM. Unmet health needs of uninsured adults in the United States. JAMA. 2000(16);284:2061-9.

Gusmano MK, Weisz D, Rodwin VG et al. Disparities in access to health care in three French regions. Health Policy. 2014 ;114(1):31-40.

Dourgnon P, Jusot F, Fantin R. Payer nuit gravement à la santé ?: une étude de l’impact du renoncement financier aux soins sur l’état de santé. Eco Public. 2012;28-29:123-47.

[7] Eloy P. Héberger les vulnérables, éloigner les indésirables. Trajectoires de prise en charge des familles immigrées sans abri à Paris. Thèse de doctorat en démographie, INED. 2019.

[8] On notera toutefois que l’usage de définitions particulièrement hétérogènes en matière de « patients pouvant être réorientés » rend impossible les comparaisons de la littérature scientifique et limite les conclusions.  Certaines définitions sont particulièrement inadaptées notamment celles qui reposent : sur